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le sort de la femme en vert

Elle s’éloigne. En chemin dans le parc, elle part pour son prochain rendez-vous. Tout est extraordinaire. Mais quoi exactement ? Ni sa silhouette de femme « d’âge moyen », ni ses vêtements, ni le décor et encore moins la situation – si l’on peut parler d’une situation pour une scène qui, chez pratiquement tous les autres cinéastes, il semble qu’il n’y ait rien. ça se passe là.

Et alors ? Alors exactement ça : la merveille du cinéma de Hong Sang-soo, la merveille du jeu d’Isabelle Huppert, la merveille démultipliée de leur rencontre.

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Le cardigan vert pomme sur la petite robe à fleurs bleues, le bas des jambes nu, la démarche sur les sandales à talons, le corps déjà petit qui rétrécit à mesure qu’il s’éloigne deviennent des aventures du regard, des propositions où soi-même assemble et reconfigure sans cesse des alliances. du burlesque et de la mélancolie.

À ce stade, le film démarre depuis une quinzaine de minutes. Nous avons rencontré Iris, cette française arrivée à Séoul on ne saura jamais comment ni pourquoi, et qui essaie de gagner sa vie en enseignant sa langue.

On a aussi fait la connaissance de ce gilet vert dès les premières images, qui nous atterrissent au milieu d’une conversation entre cette étrangère à l’allure un peu brusque et plutôt maladroite et sa première élève, une jeune femme cultivée (pleine de livres en arrière-plan). qui joue du piano en amateur.

Qu’avez-vous vécu ?

D’emblée, la couleur, très présente dans un environnement aux tons sourds, attire l’attention. Cette attention est soulignée par l’initiative d’Iris d’entourer son stylo d’un morceau d’adhésif de la même couleur. Ce n’est rien du tout, cela n’a aucune signification symbolique ni utilité narrative. C’est une note supplémentaire, qui redoublerait très vite la tonalité d’un motif qui parcourrait ensuite une fugue musicale.

En effet, la jeune femme est, à la demande de son tuteur, en train de jouer du piano. La question n’est pas de savoir à quoi elle joue ni même comment elle joue. Elle est dans ce que lui demande ensuite Iris, dans cet anglais très imparfait que les deux femmes parlent, différemment : “Qu’as-tu ressenti?” Et surtout, surtout, l’important est dans la difficulté de I-song à répondre.

Iris prend alors le stylo à monture verte pour écrire sur des petites fiches dans un français très sophistiqué des phrases qui commentent la situation vécue. Son élève devra les lire et les enregistrer sur un magnétophone.

Rien n’est expliqué, mais tout est là. On le comprendra encore mieux lorsque la situation se répétera quasiment à l’identique avec le deuxième élève, Won-joo. Elle est différente, plus mature. Cette productrice de cinéma est accompagnée de son mari, dans leur appartement bourgeois.

Le couple offre un verre à la femme qui va peut-être donner des cours. Iris réclame du makgeolli, ce vin de riz coréen à l’aspect laiteux, qu’elle boit avec entrain pour la grande joie de ses hôtes. Cette fois, c’est l’homme qui joue de la musique et c’est à lui que se pose la question des sentiments éprouvés, suscitant dans les mêmes termes la même incapacité à les exprimer.

Iris avec son deuxième élève (Lee Hye-young) et son mari (Kwon Hae-hyo) : entre l’alcool de riz et les blagues, l’incertitude sur la vérité des sentiments. | Caprices

Won-joo est clairement confus par la méthode d’enseignement peu orthodoxe (« Sans manuel ? –Sans manuel ! ») d’Iris. Une scène tout à fait unique se produit alors dans le cinéma de Hong Sang-soo. Iris nous explique l’esprit de sa « méthode », que l’on soupçonne improvisée par elle, elle qui n’avait jamais enseigné le français auparavant et ne s’en cache pas.

Mais quand elle dit qu’au lieu d’apprendre des phrases toutes faites comme dans les manuels scolaires, l’important est d’approcher les émotions, de percevoir leurs vibrations, et que pour cela il faut incarner les mots et les enregistrer, ce n’est pas difficile de comprendre aussi la méthode, ou la non-méthode, du cinéaste.

Sans manuel (c’est-à-dire sans scénario figé), sans répétition des « phrases toutes faites » des productions formatées qui inondent les écrans. Peut-être jamais auparavant Hong Sang-soo n’avait-il formulé de manière aussi explicite l’esprit de la mise en scène de ses films.

Dans ce monde d’aujourd’hui, mais aujourd’hui un peu décalé (pas de smartphone en vue), l’enseignement d’Iris joue le même rôle que le vert de son gilet, ou la singularité de sa façon de marcher : bouger ne serait-ce qu’un peu, vibrer.

Une inconnue pour raconter son histoire

Le voyageur montre aussi très bien ce qu’il faut pour faire du cinéma : un appareil d’enregistrement (le magnétophone), la poésie telle qu’elle existe dans le monde (on croisera deux fois un poème écrit dans l’espace public), de l’argent (on voit Iris se faire payer), rêves (Iris s’endort sur un rocher dans un parc).

Pour raconter l’histoire de son cinéma, Hong a besoin de parler à travers un étranger. Celui qui entraîne ses interlocuteurs sur des chemins d’expression qu’ils cachaient, et surtout cachés à eux-mêmes, est aussi celui qui fait parler le cinéaste lui-même, par cette voix au plus qu’un titre décalé, du voyageur et du actrice qui joue son rôle.

Grâce à elle(s), Isabelle/Iris, peut dire cette affirmation d’une recherche qui ne porte pas exactement sur ce qui est vécu, mais sur la capacité de le partager. Les personnages du film éprouvent des sentiments, parfois douloureux ou angoissants. Chacun de ceux qui apparaissent a un lien intime avec la musique, qu’il pratique en amateur mais avec un engagement émotionnel.

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Comme Hong Sang-soo, le personnage d’Iris n’est absolument pas en position de maîtrise, de contrôle sur ce qui se passe.

Dans les rues et les parcs, les textes des poèmes gravés sur les murs ou sur les pierres confirment que la difficulté à exprimer ses sentiments ne reflète en rien une insensibilité généralisée. Au contraire!

Grâce à la présence de ce corps étranger, une Française en Corée, mais dont l’interprétation par l’actrice et la manière de la filmer par le réalisateur augmentent et déploient l’étrangeté, c’est une gamme de relations, d’émotions, de questions qui s’ouvrent. .

Comme Hong Sang-soo, le personnage d’Iris n’est absolument pas en position de maîtrise, de contrôle sur ce qui se passe. Elle ne parle pas la langue de ses interlocuteurs, elle ignore une grande partie de leurs coutumes – mais elle fait preuve d’une sorte de gourmandise à leur égard, qui se reflète dans son penchant pour le makgeolli ou la façon dont elle dévore un bibimbap, sans y avoir renoncé. qui elle est, comme en témoigne le menu des repas pris avec le jeune homme avec qui elle vit.

Humour un peu absurde, un peu coquin, un peu tendre

Elle semble agir au gré de son inspiration, avec un mélange de naïveté, d’obstination et d’absence de retenue qui invente littéralement le chemin qu’elle va suivre – exactement comme Hong Sang-soo réalisant ce film, mais aussi ses trente films précédents Depuis Le jour où le cochon est tombé dans le puits en 1996, dont deux avec Isabelle Huppert, Dans un autre pays et L’appareil photo de Claire. Et comme ce qui suit, Au bord du ruisseau, déjà terminé et présenté dans des festivals.

Le choix d’Iris de jouer de la flûte assise sur un banc de parc est aussi dénué de motivation et pourtant plein de potentiel que la décision du réalisateur, qui est son propre caméraman, de zoomer sur un gros chien blanc attendant sa nourriture sur le balcon. Les orteils d’Iris dans le ruisseau ont l’existence nécessaire et contingente du redoublement de couleur verte du gilet et de la peinture qui recouvre une terrasse de réunion.

Devant la grande pierre où s’inscrit un poème, l’écriture de petits textes inattendus avec lesquels Iris incite à sortir des sentiers battus. | Caprices

Ainsi, le personnage d’Iris et la manière dont Isabelle Huppert l’interprète élève le cinéma tel que le pratique Hong, grâce à ce côté aventureux mais nourri uniquement d’événements triviaux. Le ton est ludique, y compris et surtout lorsqu’il côtoie l’inquiétude, la tristesse, la solitude, la difficulté à vivre.

Iris n’a pas d’argent, ne connaît presque personne, n’a pas de logement, sa situation n’est pas particulièrement heureuse. Chemin faisant, on sent malaise et déception chez la plupart de ses interlocuteurs : le premier étudiant à se remettre de la perte de son père, le musicien assigné par sa femme à un rôle qui ne lui convient pas, le jeune homme en porte-à-porte -porte mal avec sa mère comme avec cette femme plus âgée avec qui il entretient une relation incertaine…

Pas d’irénisme donc dans la description proposée par le film – comme pratiquement tous les films de Hong Sang-soo, où la mort, la solitude, l’incompréhension, la perte du respect de soi refont si souvent surface dans des histoires apparemment légères. .

Pourtant, l’imprévisibilité au détour de chaque plan, les effets troublants des répétitions de situations et de mots, l’humour un peu absurde, un peu coquin, un peu tendre des répliques, instaurent un état à la fois inattendu et inattendu. « du plaisir et des ennuis qui offrent l’expérience la plus agréable au spectateur.

Grâce à Le Voyageur, Chacun est ainsi emmené à son tour dans un voyage, où l’on ne savait pas à quel point on aimerait aller, et qui se révèle à chaque fois si proche, si puissamment en résonance avec l’endroit où l’on se trouve réellement.

Le voyageur

de Hong Sang-soo

avec Isabelle Huppert, Lee Hye-young, Kwon Hae-hyo, Ha Seong-guk, Jo Yoon-hee

Durée : 1h30

Sortie le 22 janvier 2025

 
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