Avec FrissonsLe réalisateur David Cronenberg a posé les bases de toute sa future filmographie, mais aussi d’un sous-genre d’horreur passionnant : l’horreur corporelle.
Au début des années 1970, David Cronenberg commence à se faire remarquer sur les circuits indépendants après avoir réalisé Stéréo et Crimes du futur. Il faudra cependant attendre 1975 et son long-métrage choc Frissons pour que le cinéaste canadien commence à toucher un public plus large. Dans cette œuvre radicale, le jeune réalisateur continue d’explorer les thèmes de ses œuvres précédentes et pose les bases de toute sa filmographie avenir.
Mais bien au-delà d’une simple ébauche annonçant des films plus aboutis, Frissons aura une influence beaucoup plus large sur le cinéma de genre. En fait, ce long métrage sera contribuent grandement à définir les codes de l’horreur corporelleun sous-genre d’horreur qui continue de fasciner le public et les cinéastes cinquante ans plus tard. Comment ce film à petit budget, à la limite parfois de l’amateurisme, a-t-il défini à lui seul un sous-genre ?
SCIENCES INHUMAINES
On retrouve des traces d’horreur corporelle depuis près de deux siècles. En effet, il est généralement considéré que l’horreur corporelle a trouvé ses premières inspirations dans la littérature, avant même d’être reconnue comme un sous-genre à part entière. Le roman Frankenstein de Mary Shelley est un exemple évident d’histoire jetant les bases de ce qui définirait le sous-genre, à savoir une réflexion sur les mutations et déformations du corps humain poussée jusqu’au grotesque.
A noter que l’auteur explore également un deuxième axe très important de l’horreur corporelle. Ses caractéristiques romanesques expériences scientifiques déviant remettant en question la nature même de l’être humain. De nombreuses œuvres s’inspireront des écrits de Mary Shelly, en littérature puis au cinéma. Des films comme Le monstre de Val Guest en 1955 commencent à se rapprocher un peu plus de ce qui allait devenir l’horreur corporelle.
Mais c’est bon Frissons en 1975 qui semble démocratiser ce sous-genre tant il incarne tous ses aspects fondamentaux. Tout d’abord, David Cronenberg respecte scrupuleusement les deux axes explorés par Frankenstein. Son long métrage se concentre sur un parasite provoquant des mutations psychologique mais aussi physique absolument dégoûtant. Il est important de noter que le parasite en question est issu d’une expérience médicale douteuse. Les corps mutilés et la science mal exploitée constituent donc la base du récit.
Ce réflexion anxiogène sur les expériences scientifiques suivra le cinéaste tout au long de sa carrière. On peut penser notamment à Chromosome 3 ou même La mouche. Mais c’est aussi un thème crucial de l’horreur corporelle en général. Que ce soit dans Au-delà de la réalité, Réanimateur ou dans le film choc de l’année Le fondde nombreux cinéastes profiteront de ces clés de lecture pour développer leur vision du sous-genre.
Lorsqu’il s’agit de représenter à l’écran mutations et monstruosités, David Cronenberg limite les effets gore dans Frissons par manque de budget. Cela n’empêche cependant pas le cinéaste de proposer plusieurs visions cauchemardesques difficiles à oublier. Et au-delà même des effusions gore, le long-métrage repose sur une suggestion parfois encore plus inquiétante. On pense notamment à la séquence durant laquelle Nick s’adresse au parasite que l’on sent sous sa peau.
ÉROS ET THANATOS
L’horreur corporelle est également traversée par de nombreuses œuvres qui explorer le corps dans sa dimension la plus érotique et charnelle possible. Là encore, Frissons jette les bases de ce thème de sous-genre. Le film de Cronenberg ne se gêne pas et profite de la libération sexuelle des années 70 pour repousser toutes les limites de ce qui peut être montré à l’écran. Ce n’est pas un hasard si l’un des titres provisoires du long métrage était Orgie des parasites du sang.
A plusieurs reprises, le réalisateur semble utiliser son histoire d’un parasite à forme phallique et qui décuple les pulsions sexuelles comme prétexte à renverser les tabous de l’époque. Qu’il s’agisse des relations homosexuelles, de la question du désir chez les personnes âgées ou encore des pratiques sadomasochistes, Frissons dépeint des sexualités multiples et non normées.
Il ne s’agit pas de faire un film simplement provocateur ou bêtement accrocheur. Cronenberg utilise cette totale liberté de ton pour poser un regard étonnamment complexe sur la morale de son époque. Le cinéaste nous fait réfléchir sur cette opposition entre pulsions primaires et normes sociales. Il explore également la notion de consentement, que ce soit à travers le couple de Nick et Janine ou lors d’une terrifiante séquence de bain avec le personnage de Betts.
En assumant de mettre en scène d’autres sexualités, considérées à l’époque comme déviantes ou immorales, Frissons ouvre également la voie à l’horreur corporelle en termes de défier les normes morales. Preuve de ce précieux héritage, on a assisté récemment à des œuvres radicales comme Titane et Le fond qui s’emparent du sous-genre dans sa dimension érotique pour bousculer le regard masculin et critiquer notre rapport au corps.
CRIME SANS VICTIMES
Les années 70 allaient être cruciales pour le cinéma d’horreur. Nous verrons de nombreux courants marquants exploser dans l’histoire du genre. On peut citer par exemple le giallo, le viol et la vengeance ou encore le slasher. Face à tous ces sous-genres, l’horreur corporelle parvient néanmoins à se démarquer sous un autre aspect encore. Dans Frissonsil n’y a pas pas de monstre ou de tueur maléfique à proprement parler. Le parasite cherche simplement à se propager, à contaminer le plus possible pour survivre.
Et c’est une caractéristique fondamentale de l’horreur corporelle. Le mal est intériorisé. L’horreur vient généralement d’une perte de contrôle, d’une mutation progressive terrifiante, d’une mutilation auto-infligée. Pas besoin de figures antagonistes, la terreur est déjà dans la chair des personnages et réveille donc les angoisses les plus intimes des spectateurs.
Il est donc logique que Frissons fait finalement très peu de victimes. Plus précisément, l’horreur corporelle va donner lieu à un nouveau type de victime. Le but n’est pas de perdre la vie mais plutôt de perdre le contrôle de son corps et de son esprit. C’est là aussi que le film exprimera toute son angoisse nihiliste lors de la fin. Les contaminés ayant presque tous survécu, ils quittent le bâtiment et condamnent d’avance toute la ville.
Plus qu’une petite série B cassée mais choquante, Frissons semble être un grand film dans l’histoire du cinéma d’horreur. Ses innombrables héritiers prouvent l’influence majeure qu’a eu l’œuvre de David Cronenberg sur tout un sous-genre. Entre les visions gores saisissantes, les angoisses intimes liées au corps et les lectures sociales ou politiques, on comprend aisément pourquoi l’horreur corporelle connaît un renouveau passionnant ces dernières années.
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