La Croix : Votre livre traite de la dépression féminine. Alors cette maladie a un sexe ?
Lucie Joly : Dit ainsi, on pourrait croire qu’on remonte loin. En réalité, l’enjeu de cette approche genrée est de mieux soigner les personnes en fonction de leur sexe, car pour des raisons biologiques, certains traitements seront mieux adaptés aux hommes ou aux femmes. Mais le fait est que depuis des lustres, les études cliniques n’ont inclus que des hommes, car on pensait que les variations hormonales des femmes pouvaient biaiser les résultats. La recherche a donc encore beaucoup à nous apprendre sur les spécificités de la dépression chez eux.
Hugo Bottemann : L’idée de cet ouvrage est de défendre une vision plus personnalisée de la médecine. On sait désormais que dans certaines spécialités comme la cardiologie, l’approche unisexe n’est pas forcément pertinente. Les symptômes de l’infarctus du myocarde, par exemple, ne sont pas les mêmes chez les femmes et chez les hommes. Cette personnalisation peut également être intéressante dans le cas de la dépression, qui touche deux fois plus souvent les femmes. En comprenant pourquoi, nous pouvons trouver comment mieux prendre soin d’eux.
Entre 8 et 16 % des femmes âgées de 18 à 50 ans connaîtront un épisode dépressif au cours de leur vie. Comment l’expliquer ?
LJ : Ceci est en partie lié aux fluctuations hormonales qu’ils vivent, qui sont des moments de grande vulnérabilité. Or, pour parler de dépression, les symptômes – tristesse intense, absence de plaisir, fatigue extrême, croyances négatives, etc. – doivent être présents depuis plus de deux semaines et altérer le fonctionnement habituel. Il faut donc bien distinguer ce qui est physiologique, comme le baby blues ou le syndrome prémenstruel, et ce qui est pathologique, comme la dépression post-partum et le trouble dysphorique prémenstruel, qui nécessitent un traitement. ‘être traité.
HB : Outre les causes biologiques, un certain nombre de facteurs socioculturels, notamment la précarité et les inégalités sociales, expliquent la forte prévalence de la dépression chez les femmes. Ce sont en fait des mécanismes imbriqués : la biologie influence les structures sociales, et vice versa.
Jusqu’à 20 % des mères souffrent de dépression dans l’année suivant l’accouchement. La prévention en France semble-t-elle à la hauteur ?
L.J. : Le mot sur la dépression post-partum est devenu plus ouvert ces dernières années, ce qui est une bonne chose. Mais la pression sociale reste forte et empêche souvent les femmes de consulter. La dépression prénatale reste également taboue, alors qu’un tiers des dépressions post-partum débutent pendant la grossesse. Dire qu’on n’est pas heureux en attendant un enfant reste compliqué.
Les risques de dépression avant et pendant la ménopause sont également peu pris en compte…
LJ : A tort, car en plus d’être une période de fluctuation hormonale, avec des symptômes climatériques – bouffées de chaleur, sueurs nocturnes –, la ménopause est une période de transition familiale : les enfants quittent la maison, les parents vieillissent. Cela implique parfois de faire le deuil de la perte d’une certaine féminité. Pour ces raisons, les États-Unis effectuent régulièrement un dépistage de la dépression au moment de la préménopause. Les femmes doivent remplir un questionnaire et, si nécessaire, sont orientées vers une consultation psychiatrique. Ce n’est pas le cas en France, où il n’y a pas assez de coordination entre gynécologues et professionnels de santé mentale.
HB : Au-delà des progrès à réaliser en matière de dépistage, il existe un manque global de formation en psychologie. Les cours de philosophie jouent ce rôle dans une certaine mesure, en montrant aux jeunes l’importance de se connaître pour avancer dans le monde, mais ils sont encore très insuffisants dans les cursus. Dès le collège, il faut apprendre aux élèves, filles et garçons, à mieux comprendre leurs émotions et à les réguler.
(1) La dépression chez les femmes. Démystifier, comprendre, guérir, Ed. du Rocher, 216 p, 17,90 €.
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Leur boussole. Prendre soin des femmes
Mariés à la ville, Lucie Joly et Hugo Bottemanne ont fait de la santé mentale des femmes leur priorité. Elle a travaillé aux hôpitaux Saint-Antoine et Trousseau à Paris, où elle s’est spécialisée en soins périnatals. Lui comme chercheur en neurosciences et psychiatre à l’hôpital de Bicêtre (Val-de-Marne), après avoir travaillé au centre des femmes de l’AP-HP. Si leur ouvrage met en lumière les causes scientifiques de la dépression féminine, il met aussi en lumière le poids écrasant de la discrimination et de la violence. « Sans être sociologues, ce sont des réalités que l’on voit chaque jour en consultation » confie le couple, qui réclame un meilleur accompagnement des femmes dans les moments charnières de leur vie.