Nous étions au Festival International du Film Fantastique de Paris, PIFFF en abrégé, et nous y avons vu de très bons films. Retour sur 5 d’entre eux.
Du 4 au 10 décembre, le grandiose cinéma Max Linder à Paris a accueilli le Festival International du Film Fantastique de Paris. Cette année, largement sponsorisée par la plateforme Shadowz, elle proposait une compétition de courts métrages français et étrangers, une sélection allant du documentaire à la comédie minimaliste à la limite de l’absurde (l’auteur de ces lignes n’oubliera pas de sitôt la projection lunaire de Ébène et ivoire), ainsi qu’une compétition de longs métrages composée de premiers ou deuxièmes films.
Une fois de plus, Écran Large était de la partie. Nous avions déjà consacré des articles aux frénétiques Ick de Joseph Kahn, avec une jolie Daniela pour toujours de Nacho Vigalondo, ainsi que l’effrayant Coucou par Tilman Singer. Mais ceux-ci sont loin d’être nos seuls coups de cœur de cette édition. En voici 5.
Tu es l’univers
Nous l’avions déjà défendu lors de sa comparution aux Utopiales de Nantes, dont il repartait avec le prix du public. Et bien il a eu exactement le même succès au PIFFF, lauréat de l’Œil d’or (décerné par le public), ainsi que du prix Ciné+ Frisson (qui lui garantit a priori une diffusion française), à l’issue d’un concours. cela semble féroce. Il faut dire que la sélection cette année était effectivement de qualité. Mais comment rivaliser avec un tel film ? conçu pour rouler lors de festivals ?
Voiture Tu es l’univers, c’est aussi une histoire impressionnante de persévéranceattirant la sympathie presque instantanément. Son directeur, Pavlo Ostrikov, est ukrainien. Il a donc dû réaliser son film de science-fiction dans des conditions tellement difficiles qu’il n’a jamais rencontré en personne l’un de ses deux interprètes principaux !
Son ambition est d’autant plus remarquable que le long-métrage raconte l’histoire de deux humains qui vont tout faire pour se retrouver, alors que le monde a été littéralement anéanti par la guerre. Un pitch qui peut paraître un peu niais, mais qui lance en réalité une comédie douce-amère, certes imparfaite, mais d’une sincérité désarmante. Et bien sûr, la finale émotionnellement dévastatrice termine sa démonstration en beauté…et lui garantit quand même de nombreuses récompenses.
Société des talents morts
Quand Monstres & Cie rencontre Jus de Beetle. C’est ainsi qu’il a été présenté Société des talents mortset c’est le meilleur crossover que nous puissions espérer. La créativité (sans parler de la folie) du cinéma taïwanais n’est plus à démontrer, et le film de John C. Hsu s’y inscrit à travers un concept ravageur, teinté d’une préoccupation sociétale très moderne.
Même dans le monde des morts, il faut gagner sa place dans un système capitaliste où la concurrence est reine. Pour éviter de disparaître une fois que les proches les ont oubliés, les fantômes peuvent hanter les vivants, et devenir la prochaine grande légende urbaine partagée dans les médias. En plus de se moquer gentiment des vidéos pseudo-horribles des influenceurs, Société des talents morts incarne avec beaucoup de tendresse la peur d’une célébrité du style course tendance Boulevard du Crépuscule.
Face aux univers cinématographiques libéraux, obsédés par les succès et les success stories, Le film de John C. Hsu est une ode douce-amère aux vies simplesqui n’ont pas besoin d’un objectif de vie pour y trouver un sens. Cette pensée, qui fait beaucoup de bien, a surtout le mérite de nous prendre pour un traître, et de nous émouvoir au milieu des séquences plus drôles et burlesques du long-métrage. Mais ce sont précisément ces ruptures de ton qui le rendent si unique.
Route du Désert
Nous commençons à connaître les films en boucle temporelle, mais Route du Désert se démarque dès ses premières minutes par son décor hypnotique, une route perdue dans l’Ouest américain d’où émergent seulement une ancienne usine et une station-service. C’est cet horizon auquel se confronte une jeune femme (qui ne sera jamais nommée, mais brillamment interprétée par Kristine Froseth), même si le sien semble bloqué. De retour de Californie à cause d’une carrière de photographe qui ne décolle pas, la voilà coincée sur cette route éternelle après un accident de voiture.
On devine que le film de Shannon Triplett (entre autres productrice de Godzilla de Gareth Edwards) utilisera son procédé pour permettre à son héroïne de se reconstruire, tout en jouant avec la dimension puzzle de son intrigue. C’est tout l’éclat de Route du Désertoù la méfiance logique d’une femme à l’égard d’un monde extérieur hostile composé seulement de quelques hommes se transforme peu à peu en une introspection vertigineuse. Un peu comme dans Société des talents mortsil s’agit du poids lourd de nos sociétés contemporaines sur la « valeur » de nos vies, et sur l’insatisfaction de ne pas avoir d’impact sur les autres.
De ce vertige existentiel, Shannon Triplett manie les tons avec beaucoup de finesse, entre les pulsions horrifiques de sa narration, l’humour et l’émotion brute. Le long-métrage doit beaucoup au talent magnétique de Kristine Froseth, ainsi qu’à l’évolution d’une histoire émouvante, où le personnage se rend compte que son blocage spatio-temporel a eu des conséquences concrètes sur d’autres vies. Ce qu’elle doit corriger, ce n’est pas seulement son propre chemin, mais celui de ceux qui gravitaient autour de sa prétendue solitude.
Échapper au 21e siècle
En 1999, trois adolescents tombés dans une eau toxique ont obtenu la capacité de voyager dans le -, ou plus précisément de se projeter dans leur futur corps, en 2019. Clairement, on sent que le montage tous azimuts de Daniels sur Tout partout en même - fait des bébés. Entre ses changements drastiques de ratio et de photographie, et la mise en place de passages animés dans le mix, Échapper au 21e siècle veut être agressif avec son concept de science-fictionmais parvient néanmoins à conserver une clarté étonnante, même dans ses détours délirants.
Toujours inventif, que ce soit dans l’humour, l’action ou le drame, le film de Yang Li nous propulse dans un véritable cocktail de pop culture débridée, où l’adolescence insouciante se confronte à un avenir peu radieux et au désenchantement qui accompagne la vieillesse. L’ensemble pourrait se contenter de saisir le spectateur par le col et de le secouer, mais le cinéaste n’oublie jamais la ligne directrice de ces destins croisés, en quête de sens et d’émancipation face au drame qui les attend.
Échapper au 21e siècle a déjà été pas mal comparé à la boulimie stylistique d’Edgar Wright, et il est vrai que sa frénésie se veut tout aussi stimulante. Et comme le directeur de Scott Pèlerin, il garde toujours en vue le petit coeur battant de son scénariofilmer avec vigueur cette jeunesse qui découvre les affres de l’âge adulte, sans abandonner.
La règle de Jenny Pen
La règle de Jenny Pen a été mis hors compétition. Il s’agit cependant du deuxième long métrage de son réalisateur James Ashcroft. Peut-être que cette qualification vient de son casting, plus que prestigieux. Geoffrey Rush incarne un ancien juge placé dans une maison de retraite, qu’il retrouve sous la coupe d’un vieux sociopathe incarné par John Lithgow. S’engage alors un violent affrontement, empruntant délibérément beaucoup au genre carcéral, parce que le film s’attaque évidemment au traitement social de la vieillesse.
Il va sans dire que les acteurs sont absolument exceptionnels et ce duel particulièrement retors, s’attaquant à nos nerfs avec une efficacité indéniable. Mais la grande force du long-métrage, c’est qu’il n’est pas satisfait de ce thèmeet le relie aux autres de manière assez organique. Ashcroft étant Néo-Zélandais, il dépeint aussi une ségrégation qui imprègne encore la « bonne société », au point d’épuiser les héros nationaux.
Et surtout, il n’esquive jamais les multiples questions autour de la vieillesse et place son spectateur dans une place rare au cinéma : celle d’un personnage qui prend peu à peu conscience de sa sénilité à un moment où il se bat justement pour survivre. Un pur film d’horreur doublé d’un drame humain palpitantdont on se demande comment il n’a pas eu plus de raisonnement, surtout à Hollywood. Peut-être que certaines histoires sont plus intéressantes que d’autres…
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