« L’érotisme est une atmosphère » (Audrey Diwan, écrivaine)

« L’érotisme est une atmosphère » (Audrey Diwan, écrivaine)
« L’érotisme est une atmosphère » (Audrey Diwan, écrivaine)

LA TRIBUNE DIMANCHE – Les deux films sont profondément ancrés dans leurs époques respectives. Sont-ils toujours liés ?

AUDREY DIWAN – En 1974, le contexte politique était différent mais je n’en avais pas tenu compte : je voulais faire table rase du passé pour questionner le désir des femmes dans une société où l’on nous dit qu’il faut toujours jouir de tout, à travers un personnage qui porterait peut-être mes questionnements intimes. Pour cela, il fallait que j’aie les coudées franches, sans avoir à me référer au premier Emmanuelle. Je n’ai jamais voulu faire un film érotique, j’ai voulu partir de la solitude d’Emmanuelle, car elle résume assez bien l’expérience du monde contemporain : il faut gravir des montagnes, mais n’y a-t-il pas que la solitude au sommet ? J’ai essayé de faire un film sensoriel, sur quelqu’un dont le métier est d’évaluer tous les services d’un hôtel pour que le plaisir soit optimal. L’héroïne subit finalement les mêmes injonctions que l’hôtel : elle doit être parfaite. Je suis donc partie de sa solitude et de son corps, qui est comme une armure, pour me demander si on peut lâcher prise et comment les sensations reviennent dans son corps.

Emmanuelle (Sylvia Kristel, en 1974) dans son fauteuil iconique. (Crédits : © LTD / Orphée – Studio Canal)

La froideur parfaite du palais symbolise pour vous son désir étouffé ?

Le palais est un paradis artificiel ouaté qui répond au même « code narratif » que la pornographie, car le scénario est écrit à l’avance. L’érotisme est l’inconnu, alors que cet hôtel vous donne ce que vous désirez avant même de l’avoir voulu : il n’y a aucun espace possible pour projeter vos fantasmes et aucun autre fantasme que celui qui vous est dicté. On vous donne une satisfaction immédiate, comme dans la pornographie. À un moment donné, il faut que quelque chose « craque » pour que le désir renaisse dans la tête et dans le corps. Ouvrez les portes de l’hôtel pour vous rendre compte que la vie est ailleurs. Nous vivons une époque où la reconquête du plaisir est nécessaire.

Comment avez-vous trouvé votre façon de filmer l’érotisme ?

Il ne faut surtout pas chercher le consensus. Le film est un sujet de discussion, il provoque des réactions de rejet ou d’adéquation. C’est sa place. L’érotisme ne se trouve pas dans des corps sexualisés et nus : c’est une définition qui se rapproche de celle d’un film de sport, avec une scène de sexe toutes les vingt minutes. Pour moi, l’érotisme est une atmosphère. Il faut utiliser l’air comme une matière à sculpter, travailler l’érotisme des regards, d’une tempête ou des mots, capter ce moment où, dans une discussion, on réussit à mettre des mots sur son désir, en brisant les barrières de l’intimité, sans honte. C’est séduisant et excitant, une femme qui sait formuler son désir et dire « Je veux ça. » Dans mon film, tout est fait pour amener Emmanuelle à cet instant.

Le mouvement MeToo a-t-il changé notre vision de l’érotisme ?

Je veux le dire haut et fort : pour ce genre d’exercice, MeToo a apporté beaucoup de liberté sur le plateau. Il a redonné du pouvoir aux acteurs. On a travaillé avec des coordinateurs d’intimité pour définir notre territoire de travail. Il ne s’agissait pas d’isoler les scènes de sexe mais de leur donner une dramaturgie : sans cela, si on dit aux acteurs de « baiser », c’est comme si on leur demandait de nous donner leur propre intimité, et ça nous met dans une position voyeuriste qui enlève à l’acteur quelque chose qu’il ne voulait pas donner. On retrouve cette odieuse bataille entre le réalisateur et l’acteur dans beaucoup de cas scandaleux qui sont dénoncés aujourd’hui… La dramaturgie d’une scène de sexe permet à tout le monde sur le plateau de savoir ce qu’on fait. Et quand l’acteur a le contrôle, il gagne sa liberté : c’est lui qui choisit d’aller plus loin ou pas. Noémie Merlant « menait » vraiment des scènes, le cadreur la suivait et je n’avais qu’à les laisser faire. C’est possible aujourd’hui grâce à MeToo.

Avez-vous souhaité remplacer le « regard masculin » du premier Emmanuelle par un « regard féminin », souvent absent des films érotiques ?

Si le projet devait tenter d’inverser les codes, cela n’aurait aucun sens. J’aimerais que le film soit plus fort que la bannière MeToo qu’il est censé brandir. Je veux que les hommes viennent voir le film : je crois qu’on peut raconter comment le corps d’une femme s’éveille peu à peu et inciter les spectateurs à goûter à ce plaisir, au-delà du genre. Cela peut réveiller le désir chez chacun ! J’espère que les hommes pourront ressentir de l’excitation pour un film qui parle du plaisir des femmes, que l’orgasme féminin devienne autre chose que la simple validation de la performance de l’homme. Ce qui serait sans espoir : enfermer le film dans une case en disant que les hommes n’ont pas leur place dans la pièce. Après, venant de moi, c’était sûr que je n’allais pas le refaire Emmanuelle de 1974 et que mon film aurait cet élan féministe et ce désir de liberté ! La bonne nouvelle c’est qu’on va vers plus de féminité.

Emmanuelle, d’Audrey Diwan, avec Noémie Merlant, Will Sharpe, Naomi Watts. 1 h 47. Sortie mercredi.

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