Le Festival de Cannes entre dans sa dernière ligne droite. Alors que le compte à rebours est lancé avant la remise de la prestigieuse Palme d’Or samedi, cette fin de festival est marquée par la présence sur le tapis rouge de deux “habitués” de la Croisette, venus présenter leurs nouveaux films en concours.
Le réalisateur allemand Wim Wenders, qui a déjà dévoilé cette année le documentaire expérimental “Anselm” en séance spéciale, a été chaleureusement accueilli jeudi 25 mai lors de l’avant-première de “Perfect Days”, une fable poétique centrée sur un employé des toilettes publiques de Tokyo .
Le Britannique Ken Loach, vétéran du festival qui compte deux Palmes d’or à son actif, est également de retour avec “The Old Oak”, dans lequel une petite ville du nord de l’Angleterre voit son quotidien bouleversé par l’arrivée des immigrés syriens.
Deux femmes sont également à l’honneur : la Française Catherine Breillat avec “L’été dernier”, une histoire d’amour transgressive entre une femme et son gendre de 17 ans, et Alice Rohrwacher dont le film “La Chimère” suit un gang des petits trafiquants d’art en Toscane.
Enfin, un autre événement a suscité un grand engouement sur la Croisette. La visite de l’exubérant réalisateur vedette Quentin Tarantino, venu donner une leçon de cinéma à ses fans.
Un rendez-vous organisé deux mois après la sortie de son livre, « Spéculations cinéma », dans lequel le réalisateur retrace ses débuts de cinéphile. Quentin Tarentino, en pleine préparation de son dixième long métrage, a également indiqué qu’il pourrait être le dernier.
Tarantino et sa masterclass
Jeudi, en milieu d’après-midi, une longue file d’attente obstrue le passage, le long du trottoir, devant le théâtre de la Croisette. Des fans du monde entier sont venus assister à la masterclass de leur grand maître du cinéma, Palme d’or en 1994 avec “Pulp fiction”.
Acclamé pendant de longues minutes à son arrivée sur scène, le cinéaste a lancé la projection, en 35 mm, d’un film surprise : “Rolling Thunder” (Légitime violence, 1977), film d’action du réalisateur américain John Flynn, peu connu du grand public , mais considéré par Quentin Tarantino comme “le meilleur film de vengeance de tous les temps”.
Après sept ans passés dans les prisons vietnamiennes, le major Charles Rane retourne dans sa ville du Texas. Accueilli en véritable héros, on lui offre une caisse pleine d’argent et une belle Cadillac rouge. Manque de chance, ces petits cadeaux attirent la cupidité d’une bande d’escrocs qui assassinent sa famille et mettent la main au sanibroyeur. Désormais affublé d’un bras en plastique orné de deux crochets, le major mi-homme mi-robot se lance dans une mission de vengeance, qui se terminera dans un bordel mexicain sous une pluie de cadavres.
Goût du kitsch et de la provocation
“Combien d’entre vous n’ont pas vu ce film ?” demande le réalisateur à la fin du film. La plupart des mains se lèvent. « C’est une sacrée bande de clients satisfaits », s’amuse-t-il.
Avec ce film, Quentin Tarantino a pris peu de risques, toutes ses influences sont là : l’ultraviolence, le goût du kitsch et la provocation. Les « Niakoués », les « Jap », les femmes… Tout le monde en prend pour son rang.
Parfois présente dans ses films, ce type d’invectives a d’ailleurs valu à Quentin Tarantino quelques polémiques. Le réalisateur Spike Lee lui avait reproché l’utilisation fréquente du mot “nègre” dans ses scénarios, tandis que Morgan Freeman avait au contraire pris la défense du réalisateur.
---Mais on retrouve aussi dans “Rolling Thunder” l’amour du détail, la gestion du rythme et la réplique bien sentie et drôle qui caractérise le cinéma de Quentin Tarantino.
« Pourquoi est-ce que je me retrouve toujours avec des cinglés ? » se demande la belle blonde qui accompagne le major dans son périple, lorsqu’elle découvre la raison de ce road-trip désastreux. “Parce qu’ils sont les seuls qui restent !” il répond du tac au tac.
La violence pour « électriser le public »
Cette projection est l’occasion pour le réalisateur de revenir sur sa conception de la représentation de la violence, décriée dans certains de ses films à cause de l’effusion de sang, qu’il affectionne particulièrement. Dans son livre, il explique que sa mère, très cinéphile, l’a laissé l’accompagner au cinéma dès son plus jeune âge et qu’il était souvent le seul enfant dans la pièce. Pour elle, la violence à l’écran n’était pas un problème, y compris pour son jeune fils, du moment qu’elle était comprise.
Tarantino, pour sa part, considère que la morale ne doit pas dicter l’esthétique d’un film. Le plus important est « d’électrifier le public », comme le disait le réalisateur américain Don Siegel, explique-t-il. “La violence avec laquelle j’ai un problème, c’est celle qui est mal faite, c’est de l’incompétence”, précise-t-il, expliquant que si cela “l’excite dans le mauvais sens” c’est parce que pour lui, ça nuit à l’histoire du film .
Le réalisateur affirme néanmoins, dans ce domaine, avoir une limite morale qu’il ne peut pas franchir : « Tuer des animaux pour de vrai dans un film », comme « cela a été beaucoup fait dans les films européens et asiatiques ». “Dont les insectes” précise-t-il, suscitant les rires de la salle gagnée à sa cause.
« Je ne paie pas pour voir la mort en vrai. On est là pour faire semblant, c’est pourquoi je peux supporter cette violence. Nous ne faisons que plaisanter, nous ne sommes que des enfants qui jouent, ce n’est pas du vrai sang et personne ne se blesse », conclut-il.
Un dixième film dédié à l’amour du cinéma
Lors de cette masterclass, le réalisateur a également affirmé sa préférence assumée pour les réalisateurs et les œuvres peu remarquées, ou non considérées à leur juste valeur, à l’image du choix du film “Rolling Thunder”, premier film d’un John Flynn inconnu du bataillon. . , qui n’était alors qu’assistant réalisateur.
De même, dans son livre, il exprime son amour pour Brian de Palma, son réalisateur fétiche des années 1980. populaire, pas mon style ! Personne ne se serait battu pour les défendre alors que certaines personnes n’aimaient vraiment pas De Palma. Une partie de mon amour, au-delà du fait qu’il était un grand réalisateur, venait de cette possibilité de s’embrouiller à le défendre, parfois sur le point d’en venir aux mains”.
Cette passion débordante pour le cinéma, Quentin Tarantino l’évoquait également en évoquant son dernier film “Once upon a time… in Hollywood”, sorti en 2019. Il disait que sa motivation première pour faire ce long métrage était d’avoir ‘aveven’ Sharon Tate , actrice et épouse de Roman Polanski sauvagement assassiné par des membres de la “famille Manson” dans les années 1970, en imaginant une fin alternative à cette tragédie.
Interrogé sur son nouveau film en préparation, une nouvelle ode au cinéma dont le personnage principal sera un critique de cinéma, Quentin Tarantino s’est montré beaucoup moins bavard : “Je ne peux rien vous dire les gars tant que vous n’avez pas vu le film”… Avant de titiller son public, provoquant des éclats de rire dans la salle.
« Je me sens assez à l’aise là-bas avec ce micro dans les mains, je suis tenté de vous faire quelques monologues des personnages en ce moment… Mais je ne vais pas, non, non. Mais je suis tenté… Peut-être s’il y avait moins de caméras ».
Ce dixième long métrage est d’autant plus attendu que le réalisateur a indiqué à plusieurs reprises qu’il pourrait être son tout dernier. “Affaire à suivre” a-t-il conclu.