Les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) s’ouvrent mercredi avec Préparatifs pour un miraclede Suisse Tobias Nölle. Ce film hybride, mêlant images documentaires et récit fictionnel, est raconté du point de vue d’un robot androïde visitant l’Europe contemporaine, venu d’un futur où la race humaine s’est éteinte, laissant la place aux machines. En quête de réponses existentielles, il tente de comprendre les personnages qui croisent son chemin.
L’automate se retrouve d’abord à une conférence technologique, à la recherche d’autres machines avec lesquelles il peut converser. Il est ensuite dirigé vers une manifestation contre la déforestation, puis vers les abords de la mine de Hambach, en Allemagne, l’un des sites les plus polluants d’Europe. Le narrateur androïde sympathise alors avec les militants dénonçant l’agrandissement de la mine. La caméra, qui nous transporte au cœur de violents affrontements avec la police, expose ainsi la toute-puissance des industries et la précarité de la nature face au développement technologique.
Joint au téléphone quelques jours avant son séjour au Québec, Tobias Nölle, qui ne faisait jusqu’ici que de la fiction, explique s’être tourné vers le documentaire « par nécessité ». « C’est devenu un peu un cliché comme motif, mais c’est la pandémie qui m’a inspiré », dit-il. En voyant le monde s’arrêter autour de moi, j’ai eu l’idée d’interpréter la vie sur Terre du point de vue d’un extraterrestre. Pour rester actif pendant qu’un de mes projets était interrompu, je quittais chaque jour ma maison avec mon appareil photo, me demandant comment un androïde percevrait ma réalité. »
Fable écologiste
Malgré la gravité des sujets qu’il aborde, le cinéaste garde un ton léger tout au long du film, insérant des réflexions à la fois poétiques et humoristiques de son narrateur entre des scènes de manifestations ou d’expropriation de paysans. «Pendant le tournage, je me suis beaucoup amusé. Je pourrais par exemple filmer très longtemps un seul arbre, en me concentrant d’abord sur ses formes esthétiques. »
Tobias Nölle parvient donc parfois à nous faire rire, mais on rit – les paysages désolés et les machines monstrueuses de cette histoire pré-apocalyptique rappelant l’imminence des catastrophes environnementales qui nous attendent. « J’ai la chance de mener une vie privilégiée, dans un pays qui n’est pas encore trop touché par le changement climatique », explique-t-il. Mais en filmant ce qui se passait autour de moi, j’ai croisé de jeunes militants prêts à tout pour dénoncer l’extractivisme, et j’ai trouvé qu’ils avaient raison de s’inquiéter. J’ai voulu l’exprimer, sans être cynique, toujours avec une certaine poésie. »
Le réalisateur de fiction qui préfère habituellement « garder le contrôle » de ses histoires a également dû faire face à l’imprévisibilité du terrain. Entre autres, parce que certaines manifestations qu’il a filmées ont été médiatisées, Tobias Nölle s’est rendu en première ligne, entre policiers et militants, contrairement aux journalistes qui sont restés plus en retrait. « J’avais peur d’être mal accueilli par les jeunes manifestants, mais quand je leur ai expliqué que j’étais un androïde du futur, ils ont joué le jeu avec humour et m’ont fait confiance, probablement plus que les journalistes traditionnels. »
Films hybrides
Une telle démarche, bien qu’accidentelle en raison de la pandémie, reflète une tendance majeure du documentaire contemporain, où des éléments de fiction sont intégrés dans des plans réels de terrain. Les RIDM proposent également depuis longtemps ce type de film hybride. Cette année encore, ils sont présents dans presque toutes les sections du festival.
Le film collectif britannique Le bassin de votetourné en super 16 mm, révèle les perceptions d’un groupe de personnages neurodivergents, interprétant la réalité avec espièglerie et poésie. L’hybridité peut également correspondre à la variété des sources d’images utilisées. Dans les films Quelque chose de vieux, quelque chose de nouveau, quelque chose d’emprunté (Hernán Rosselli), Vinaigre de cidre de pomme (Sofie Benoot) et La salle des ombres (Camilo Restrepo) en compétition internationale, les cinéastes associent archives familiales ou images médiatiques à leurs propres scènes documentaires.
Pour Tobias Nölle, l’hybridité est aussi l’opportunité de « projeter des problématiques du monde réel dans un univers parallèle ». « J’espère en tout cas que les sujets que j’aborde dans mon film, que j’aurais certainement pu traiter avec une approche purement fictionnelle, auront ainsi d’autant plus d’impact. »
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