Est-il sécuritaire de manger du soja ? Le point sur les recommandations

Est-il sécuritaire de manger du soja ? Le point sur les recommandations
Descriptive text here

Temps de lecture : 5 minutes

Légumineuse emblématique mais non indispensable aux alimentations végétales, le soja suscite de nombreuses inquiétudes en raison de sa teneur en isoflavones. La structure de ces substances ressemble à celle de l’estradiol, une hormone dite féminisante – d’où le terme « phytoestrogènes », régulièrement utilisé de manière inappropriée.

En France, le soja est suspecté de retarder la puberté, de nuire à la fertilité, de perturber les cycles menstruels, d’être responsable d’hypothyroïdie ou encore de provoquer le cancer du sein. Faut-il alors mettre le tofu, le tempeh, le miso, le lait végétal et autres protéines texturées au placard des aliments interdits, ou à tout le moins consommer avec prudence et circonspection ? Probablement pas.

Aux origines d’une méfiance obsolète

“La suspicion à l’égard du soja est née dans les années 1950 en Australie, lorsqu’on s’est rendu compte que les moutons qui mangeaient beaucoup de trèfle, un autre aliment riche en isoflavones, développaient des déséquilibres hormonaux”explique le Dr Sébastien Demange, médecin généraliste et membre du conseil scientifique de l’Observatoire national des aliments végétaux (ONAV).

Il ajoute: « À partir de là, différentes expériences ont été menées sur des animaux et in vitro, démontrant que le soja avait la possibilité d’interagir au niveau hormonal. Comme c’est souvent le cas en toxicologie, de nombreuses extrapolations ont été faites, appelant au principe de précaution. » C’est la raison pour laquelle, depuis 2005, l’Afssa (aujourd’hui Anses) déconseille la consommation de soja pendant la grossesse, ainsi que pour les personnes ayant des antécédents personnels ou familiaux de cancer du sein et pour les enfants de moins de 3 ans. Elle recommande également de ne pas dépasser 1 milligramme d’isoflavones/kgbw/jour, ce qui représente tout de même 275 grammes de tofu par jour pour les femmes et 350 grammes par jour pour les hommes !

Aujourd’hui, ces recommandations françaises commencent à dater et semblent faire figure d’exception, au milieu des autorités sanitaires internationales qui émettent depuis un temps des inquiétudes quant à la consommation régulière de produits à base de soja dans le cadre d’un régime. équilibré, végétal ou non. Du côté de l’Anses, que nous avons contactée pour rédiger cet article, nous nous référons à l’ONAV et à ses experts, nous informant que des travaux d’actualisation sur les isoflavones sont en cours et devraient être disponibles à l’automne 2024.

Mais, alors que l’alimentation végétale constitue un impératif sanitaire et environnemental et que la consommation de légumineuses est encouragée par le Programme National Nutrition et Santé, la mauvaise image du soja persiste.

Des données plus que rassurantes

Alors que faire? Tout d’abord, rassurez-vous. En juillet 2023, l’ONAV a livré la quatrième édition de sa position relative à la consommation de soja et son action sur la santé humaine. Expliquant que les effets du soja ne semblent pas rentrer dans la définition des phytoestrogènes (et qu’on ne peut donc pas parler aujourd’hui de « perturbateur endocrinien »), ces travaux de synthèse soulignent que « les différentes études réalisées chez l’homme ne font état d’aucun risque lié à la consommation de soja quel que soit le contexte (santé, cancer du sein, fertilité…) »et conseille que « la sécurité de la consommation de soja à toutes les étapes de la vie, observée grâce à une consommation à long terme, est confirmée par des études, à la fois observationnelles et interventionnelles ».

“Avec toutes les études dont nous disposons aujourd’hui, nous avons des raisons d’être rassurants et rassurés”, résume le Dr Sébastien Demange, responsable du groupe de travail qui a rédigé cet avis. On peut ainsi mettre de côté certaines idées reçues concernant la consommation de produits à base de soja :

Ils ne favorisent pas le cancer du sein. Non seulement des pays comme le Japon, Taiwan ou la Chine, qui consomment plus de soja que les pays occidentaux, ne signalent pas une incidence plus élevée de cette pathologie, mais des études pointent même un impact bénéfique du soja dans la prévention de la maladie et de ses récidives. Ils ne nuisent pas à la fonction thyroïdienne mais peuvent, comme d’autres aliments dits goitrogènes comme le chou, le navet, le mil, le manioc ou la patate douce, l’augmenter en cas de réelle carence en iode. cause de l’hypothyroïdie. Ils ne vous rendent pas stérile et ne provoquent pas de puberté précoce. En revanche, il est possible que la consommation de soja allonge un peu les cycles menstruels selon les personnes, en raison de variations individuelles liées à la façon dont réagit le microbiote de chacun. Il ne faut pas les décourager lors de la ménopause : elles pourraient même atténuer certains symptômes. Il ne faut pas non plus les décourager durant l’enfance, même s’il est évidemment important de suivre les recommandations concernant l’alimentation infantile, notamment concernant le lait destiné aux nourrissons. Ils ne contiennent pas d’hormones féminisantes. En raison du terme parfois jugé abusif de « phytoestrogènes », on a tendance à assimiler les isoflavones et les œstrogènes. Cependant, les premiers appartiennent à la famille des polyphénols, tandis que les seconds sont des stéroïdes et des hormones.

A noter également, indépendamment de la question des isoflavones, que le soja OGM destiné à l’alimentation humaine est interdit en France depuis 2008. En revanche, le soja destiné à l’alimentation des animaux d’élevage est principalement issu de grandes monocultures d’OGM, et est souvent cultivé sur des terres déboisées en Amérique du Sud. Bref, si vous êtes préoccupé par l’impact des OGM et/ou préoccupé par les enjeux environnementaux, mieux vaut consommer des produits à base de soja en remplacement des produits carnés que de la viande issue d’animaux nourris au soja…

“Aujourd’hui, les études sur les effets négatifs possibles des isoflavones ne vont pas au-delà de la consommation de trois ou quatre produits à base de soja par jour”, souligne néanmoins le Dr Sébastien Demange, même si rien ne laisse penser qu’une plus grande consommation pourrait avoir un impact négatif sur la santé. Mais à quoi ça sert vraiment de manger autant ? « Si l’on consomme quatre produits à base de soja par jour, il faut se poser la question de la diversité alimentaire »prévient le médecin.

Un aliment comme les autres ?

En effet, si les produits à base de soja présentent de nombreux avantages, qu’ils soient riches en protéines, en fer, en magnésium ou en calcium et qu’ils soient polyvalents, faciles à cuisiner et digestibles, ils ne peuvent pas être les seuls aliments destinés à remplacer la viande et les produits laitiers comme partie d’un régime végétarien (ou végétalien). Ils ne sont pas non plus indispensables et une alimentation végétale peut complètement les ignorer, que ce soit par choix ou par goût.

« En adoptant une alimentation à base de plantes, vous pourriez être tenté de vous tourner uniquement vers le soja. Et même si cela ne semble pas représenter de risque pour la santé, nous avons quand même besoin de diversité nutritionnelle et donc de diversité dans nos assiettes. », explique Sohan Tricoire, diététiste nutritionniste. Ils vous invitent donc à varier selon l’aliment que vous souhaitez remplacer, et à explorer d’autres légumineuses comme les pois chiches, les lentilles ou les haricots, quitte à utiliser des aliments en conserve pour vous simplifier la vie. A noter également qu’en matière de protéines texturées et de viandes végétales, les industriels jouent la diversité en utilisant des protéines de blé, de pois ou encore de tournesol.

Sohan Tricoire conclut : « Certaines personnes peuvent vite avoir peur de certains aliments, les stigmatiser, les interdire. Cependant, chaque aliment a ses points forts, ses points faibles et il convient de les intégrer dans le cadre d’une alimentation équilibrée dans des proportions appropriées par rapport à leurs valeurs nutritionnelles. Je pense qu’il n’est absolument pas pertinent de surévaluer un aliment ou d’en dénigrer un autre. il s’agit de trouver pour chacun d’entre eux la bonne place qui concilie leurs atouts nutritionnels, le plaisir gustatif que l’on en retirera et les aspects pratiques.

Aujourd’hui, on ferait donc mieux de considérer le soja et les produits qui en dérivent comme des aliments comme les autres, à intégrer si on les apprécie dans une alimentation équilibrée et diversifiée.

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV A Lyon, le monde des partis fête l’Union européenne – Libération
NEXT Sans le producteur Steve Albini décédé mercredi, il n’y aurait jamais eu de Nirvana