Jean Dujardin, en mystérieux cavalier, signe son nom d’un Z lundi 23 à 21h10 sur France 2 qui diffuse les quatre premiers épisodes de la série. De Douglas Fairbanks à Alain Delon, quels sont les « Zorros » les plus célèbres qui ont galopé vers l’aventure ?
Par Caroline Veunac
Publié le 23 décembre 2024 à 20h00
R.rajeuni sous les traits de Jean Dujardin dans une série astucieuse à (re)découvrir sur France 2 (après sa diffusion en septembre sur Paramount+), le célèbre héros est né dans l’imaginaire de l’écrivain Johnston McCulley. En 1919, l’auteur américain en fait un personnage de Fléau de Capistranoune nouvelle publiée en épisodes dans le magazine pulp Hebdomadaire complet. Cette créature de la littérature populaire, avec son masque, sa cape noire, et ce Z tracé de la pointe de l’épée, a tout pour donner envie d’aller au cinéma. À partir de 1920, interprété par Douglas Fairbanks dans Le signe de Zorroil crève l’écran et ne le quittera plus.
En un siècle, le mystérieux cavalier a galopé dans plus d’une cinquantaine de films et de feuilletons, dont la majorité sont des productions espagnoles, a inspiré, jusqu’au Japon et aux Philippines, une quinzaine de séries vivantes ou animées, tout en continuant d’alimenter nombre de de bandes dessinées (y compris Django/Zorroco-signé en 2015 par un certain Tarantino), des jeux vidéo, des romans ou encore des pièces de théâtre. Une folle réussite qui tient à l’évidence graphique de sa silhouette, à sa dimension familiale, mais aussi à la fascination exercée par la figure du double – le justicier masqué est indissociable de son alter ego en civil, Don Diego de la Vega. .
Aux États-Unis, l’attachement à l’histoire de Zorro est aussi lié à sa signification historique, et à ce qu’elle révèle des tensions entre la gouvernance mexicaine et la population de culture espagnole en Californie dans les années 1800, comme l’explique l’historienne Emmanuelle Perez Tisserant dans un article académique intitulé « Zorro, la légende de Californie » (2019). Sous l’apparente simplicité, la richesse symbolique de ce jeune centenaire explique son endurance dans nos imaginaires. Profitons de sa dernière incarnation made in France pour revenir sur ses visages les plus marquants du cinéma et de la télévision.
Le plus ancien : Douglas Fairbanks dans « Le Signe de Zorro » (1920)
Caché sous sa cape, au milieu du nuage de fumée de son cigarillo, Zorro apparaît comme sous l’influence d’un prestidigitateur. Interprété par la star du muet Douglas Fairbanks, le film de Fred Niblo et Theodore Reed pose les bases de la mythologie : la lutte contre l’injustice et la solidarité avec les Amérindiens (« Un champion se lève, un champion des opprimés », peut-on lire sur la première case) ; des duels à l’épée, teintés de burlesque, capables de ravir un public enfantin. Le Zorro de Fairbanks est particulièrement drôle et farceur : ses face-à-face avec le futur sergent Garcia (ici nommé Gonzales) ou ses échanges mimés avec son serviteur muet, Bernardo, donnent le ton d’une comédie d’aventures potaches. Quant à la romance avec la belle Lolita, elle crée l’antagonisme entre Don Diego et son double et rival, Zorro : d’un côté un fils d’aristo maladroit et affecté, tout en crochets de cœur et chemisier en soie ; de l’autre un viril sauveur des grands espaces. S’il a contribué à l’invention du genre du cape et à l’épée, Le signe de Zorro (La marque de Zorro, en VO), vingt ans avant les premiers comics, ouvre aussi la voie à tous les super-héros masqués. Pour mémoire, dans Batman, Quand les parents de Bruce Wayne sont tués en sortant du cinéma, ils sortent d’une projection de Signe de renard…
Le plus raffiné : Tyrone Power dans « Le Signe de Zorro » (1940)
Remake du film de 1920, cette production élégante réalisée par le pionnier du cinéma parlant Rouben Mamoulian cultive le thème du fils prodigue : parce qu’il a été rappelé par son père, Don Diego, parti faire ses études en Espagne, rentre chez lui – un embryon Los Angeles. Horrifié par la brutalité du nouvel alcade envers le peuple, il se glisse sous le masque pour le combattre (tout en charmant ces dames). Si le grand spectacle reste là, le film travaille avant tout à affiner la psychologie du héros, dont la métamorphose est aussi le moyen de s’affranchir de la tutelle paternelle. Dans le rôle titre, Tyrone Power surjoue le contraste entre la préciosité presque ridicule d’un Don Diego peu doué pour l’action, époussetant son costume d’un mouchoir de dentelle, et la virilité évidente de son double en noir. Zorro, traité psychanalytique sur la dualité masculine ? Rien d’étonnant quand on sait que Rouben Mamoulian était aussi, neuf ans plus tôt, le directeur de Dr Jekyll et M. Hyde…
Le plus populaire : Guy Williams dans « Zorro » (1957)
Pour les enfants qui ont grandi devant la télévision des années 60 aux années 80, Zorro prend les traits d’un beau mec vif d’1,90 mètre nommé Guy Williams. Découvert en France sur ORTF puis sur Disney Channel de FR3, ce divertissement épisodique, produit par Disney, est résolument familial, évitant les ambiguïtés au profit des bagarres et des gags, ponctué d’une bande-son pleine de bruitages rigolos. La série fait la part belle au fidèle étalon de Zorro, qui porte pour la première fois le prénom Tornado. Si les intrigues ont tendance à se confondre au fil du temps, le générique, avec son rush sous la tempête et son chant entraînant, a marqué les générations d’un Z indélébile. Initialement composé par Norman Foster et George Bruns, le thème reste dans nos esprits dans sa version française. version, chantée par le chanteur Jean Stout. ” Il signe son nom à la pointe de l’épée » : pour nous, les mots de cette scie cathodique sont une pièce maîtresse de l’iconographie de Zorro, ce « renard rusé » (« le Renard » en anglais). On se souvient aussi avec tendresse des expressions ahuries du sergent Garcia, immortalisé par l’acteur Henry Calvin. Tout comme le style mariachi très étudié de Don Diego de La Vega – définitivement une bête de mode.
Le plus chauve : Alain Delon dans « Zorro » (1975)
En quête de succès grand public (on dit qu’il voulait faire plaisir à son fils alors âgé de 10 ans), le septuagénaire Delon s’offre une récréation dans ce film franco-italien de Duccio Tessari, spécialiste des westerns spaghetti. Coproduite par l’acteur qui met le paquet avec un enthousiasme contagieux, cette variation sympathique et sordide de la version télé de 1957, trouve un équilibre entre comédie burlesque, regards amoureux et duels à gogo. Seul détail choquant : Zorro a perdu sa moustache emblématique, comme pour se distinguer de l’imposant appendice poilu du sergent Garcia, incarné par l’acteur Moustache (allez comprendre !). Rasé de près, Delon réalise Zorro à son image. Lorsqu’il apparaît d’abord en plein soleil, galopant tel un mirage dans un halo de réverbération, et qu’enfin son regard bleu acier perce les fentes du masque noir, le Français Adonis injecte un peu de sa propre légende à celle du personnage américain.
Le plus hétéro… dox : George Hamilton dans « Le Grand Zorro » (1981)
Quelqu’un allait finir par mettre les pieds dans le plat : l’opposition entre la virilité debout dans ses bottes de Zorro et le raffinement accru de Don Diego révèle-t-il une ambivalence sexuelle ? Avant les Nuls dans leur célèbre sketch de 1984, Le grand renard (Zorro, La Lame Gay, en VO) élève le lièvre d’une manière on ne peut plus explicite. Cette comédie qui flirte avec l’esprit des films ZAZ du type Y a-t-il un pilote dans l’avion ? (1980), parodie excessive des aventures de Zorro. Blessé au combat, Don Diego est remplacé par son frère gay, qui prend à sa place l’épée phallique. Manifeste queer ou nanar homophobe ? Bourré de clichés datés, ce film, au goût certes discutable, est aujourd’hui totalement en décalage culturel. Mais l’acteur George Hamilton fait pencher la balance du bon côté : hilarant, il incarne Don Diego en lâche et en parfait idiot, sauvé par le courage de son flamboyant jumeau. Fashionista qui troque l’uniforme noir de Zorro face aux tenues grenat ou dorées, c’est lui dont l’empathie gagne le cœur de la belle, une pasionaria incarnée par Lauren Hutton, qui fait de lui un allié dans son combat pour la démocratie. Dans le registre du deuxième degré, il est bien plus admissible que le fameux Les aventures érotiques de Zorroun pastiche coquin réalisé en 1972, au sexisme repoussant.
Le plus romantique : Antonio Banderas dans « Le Masque de Zorro »» (1998)
Quand il s’agit de saga hollywoodienne, on ne fait pas mieux que ça Zorro richement produit, avec une intrigue généreuse et un casting glamour. Réalisé par Martin Campbell, qui sortait d’un James Bond (Oeil d’or), ce spectacle revigorant de plus de deux heures allie souffle épique et musique mélancolique. Le scénario revisite l’équation en imaginant un Don Diego vieillissant (Anthony Hopkins, tragique à souhait), qui, pour régler ses comptes avec l’homme qui a tué sa femme, passe lui-même le flambeau à un jeune voleur en quête de vengeance (Antonio Banderas, très impliqué). Habituellement empêtré dans sa filiation, Zorro est ici libéré grâce à cette transmission élective, de l’esprit plutôt que du sang. Quant à l’objet de son désir, la fille de Don Diego, Elena, elle s’extirpe enfin de son statut de marionnette : galvanisée par l’énergie de Catherine Zeta-Jones, elle devient une héroïne à part entière, qui manie elle aussi l’épée. avec dextérité. Même si son duel avec Zorro, une démonstration d’amour, se termine par un baiser…
Le plus déconstruit : Jean Dujardin dans « Zorro » (2024)
Jean Dujardin semblait prédestiné à devenir Zorro. L’acteur lui-même confie en rêver depuis son enfance. Et est-ce une coïncidence si L’artiste (2011), son personnage évoque Douglas Fairbanks, le premier interprète de Zorro ? Tout s’accorde, et tout est très bien tenu dans cette comédie de remariage de Benjamin Charbit et Noé Debré, à la pointe d’une plume alerte, qui siffle les répliques pleines d’esprit et joue avec brio la comédie de situation. Avec son don Diego en pleine crise de la quarantaine, écrasé par son père qui le harcèle d’outre-tombe (André Dussolier) et incapable de satisfaire sa fougueuse épouse, Gabriella (Audrey Dana), cette version s’amuse à déconstruire le traditionnel la virilité et de forger une alliance égalitaire entre l’homme et la femme. Le tout avec légèreté, et même une pointe de poésie lorsque le sergent, incarné par Grégory Gadebois, se révèle être une âme sensible, admirative de son meilleur ennemi. Fidèle aux thèmes originaux, ce Zorro parvient à les rendre très contemporains, et fait mouche.