Le Seigneur des Franchises
Les studios hollywoodiens sont parfois condamnés à exploiter leurs licences. Pour conserver les droits d’adaptation de telle ou telle propriété intellectuelle, ils sont obligés de produire, de gré ou de force, en maintenant la malédiction des franchises, corrompant progressivement jusqu’à la dernière parcelle du divertissement américain.
Quoi que dise la promotion, ce n’est pas à faire “un cadeau aux fans” ou pour rendre un hommage supplémentaire à ce bon JRR Tolkien que New Line et Warner ont lancé La guerre des Rohirrim en 2021 : c’est pour garder leur poule aux œufs d’oret verrouillez le poulailler une fois pour toutes. Le budget, probablement important, n’a donc pas été investi dans un travail de recherche créative, mais dans une puissance technique suffisante pour produire plus de deux heures d’animation en trois ans maximum.
Pourtant, la perspective d’un chapitre de la mythologie de Tolkien passé au moulin de la japanimation promettait un peu de nouveauté dans un univers indissociable de sa première adaptation. Même la série Amazon, qui prétendait s’en démarquer, passe en fait son - à le regarder dans les yeux. Malheureusement, c’est encore pire ici : ça valait bien la peine de faire revenir les grands Alan Lee et John Howe pour copier littéralement l’ambiance, les décors et les graphismes des films de Peter Jackson.
Les décorations sont presque toutes celles de Deux toursconverti en 3D, généré par Unreal Engines avec une performance de capture de mouvement utilisée comme référence pour les animateurs 2D. D’un point de vue technique, le résultat est parfois surprenant, mais loin d’être infaillible. Artistiquement, c’est franchement bluffantd’autant que les modèles toujours aussi étonnants conçus à l’époque restent forcément plus convaincants.
Et bien sûr, la démarche s’accompagne de son lot de fan service éhonté : outre le choix pas si stupide du personnage de Helm, les auteurs invoquent Mûmakil et d’autres bêtes bien connues, demandent à Miranda Otto de créer une voix plus qu’indispensable. -sur et nous infliger un épilogue maladroit au possibledont un caméo vocal de Christopher Lee largement mis en avant dans la promotion et d’autant plus douteux éthiquement qu’il n’est utilisé que pour un clin d’œil vulgaire supplémentaire.
Courir vers la ruine et la fin du monde
L’intrigue principale est la même. En soi, reprendre l’histoire de Helm à partir des célèbres annexes et développer un personnage principal basé sur sa fille, qui n’a même pas de nom écrit, n’est pas inintéressant. En s’affranchissant des histoires les plus célèbres de la Terre du Milieu, Jeffrey Addiss, Will Matthews et Philippa Boyens proposent un premier acte intelligentteinté d’ambiguïté politique (le vieux roi ne prend pas que de bonnes décisions) un monde dont les adaptations précédentes ont surtout mis en avant le manichéisme.
Le roi du Rohan refuse la main de sa fille au prince de Dúnedain, provoquant une escalade qui va se retourner contre son peuple. Ce sera donc à sa fille en question, Herà, de lui faire survivre à la guerre à venir. L’histoire comporte quelques zones d’ombre explorées de - en -, ainsi qu’une dimension tragique particulièrement sombre qui fait monter les enjeux. Mais pour le reste, le scénario se contente de recycler les clichés sublimés par Jackson : Herà rappelle forcément Éowyn. Le beau vaillant du récit, Fréaláf, a un itinéraire calqué sur celui d’Éomer…
En bref, La guerre des Rohirrim n’est jamais honteux ni ennuyeux, pour ceux qui adorent Le Seigneur des Anneaux (soit 95% de la population occidentale). Mais à force de braconner dans des régions déjà couvertes de partout, il se contente de remplir sa fonction, vaguement divertissant sans jamais sortir. une version de la Terre du Milieu devenue depuis une zone de confort.
La musique explique la fadeur du projet : confiée à Stephen Gallagher, rédacteur musical du Hobbitelle recycle à satiété le thème du Rohan dans une bouillie impersonnelle imitant la bande-son grandiose de Howard Shore, sans jamais lui restituer sa singularité. Le film se transforme ainsi en fan film, dépourvu de sa propre identité.
GUERRE du fan-service
Quitte à faire appel à un cinéaste japonais, pourquoi ne pas épouser davantage les codes de l’animation locale, parfois efficace lors des affrontements ? Pourquoi ne pas faire ça Guerre des Rohirrim une curiosité transculturelle plutôt qu’un énième monument érigé à la gloire de la trilogie originale ? Quitte à interpréter une histoire très secondaire de l’œuvre de l’auteur, pourquoi ne pas renouveler un peu sa traduction visuelle ? En nous chouchoutant dans le landau moelleux de la nostalgie, New Line prend le risque de nous endormir.
Car se contenter de ce spin-off, c’est oublier que Seigneur des Anneaux doit sa réussite à une succession de choix artistiques, tous plus risqués les uns que les autres, qui remontent à l’engagement du réalisateur de mort cérébrale à la tête du projet. S’y conformer, ce n’est pas lui rendre hommage, bien au contraire.
Tantôt marqué par une belle noirceur, tantôt traversé d’éclairs épiques, ce nouveau film trop léché fait avant tout référence à la profanation des grandes sagas hollywoodiennes, avec des déclinaisons serviles, sur grand ou petit écran, en live action ou en animation. Après Guerres des étoiles, Seigneur des Anneaux sera-ce la prochaine franchise à se transformer en feuilleton millionnaire ? Sous la houlette du patron de Warner Davis, Zaslav, deux autres films sont prévus, dont La chasse à Gollumqui se déroulera en parallèle… La Communauté de l’Anneau. Inutile de dire que c’est une mauvaise idée…