Ils ont littéralement le succès dans leur peau. Les réalisateurs Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte, le producteur Dimitri Rassam et l’acteur Patrick Mille ont fini par honorer leur pari lancé par plaisanterie en juin, dès la sortie de leur film. Le Comte de Monte-Cristo : « S’il dépasse les 5 millions d’entrées, nous nous faisons tous tatouer ! » Six mois et plus de 9 millions d’entrées plus tard, les heureux cinéastes, dans une sorte de pacte des mousquetaires, ont tous passé par les aiguilles : sous l’épiderme de Dimitri Rassam apparaissent les trois lettres de leur groupe de discussion, « MAD » ( pour Matthieu, Alexandre et Dimitri) et sur les biceps de Patrick Mille, le navire emblématique du capitaine Danglars, son rôle de méchant venimeux dans le film.
S’ils ont tous tenu à en garder une trace indélébile, c’est parce que le succès de Monte-Cristo est exceptionnel. En espérant au mieux égaler les bons chiffres des deux parties de leur Mousquetaires(3,4 millions pour le premier, 2,5 pour le second), ils se hissent finalement au rang de « blockbuster », catégorie habituellement « réservée » aux Américains.
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Et ils ne sont pas les seuls dans le ciel du box-office :Un petit quelque chose en plus d’Artus, cette comédie qui se moque des handicapés – et non d’eux -, caracole en tête avec 10,8 millions d’entrées (devenant le troisième plus gros succès français après Intouchables et bienvenue chez les Ch’tis ) et Amour ouf de Gilles Lellouche, romance générationnelle sur les émotions contrariées des adolescents, clôture le trio de tête avec 4,3 millions de billets vendus.
L’Amour ouf sold 4.3 million cinema tickets. (Credits: LTD/Cédric Bertrand)
Posté à la sortie des cinémas, le « gang » des Monte-Cristo j’ai vu l’engouement monter en direct(lire l’encadré page 26).« Ce qui s’est passé va au-delà du nombre d’entrées, estime Dimitri Rassam. C’est merveilleux de ressentir cette qualité d’appropriation du film par le public. Nous nous sommes permis de faire des paris plus audacieux, d’aller plus loin dans les « risques » créatifs de Monte Cristo : un film de trois heures dont nous n’avons pas édulcoré les sentiments : il y a de la vraie vengeance, du drame et de la romance.» Une proposition forte, capable de déplacer le public vers les salles et de rivaliser avec l’attractivité des plateformes.
Nouveaux genres
Même surprise pour Artus, encore bluffé par ce succès phénoménal en mai, alors qu’il avait essuyé des refus de la part des producteurs. Selon lui, ce film de bien-être décomplexé arrivait » au bon moment, les - sont tellement stressants» . Et que dire de Gilles Lellouche et de son ouf mon amour apprécié des jeunes mais aussi de leurs aînés, nostalgiques des années 1990 ? Pourtant, le film a été fraîchement accueilli par la critique au Festival de Cannes.
«Mais un producteur de la saga Twilight nous a dit qu’au contraire, notre film allait provoquer une explosion auprès des jeunes, se souvient Hugo Sélignac, coproducteur du film avec Alain Attal. Nous avons donc recentré notre promotion sur les réseaux. » A universal subject on first loves, a romantic breath and a transgenerational five-star cast (from Mallory Wanecque to Alain Chabat, from Adèle Exarchopoulos to Benoît Poelvoorde via Élodie Bouchez, François Civil, Raphaël Quenard…) completed to convince all audiences.
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Même phénomène pourLeurs enfants après eux sorti début décembre. ” Les jeunes nous disent « en fait, la jeunesse de nos parents était cool », témoigne Alain Attal. Ils ont renoué avec les années 1990 qui, rétrospectivement, apparaissent plus roses comparées au chaos dans lequel notre époque est plongée. » Un phénomène qui doit aussi beaucoup au Pass Culture (système d’accès aux activités culturelles destiné aux 15-18 ans), mis en place dans toute la France en 2022.
Mais pas seulement : l’audace de certains Films permet aux producteurs d’explorer de nouveaux genres qui plaisent : « Dans notre collection commune, chez Chi-Fou-Mi Productions et Trésor Films, nous aimons les projets un peu kamikaze, poursuit Alain Attal. Les cinéastes nous envoient une ambition, un délire, et on aime ça, ce défi un peu fou, impossible et inédit ! C’est ainsi que nous avons réalisé notre premier… « film sous-marin » en 2019, Le Chant du loup. »
On peut parler de blockbusters français
Le cinéma français est donc capable de devancer le cinéma américain : les films français représentent, en 2024, 46 % de part de marché contre 34,2 % pour les films américains. ” On peut parler de blockbusters à la française, même s’il est difficile d’expliquer de tels succès et encore plus d’anticiper car le cinéma est une économie de prototypes, estime Olivier Henrard, président par intérim du CNC. Pourtant, l’année 2024 a mal commencé en raison du retrait des films américains suite à la grève à Hollywood. Mais nous sommes le pays au monde qui s’est le mieux remis de la crise du Covid et le plus grand marché d’Europe, de loin : 35 % au-dessus du Royaume-Uni. »
Le Comte de Monte-Cristo 9,3 millions de places. (Crédits : LTD/Jérôme Prebois/Pathe/Fargo films/M6 films/ Chapitre 2)
Les États-Unis connaissent le mouvement inverse. ” Leurs blockbusters ne sont pas toujours gagnants au box-office, constate Elsa Keslassy, rédactrice en chef internationale du magazine Variety. Hollywood produit de nombreux préquels et suites, tandis que le public privilégie le contenu original. Ils sont à la traîne alors que les industries des autres pays, notamment en France, se renforcent. »
Les productions indépendantes américaines se font plus rares : leurs réalisateurs favoris sont désormais employés pour produire des blockbusters grand public, comme Greta Gerwig avec Barbieet ainsi de suiteLes Chroniques de Narnia … Et de plus en plus d’autres travaillent en Europe : Jim Jarmusch et Kristen Stewart viennent de tourner en Europe, où seront également réalisés les prochains projets de Francis Ford Coppola et James Gray. “Jodie Foster tourne avec Rebecca Zlotowski et Angelina Jolie sera dans le prochain film d’Alice Winocour” , ajoute Elsa Keslassy.
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« Grand appétit du public »
En France, la bonne santé des films dépasse le trio de tête. ” On coche toutes les cases : films d’art et d’essai à petit budget et « bourgeois » [d’auteur] et productions destinées au grand public » ,poursuit Olivier Henrard. Le nombre d’entrées des films « de genre » parle de lui-même : 2 millions pour Monsieur Aznavourpar Mehdi Idir et Grand Corps Malade, plus d’1 million pour Émilie Pérezde Jacques Audiard (qui représentera le pays aux Oscars et compte dix nominations aux Golden Globes) ; 700 000 pour Quand l’automne arrivede François Ozon ; 600 000 pourL’histoire de Souleymane par Boris Lojkine ; 430 000 pourGolo et Ritchie…Sans parler de l’énorme démarrage deUne fanfare(700 000 en deux semaines) d’Emmanuel Courcol, les 130 000 billets deRoyaumepar Julien Colonna, les 480 000 deLe fondde Coralie Fargeat ou les 313 000 entrées du film d’animation de Michel Hazanavicius,Le bien le plus précieux.
Jacques Audiard est le plus audacieux des auteurs français actuels.
La France fait donc plus que jamais office de village d’irréductibles Gaulois. “Nous avons un système solide combiné à un grand appétit du public, explique NT Binh, critique de cinéma au magazine Positif. Tous les dix ans presque, on dit que le cinéma en salles va mourir, menacé par la télévision, les plateformes… Mais notre système fonctionne, c’est « l’exception culturelle française » [lire colonne ci-contre].»
Les bons résultats français reposent aussi sur la créativité et l’audace des cinéastes : «Ce qui a fait la différence, c’est que des spectateurs occasionnels sont tous venus, poursuit NT Binh. On l’a vu pour Un p’tit truc en plus, un « feel-good movie » à succès qui traite d’un sujet sérieux sans regard déprimant ni conventionnel. Pour Monte Cristo, les gens voulaient de l’imagination. L’Histoire de Souleymane est un film militant sans prêcher, avec du suspense et une fin émouvante. Quant à Emilia Pérez… Jacques Audiard est le plus audacieux des auteurs français actuels. »
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Le producteur deSouleymaneBruno Nahon, a néanmoins eu du mal à produire le film : «Je préfère ne pas savoir pourquoi les chaînes hertziennes et les Régions ne nous ont pas soutenus, dit-il. Je retiens qu’il n’y a pas de sujet « répulsif » et qu’il est fondamental pour être un producteur contemporain, de traiter une histoire complexe et puissante avec un vrai « genre ». Le « thriller » distingue Souleymane des autres films dits « sociaux ». Nous n’avons cédé à aucune sirène : ni dans le casting, ni dans l’histoire, ni dans les facilités narratives, ni même dans la musique, absente du film.»
Ce radicalisme et cette sincérité séduisent le public, même face aux blockbusters étrangers. Avec la sortie deQuand l’automne arriveprévu le même jour que celui deJoker – Folie à deuxAvec Joaquin Phoenix, François Ozon n’était pas rassuré. Et pourtant : «Ce succès m’a rappelé celui de Sous le sable il y a vingt ans, dit le réalisateur. Il y a eu une très forte identification de la part du public, notamment de nombreuses femmes âgées de 50 à 70 ans. Nous avons décidé d’orienter la bande-annonce vers le côté « thriller » car les gens ont tellement de choix sur les plateformes qu’il faut proposer des histoires originales. Les productions les plus formatées ne sont pas celles qui attirent le plus et il est très encourageant que les « films du milieu », qui sont des films d’art exigeants réalisés avec peu de budget, touchent à nouveau le public.» C’est sûr, le cinéma français a décidément un petit plus.
BILLETTERIE 2024
en millions d’entrées
10,8 – Un petit quelque chose en plusd’Artus (France)
9,3 – Le Comte de Monte-Cristoby Matthieu Delaporte and Alexandre de La Patellière (France)
8,4 – Vice-versa 2par Kelsey Mann (États-Unis)
4,7 – Amour oufby Gilles Lellouche (France)
4,5 – Moi, moche et méchant 4par Patrick Delage et Chris Renaud (États-Unis)