Il semble un peu plus confiant. Dans quatre longs métrages, Paul Kircher a prouvé qu’il n’était pas seulement un « fils de », celui de l’actrice Irène Jacob et de l’acteur Jérôme Kircher. Dans « Leurs enfants après eux », il se fait remarquer par son talent et sa touchante maladresse. Cette adaptation du roman de Nicolas Mathieu, ancrée dans les années 1990, raconte la vie pas forcément drôle d’adolescents d’Épinal, dans une région en voie de disparition.
Les perspectives sont moroses, on est jaloux les uns des autres, surtout lorsqu’une jolie fille (la géniale Angelina Woreth) vient mettre à mal toutes les certitudes. Une ode à l’adolescence portée avec grâce par Ludovic et Zoran Boukherma. On retrouve Paul Kircher un mercredi d’octobre, arrivant à vélo d’un précédent rendez-vous. Il vit toujours avec ses parents et son frère Samuel, également comédien, dans le quartier des Abbesses. L’acteur tente de laisser sa timidité au placard, et très vite, comme si c’était une évidence, la familiarité s’impose. A 22 ans, Paul Kircher est encore un peu jeune pour jouer au gentleman.
Contrairement à “Hate”, mon personnage a 14 ans
Paul Kircher
Paris Match. Ludovic et Zoran Boukherma ont choisi d’adapter le roman de Nicolas Mathieu, lauréat du prix Goncourt 2018. L’avez-vous lu ?
Paul Kircher. Je l’ai découvert en même temps que le scénario. C’est incroyable de voir comment ils ont réussi à transmettre l’énergie du livre dans leur film. On retrouve la fureur de vivre de ces adolescents, mais aussi cette touche rock’n’roll qui secoue la petite ville dans laquelle ils grandissent.
Le roman comme le film regorgent de références aux années 1990. Il y a notamment cette scène où l’on se regarde dans un miroir, pistolet à la main, qui évoque la « Haine ».
Je n’ai pas été inspiré par une scène spécifique. Contrairement à « Hate », mon personnage a 14 ans. Celui de Vincent Cassel a la vingtaine. Quand je tiens ce pistolet dans ma main, c’est comme un enfant jouant au cow-boy avec un pistolet-jouet. Il essaie de s’inspirer de ses idoles de jeunesse, aussi masculines que Rocky Balboa et Bruce Lee. Il agit avec fierté, jusqu’à se retrouver face à Hacine, son ennemi.
Juliette Binoche et Ludivine Sagnier ont partagé avec moi beaucoup de ce qu’elles sont
Paul Kircher
Vous avez également pu vivre l’expérience des qualifications des Bleus pour la finale de la Coupe du monde 1998, alors qu’en réalité vous n’êtes pas né.
Je dois avouer que je ne suis pas un grand fan de football, même si ma famille est toujours passionnée… Mais c’était absolument incroyable de pouvoir me plonger dans ce décor et cette ivresse tricolore. Il y avait quelque chose de magique, de presque intemporel. J’ai eu l’impression que certains éléments du livre reprenaient vie. Comme des fantômes. D’autant plus qu’il y avait une folle brume ce soir-là.
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Anthony, votre personnage, a un lien très fort avec sa mère. Tout comme celui que vous avez incarné dans « Le Lycéen » de Christophe Honoré. Qu’est-ce que cela signifie pour vous ?
C’était merveilleux de recevoir autant de gentillesse de la part de Juliette Binoche puis de Ludivine Sagnier. Ils ont partagé avec moi une grande partie de ce qu’ils sont. Ce que je trouve intéressant dans ces relations, c’est que la mère et le fils se trouvent à des moments différents de leur vie. Ils n’ont pas les mêmes pensées ni les mêmes préoccupations, mais cela ne les empêche pas de faire équipe, de s’entraider ou de se taquiner. Cela me rappelait parfois ma mère.
Il n’y a absolument aucune concurrence entre Samy et moi, bien au contraire. On s’entend vraiment bien
Paul Kircher
Est-ce elle qui vous a transmis cette passion du cinéma ?
Mes deux parents m’ont donné le plaisir de jouer. Quand nous étions petits, Samuel et moi passions notre temps dans les coulisses des théâtres, à fréquenter les acteurs… Nous vivons toujours tous ensemble, même si les moments entre nous quatre sont devenus très rares. Tout le monde est occupé, chacun fait ce qu’il veut. Ce qui est bien, c’est qu’ils me comprennent. Même si nous vivons tous sur notre planète !
Lors de la cérémonie des César 2024, vous avez été nominé dans la même catégorie que votre petit frère Samuel. Il a présenté son premier film, “L’été dernier”, et vous, “Le Règne Animal”.
Nous étions très heureux de vivre cela ensemble, devant notre mère installée dans le public pour nous soutenir. Tout est encore nouveau pour nous. A tel point qu’on ne l’a pas vu venir ! Il n’y a absolument aucune concurrence entre Samy et moi, bien au contraire. On s’entend vraiment bien. Nous partageons même notre compte Deezer, donc quand l’un écoute, ça coupe l’autre. [Il rit.] Évidemment, ce qui m’intéresse, c’est la musique qu’il aime… J’aime beaucoup les Strokes ou les Arctic Monkeys, mais j’aime aussi les chansons de Nick Drake, dont je trouve l’histoire fascinante. Si je devais jouer la biographie de quelqu’un, ce serait celle de ce musicien britannique, décédé avant de connaître le succès.
Je n’avais pas vraiment de culture cinématographique. J’avais vu quelques films, mais je ne me souvenais même pas de leurs titres. Le chantier me paraissait immense
Paul Kircher
Pour vous, le cinéma a-t-il toujours été une évidence ?
Pas vraiment. J’ai découvert la scène à travers la musique. Au lycée, je me suis inscrite à un cours de chant parce que j’étais impressionnée par un spectacle de fin d’année. Mes camarades m’avaient émerveillé. Quelque temps plus tard, en CE2, mon professeur m’a fait chanter « Are You Gonna Be My Girl » de Jet. J’avais l’impression d’avoir 10 ans, j’étais si petite… Le rock m’a permis de me découvrir. Ensuite, j’ai joué dans plein de groupes différents.
Comment avez-vous décroché votre premier rôle ?
Par hasard. Un ami de mon père travaillait sur une série. J’ai passé les castings, mais ça n’a pas marché. Le directeur de casting m’a recontacté pour un autre projet. J’ai tourné “T’as pécho ?” l’été avant de commencer l’université. Je faisais de la géo à Diderot… [Il sourit.] Après cette première expérience, j’ai commencé à passer des auditions et à regarder beaucoup de films, car je n’avais pas vraiment de culture cinématographique. J’en avais vu quelques-uns, mais je ne me souvenais même pas de leurs titres. Le chantier me paraissait immense.
Requiem for a Dream” m’a profondément marqué.
Paul Kircher
Par quoi as-tu commencé ?
Mon père m’a conseillé de regarder « Two Lovers » et « The Night Belongs to Us » de James Gray. C’était un véritable coup de coeur, alors j’ai dévoré tous ses films, puis ceux de Sidney Lumet. J’ai ensuite découvert le travail des frères Dardenne, puis celui de Jacques Audiard. Aujourd’hui, je suis fan de « Arizona Dream », d’Emir Kusturica, et de « Last Days », de Gus Van Sant, avec qui je rêve de travailler. Et aussi « Requiem for a Dream », auquel je pense souvent et qui m’a profondément marqué.
En septembre dernier, le jury de la Mostra de Venise, dont James Gray était membre, a décidé de vous décerner le prix révélation. Qu’est-ce que ça fait d’être devant lui ?
Quand nous regardions le film, j’ai eu du mal à réaliser qu’il était au cinéma. Je n’arrêtais pas de me dire : « C’est incroyable. C’est incroyable. J’étais tellement fier que les jurés ont décidé de me décerner ce prix, même si les trophées ne peuvent pas être un objectif en soi. En fin de compte, les récompenses ne veulent pas dire grand-chose.
On fait un travail assez dérangeant… Le minimum c’est que tout le monde se sente en sécurité sur le plateau
Paul Kircher
Que pensez-vous de #MeToo et de la révolution que connaît le cinéma ces dernières années ?
Ce ne sera plus jamais pareil. Lorsque j’ai assisté au discours de Judith Godrèche, lors de la dernière cérémonie des César, et que j’ai vu l’enthousiasme du public, je me suis dit qu’il était impossible que le message ne soit pas compris. Ses paroles éclairent les gens. J’ai confiance dans ce qui se passe. Tout change. On fait un travail assez dérangeant… Le minimum c’est que tout le monde se sente en sécurité sur le plateau.
As-tu interrogé tes parents à ce sujet ? Tout était bien plus tabou à leur époque…
Ils en parlent eux-mêmes parfois, et nous racontent de vieilles anecdotes. Mais jamais rien de sexuel.
Dans « Leurs enfants après eux », il y a plusieurs scènes d’amour. Comment les avez-vous abordés ?
Généralement, je n’y pense pas trop, et puis, la veille, je commence à être un peu stressée. La première prise est toujours un peu bizarre, mais comme tout est très chorégraphié, ça s’améliore vite. Une fois la danse des corps bien intégrée, je trouve intéressant de travailler son personnage dans ces moments intimistes. Cela permet d’exprimer de nouvelles choses. C’est vraiment bien qu’on fasse attention à ce qui se passe pendant le tournage de ces scènes d’amour, qu’il y ait beaucoup d’avertissements. Un cadre de sécurité est essentiel pour se sentir plus en confiance.
J’ai l’impression que ce travail peut m’enthousiasmer pendant longtemps, donc aussi longtemps qu’on aura besoin de moi, je serai là
Paul Kircher
Comment vit-on la célébrité à 22 ans ?
Pour l’instant, j’y vois une opportunité : cela me permet de faire ce que j’aime et de rencontrer beaucoup de monde. Ce qui me fait peur, c’est que cela puisse me changer. Ou fais-moi agir différemment. Au Festival de Cannes ou à la Mostra de Venise, par exemple, on ressent une montée d’adrénaline très intense. Je pense qu’il ne faut pas constamment courir après ces sensations. Depuis quelques jours, tout le monde vous veut. Pour redescendre, cela demande un travail sur soi. Il faut prendre le temps de se comprendre.
Le cinéma sera-t-il toujours dans votre vie ?
Je suis quelqu’un qui a du mal à se projeter. Là, je me concentre sur le film d’Hubert Charuel, « Météors », dans lequel je donne face à Salif Cissé et Idir Azougli. Je joue le rôle d’un jeune journaliste. L’adolescence est derrière lui, c’est donc très différent de mes films précédents. Cette fois, mon personnage fait écho à ma situation. Mes rôles évoluent au fil des années. J’ai l’impression que ce travail peut m’enthousiasmer pendant longtemps, donc aussi longtemps qu’on aura besoin de moi, je serai là. Dans les moments plus calmes, j’ai l’impression que je dois faire les choses par moi-même. Le but n’est pas d’échapper à l’industrie du cinéma, mais je ne veux pas être celui qui reste collé à son téléphone à attendre qu’on l’appelle. Je pense qu’il est important de construire autre chose ailleurs. Je fais un travail où on peut parler de toute la ville un soir, et le lendemain, plus rien.
SES PREMIERS PAS AU THÉÂTRE
En foulant les planches du Théâtre de la Porte Saint-Martin, Paul Kircher entend renouer avec ses racines : « J’étais dans le ventre de ma mère lorsqu’elle jouait sur scène. J’ai fait mes premiers pas dans les vestiaires. Mon enfance a été bercée par le théâtre. » Lorsque Christophe Honoré envisage de remettre en scène sa pièce « Les idoles », six ans après sa création, il propose à celui qu’il avait choisi dans « Le lycéen » le rôle de Bernard-Marie Koltès. «C’est un personnage inspirant, chez qui il y a beaucoup de mystère», précise Paul Kircher. Dans « Les Idoles », l’auteur et réalisateur rend hommage à six personnalités, toutes mortes du sida dans les années 1990. « J’aime beaucoup le travail de Christophe, je suis fan de toutes ses pièces. Pour l’instant, je n’ai répété qu’une seule fois, mais la troupe me donne beaucoup de conseils. Les acteurs sont super. Mais oui, c’est la première fois que je monte sur scène et je sais que je vais avoir le trac. »
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