Le premier film (maudit) de super-héros de Disney

Doté de gros bras en caoutchouc, Robin Williams joue le double ou rien pour ses débuts au cinéma dans Inégal Popeye de Robert Altman, l’un des premiers films de super-héros (maudits) de Disney.

C’est un secret de polichinelle. « L’Amérique ne travaille pas à partir de manuscrits, elle travaille à partir de recettes »» se moquait un Fritz Lang cynique en son temps. Certains accusent à tort George Lucas d’avoir inoculé le virus de la franchise à Hollywood à la fin des années 70. Ce serait un peu court. Le livre de cuisine de majors est plein de recettes boiteuses.

Quarante ans avant que Disney ne vole effrontément à Marvel les fonds de Marvel, un producteur aventureux – mais surtout cocaïnomane jusqu’à l’os – a eu l’audace d’associer un cinéaste iconoclaste à un super-héros (presque) de bande dessinée avant-bras bien construits. Produit phare des fêtes de fin d’année dans les Amériques en 1980, Popeye le Robert Altman s’est écrasé avec fracas sur les digues du box-office. Sa tête d’affiche, un stand-up complètement fou nommé Robin Williamsa miraculeusement échappé à l’accident industriel.

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Robin Williams en marinière Armor-Lux

La guerre des bandes dessinées

L’image du comics n’a plus l’éclat d’antan lorsque les Salkind, père et fils, frappent à la porte de Warner Bros., les droits d’adaptation de Superman en poche, au milieu des années 70. Chez DC, nous traînons les pieds. L’éditeur de comics a pourtant eu pour la première fois l’occasion de s’associer aux studios hollywoodiens à son âge d’or. Sa première incursion dans le cinéma, Superman et les nains de l’enfer sorti en 1954, n’a laissé qu’une petite trace dans la longue histoire des films de super-héros live-action.

Impossible d’en dire autant du second réalisé par Richard Donner d’après un scénario de Mario Puzo. Les quelque 55 millions de dollars investis par Warner (un pari énorme à l’époque) seront largement amortis par les revenus stratosphériques de Supermanpremier du nom, en 1978.

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Comment devenir une légende

Aux aguets, les gros bonnets du secteur changent de cap. Personnages de bandes dessinéesà l’opposé des anti-héros tourmentés du Nouvel Hollywood, peut attirer un public plus large que les enfants de “les matins”. Surtout, ils se vendent bien. Très. Le producteur Dino de Laurentiis est heureux d’avoir acquis les droits de Flash Gordon il y a une quinzaine d’années. Plus surprenant, Columbia préfère se concentrer sur musical Annie (plus tard porté à l’écran par le vénérable John Huston)selon Petite orpheline Anniela bande dessinée la plus populaire des années 1930, plutôt qu’une version adulte de Batman porté par Michael E. Uslan (futur producteur exécutif de la licence cinéma).

Concurrent en retard dans la course, Robert Evans, de son côté, jette son dévolu sur Popeye de EC Freshpilier de la culture américaine récemment dépoussiéré par les studios Hanna-Barbera (La toute nouvelle heure Popeyediffusé sur CBS depuis 1978). Son flair imparable, bien que parfois confondu par la coke, laisse penser qu’ilfaites-en une comédie musicale chemin Annie.

Les étoiles s’alignent alors miraculeusement. Disney et Paramount supervisent le projet main dans la main – une première dans l’histoire de l’entreprise aux grandes oreilles. Un scénariste de bandes dessinées, Jules Feiffer, a rédigé les grandes lignes. Le réalisateur Robert Altman s’associe au directeur de la photographie Giuseppe Rotunno (fidèle acolyte de Luchino Visconti et Federico Fellini), Robin Williams (Popeye) et de Shelley Duvall (Olive). Le navire va couler malgré tout…

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Tu as de beaux bras, tu sais ?

Le western maltais de Robert Altman

Incontrôlable. La réputation colle aux bottes de Robert Altman, perdant sérieusement de son élan lorsque le scénario de Feiffer arrive par la poste. Le cinéaste irrévérencieux (ÉCRASER, Buffalo Bill et les Indiens… n’est pas le premier sur la liste. Hal Ashby, Louis Malle et Jerry Lewis ont voté non à Bob Evans. Il lui faut de toute urgence un succès après le succès de ses deux derniers films, Quintette et Un couple parfait. Guérilla sur les bords, il recrée l’univers de Popeye sur l’île de Malteun petit coin de paradis à des milliers de kilomètres d’Hollywood.

Le scénario de Feiffer, lui-même auteur de bande dessinée, s’inspire de la bande dessinée originale de Segar, et non de la série animée de Fleischer qui l’a supplanté dans l’imaginaire collectif. Ou comme le décrit le journaliste Anthony Mostrom dans un article paru dans Los Angeles Timesen 2011, « un fascinant mélange d’images bizarres, d’argot farfelu, de violence maladroite et de morale manichéenne » qui a ravi les Américains pendant la Grande Dépression.

Rebelle incassable, Altman simplifie avec de larges traits caricaturaux Toile de Feiffer : à la recherche de son père, Popeye se retrouve à Sweethaven, une ville côtière tyrannisée par un mystérieux Commodore et son bras droit, Bluto (Paul L. Smith, inoubliable garde de Minuit Exprességalement tourné entièrement à Malte), mastar laconique promis à Olive Oyl. Les nœuds de l’intrigue seront dénoués avec une grande aide bastonnades follesde chansons mièvres et de rebondissements téléphoniques

type="image/webp">Robin Williams et Shelley Duvall dans Popeye>
Ils s’aimaient, ils s’aiment encore…

« Plus le film avançait, plus Bob s’éloignait de Segar et se rapprochait de Max Fleischer. Et quand j’ai quitté la ville, Segar est parti avec moi et Fleischer a pris le relais parce que, de toute façon, la partie crème anglaise était plus son genre d’humour.gronde le scénariste trompé dans Robert Altman – Une biographie oralepar Mitchel Zuckoff. Incorrigible, le réalisateur détruit à la fois la bande dessinée originale et le dessin animé des Studios Fleischer dans un film profondément décevant pour ceux qui s’attendent à voir Popeye se doper d’épinards en conserve, en chantant tout le temps Je suis Popeye le marin ou exhiber inlassablement ses muscles.

Notre marin d’eau douce engloutit des carottes, fredonne des chansons d’Harry Nilsson (pas forcément inspirées) et passe les trois quarts de son temps à marmonner. C’est que l’action iconoclaste céproto-vivante se poursuit une entreprise qui déconstruit l’Americana dans la veine de John McCabe (1971) ou Buffalo Bill et les Indienss (1976). Altman se faufile dans le dos de son producteur et donne naissance àun simili western aux accents salés avec son cowboy solitaire en marinière (Popeye) diluée dans un pastiche burlesque frénétique comme Mack Sennett. Un décor sur mesure pour Robin Williams, jeune débutant lancé dans une opération kamikaze.

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Le roi du château

Bonjour, Williams!

Transfuge de Juilliard, Robin Williams parcourait bruyamment les clubs de comédie dans les années 70 avant d’atteindre la stratosphère dans la série Mork et Mindyspin-off du non moins culte feuilleton Jours heureuxlui-même dérivé d’Graffitis américains. Son humour caustique déballé sur un flux de mitrailleuse infusé dans Popeye. Gros bras en latex et cheveux peroxydés (ou nana blonde décolorée), Williams, bloquée, livre une performance totale fait de contractions épileptiques et de borborygmes dyslexiques.

«Bob (Altman) a laissé Robin faire ce qu’il voulait avec le dialogue, et c’était donc un dialogue comique avec Robin Williams. Tout le monde a trouvé ça très drôle sauf moi, parce que ça a gâché le moment, et ça a gâché la scène. »désapprouvera plus tard un Jules Feiffer en détresse.

S’il encourageait habituellement ses acteurs à s’affranchir de l’influence castratrice du scénario, Robert Altman ne semble pas avoir entretenu de relations cordiales avec son brillant improvisateur tombé du ciel. Les histoires de tournage de Popeye évoquent de violentes engueulades et autres querelles entre les deux têtes fortes. Certains soupçonnent également Altman d’avoir ignoblement tenté de cacher Robin Williams derrière une foule de figurants dans son grand numéro de chant, Je suis ce que je suis. Nous laisserons chacun libre de juger par lui-même.

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Popeye et Olive à la sauce maltaise

Cul entre deux chaises, Popeye souffre d’un tournage compliqué par les dégâts climatiques et un budget exponentiel – au point d’interrompre brusquement le tournage, laissant une poignée de séquences à l’état embryonnaire. Impossible de reprocher au réalisateur, parfois accusé à tort d’être trop cynique, de mépriser son sujet. Popeye déborde d’amour autant que d’irrévérenceun mélange doux-amer en bouche pour un film censé avoir un goût de lait de poule.

Le désastre commercial couplé à un cinglant échec critique repousse Robert Altman aux portes de Los Angeles, mais propulse la carrière de Williams, immédiatement accaparée par Hollywood. Bob avait-il « vingt ans en avance sur son temps »comme le dit Robert Evans dans ses mémoires L’enfant reste sur la photo ? Quatre décennies plus tard PopeyeTodd Philipps, artiste repenti, se risquerait lui aussi à dévitaliser un antihéros de comics, Joker, dans une comédie musicale aux accents suicidaires…

 
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