« Je vois des routes, je vois des hôpitaux, je vois des enfants qui vont à l’école… » Non, Mokgweetsi Masisi ne lit pas l’avenir dans une boule de cristal mais à travers les 2 492 carats du diamant découvert en août dans la mine de Karowe, dans le centre du Botswana. Le chef de l’Etat, qui a présenté cette pierre précieuse à la presse le 22 août, ne sait que trop bien le profit que son pays de 2,7 millions d’habitants tirera de la vente de ce joyau, estimé à plus de 40 millions de dollars (plus de 36 millions d’euros). La pierre d’un demi-kilo serait le deuxième plus gros diamant jamais trouvé, selon plusieurs experts, et le plus gros depuis un siècle.
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L’histoire donne raison au président botswanais. Depuis l’indépendance en 1966, les ventes de diamants ont financé de nombreuses routes, hôpitaux et écoles dans ce pays grand comme la France. Le Botswana est le premier producteur d’Afrique et le deuxième au monde, derrière la Russie. Les pierres précieuses sont vitales pour son économie. Leurs ventes représentent environ 80 % de ses exportations, un tiers de ses recettes fiscales et un quart de son PIB, selon le Fonds monétaire international (FMI).
A deux mois de l’élection présidentielle – à laquelle il est candidat – Mokgweetsi Masisi a fait grand bruit en présentant ce nouveau joyau national. Devant les caméras de télévision réunies dans son bureau du State House, il inspecte méticuleusement cet objet rare, translucide, de la taille d’une balle de tennis. Il chausse des lunettes de bijoutier, grimace, s’exclame ” Ouah ! “ devant ses ministres réunis pour l’occasion. L’opération marketing est bien ficelée.
Pierres synthétiques
Car si le président se fait le vendeur de cette pierre précieuse d’un jour, c’est qu’il n’ignore pas que l’effondrement actuel de l’industrie du diamant menace l’économie du Botswana. Le marché du diamant est en chute libre dans le monde entier – les prix ont chuté d’environ 30 % depuis 2022 – suite à l’arrivée des pierres synthétiques. « Les diamants synthétiques ont dépassé les prix du marché et continuent de devenir de moins en moins chers »affirme l’historien des mines Duncan Money.
Ces nouvelles pierres, fruit d’un processus technologique en laboratoire, sont plus de dix fois moins chères que les diamants authentiques issus de l’exploitation minière traditionnelle. Une industrie dont la matière première est parfois difficile à tracer et est parfois qualifiée de « diamants du sang ». Aujourd’hui, une bague de fiançailles sur deux vendue aux États-Unis est surmontée d’un diamant synthétique. La Chine est en pointe sur ce segment : Pékin produit plus de 90 % des bijoux de culture du monde.
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La crise est telle que le géant minier Anglo American veut vendre ses parts dans De Beers (85%), premier producteur mondial de diamants. Les 15% restants sont détenus par Debswana, une joint-venture entre l’entreprise et le gouvernement du Botswana. Le pays d’Afrique australe est vital pour De Beers : le producteur de diamants y produit 70% de ses diamants. « De Beers et le gouvernement du Botswana sont liés par une dépendance mutuelle »résume Duncan Money.
Cuivre, nickel et manganèse
Les ventes de diamants bruts de Debswana ont chuté de 49,2 % au premier semestre. Les perspectives négatives du marché ont forcé Gaborone à réagir afin de tirer davantage de revenus de ses ressources. En 2023, après une longue lutte, Mokgweetsi Masisi a contraint De Beers à renégocier l’accord de vente. En vertu de l’accord initial, datant de 2011, l’entreprise recevait 90 % de la production de diamants bruts. Aujourd’hui, la part de Gaborone est de 25 % et passera à terme à 50 %.
Bien que classé parmi les pays à revenu intermédiaire de la tranche supérieure – aux côtés du Brésil, de l’Afrique du Sud et de la Chine – le Botswana pourrait être confronté à de graves turbulences économiques. « Nous prévoyons que la croissance ralentira à 1,1 % en 2024 contre 2,7 % en 2023, en grande partie en raison de la détérioration des perspectives du secteur du diamant. »déclare Emmanuel Kwapong, économiste à la Standard Chartered Bank. « Il faut mettre davantage l’accent sur la diversification »poursuit l’analyste, qui recommande « Des réformes favorables aux entreprises pour améliorer la compétitivité du Botswana dans des secteurs autres que celui du diamant ».
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Cependant, si, comme nous le rappelle Duncan Money, « La gestion économique du Botswana au cours des dernières décennies a été remarquable, notamment si on la compare à celle d’autres pays dont l’économie dépend de l’extraction minière. »ses réserves de métaux rares, cuivre, nickel et manganèse demeurent « en quantités insuffisantes pour compenser la perte de revenus générée par les pierres précieuses »Pour préparer l’après-diamant, le Botswana a créé en 1993 le Fonds Pula (du nom de la monnaie nationale) pour investir les excédents issus des ventes de pierres précieuses. Il gère aujourd’hui un portefeuille d’actifs de 4,1 milliards de dollars.