« Je vis le cinéma comme un footballeur, chaque film est un match avec ses règles »

« Je vis le cinéma comme un footballeur, chaque film est un match avec ses règles »
« Je vis le cinéma comme un footballeur, chaque film est un match avec ses règles »

Cinéaste très cinéphile, spécialiste du détournement et du pastiche, Michel Hazanavicius fait à nouveau sa mue avec La Plus Précieuse des marchandises, son dernier film en salle depuis mercredi 20 novembre. Après l’incontournable OSS 117, la quête du muet dans The Artist, un hommage à Godard dans Le Redoutable, et le délire zombiesque de Coupez !, il fait son retour avec une nouvelle forme originale.

Elle naît cette fois-ci de ses propres traits, puisque Michel Hazanavicius a pris ses crayons pour dessiner chaque personnage du film d’animation qu’il présente aujourd’hui, tiré du livre éponyme de Jean-Claude Grumberg paru en 2019. Cette histoire, qui a tout d’un conte, est celle d’une pauvre bûcheronne qui entend un jour en ramassant du bois dans la forêt, les pleurs d’une jeune enfant abandonnée dans la neige. Le père de cette petite fille, déporté vers les camps, a préféré jeter du train l’enfant pour lui donner une chance. La bûcheronne va l’élever dans une vie rude émaillée de tragédies, sans qu’une fois, comme le souligne l’écrivain Arthur Dreyfus, le mot “juif” ne soit prononcé.
C’est le nom de “sans-cœur” que lui donne le bûcheron, qui refuse de voir dans les premiers temps l’humanité du nourrisson qui bat en brèche toutes ses certitudes, puis va voir à quel point il se trompe et donner jusqu’à sa vie pour sauver celle de l’enfant.

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Michel Hazanavicius a toujours dessiné depuis l’enfance, mais a pris du temps à être pleinement convaincu de ce projet, double défi à la fois formel, lié aux spécificités esthétiques et techniques de l’animation, mais aussi sur le fond, car depuis Shoah (1985) de Claude Lanzmann persiste la question de savoir comment représenter à l’écran le génocide des juifs d’Europe. Son film était une anti-fiction, composé de témoignages de survivants des camps qui ont aujourd’hui pour la plupart disparu. Michel Hazanavicius apporte quant à lui la réponse du dessin, qui contourne le problème de l’incarnation des personnes déportées par des acteurs : les scènes sont des tableaux, des images qui d’ailleurs se figent au pire de la catastrophe humaine.

Pour dialoguer avec lui sur la forme du cinéma et le terrain de jeu qu’il représente, Michel Hazanavicius a convié Thomas Cailley, lui aussi réalisateur.

Après Les Combattants (2014) et la série Ad Vitam (2028), on doit à Thomas Cailley Le Règne animal, un film avec Romain Duris et Paul Kircher sorti en 2023 qui avait largement transcendé ses airs de science-fiction pour conquérir un large public, l’histoire d’un père et son fils qui se battent pour survivre dans un monde où de plus en plus de personnes se transforment en animaux. La mère déjà a disparu, comme tous les mutants contraints de quitter leur foyer pour rejoindre des cliniques spécialisées, ou fuir, et c’est au tour du fils de se transformer. Ils se lancent alors tous les deux dans une quête qui va changer leur vie, et leur relation.

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Le succès du film de Thomas Cailley s’explique peut-être par cet éclatement du genre SF, puisqu’il dévoile dès la première scène du film un mutant au lieu d’en faire le nœud, le suspense, et dépeint des relations père-fils saisissantes de réalité. Avec Michel Hazanavicius, il partage cette ouverture à la forme, qui émerge au moment de la deuxième phase d’écriture, lorsqu’on met de l’ordre dans ses idées, sans rien s’interdire.

Ses films naissent de visions, de désirs pour certaines scènes, certains mouvements, certains paysages comme la forêt, poumon du Règne animal autant que de La Plus Précieuse des marchandises, un endroit où le mystère et la peur cohabitent avec un souffle de vie qui se fait de plus en plus ténu ailleurs.

Créer des images inédites, faire sortir celles que l’on a au fond de soi et qui manquent au monde, voilà ce que poursuivent selon eux beaucoup d’auteurs et de réalisateurs. Avec le temps, certaines se déposent ensuite et deviennent un besoin, d’autres disparaissent ou se transforment au tournage : “On est condamné avant chaque film à trouver la règle du jeu. Peu importe combien de fois nous avons déjà tourné avant, le réalisateur repart toujours à zéro, et c’est la règle qu’il applique au film qui définit le réalisateur qu’il est, plutôt que le genre qu’il choisit. C’est une voix.

Reportage :

Cette semaine, Vincent Josse prend rendez-vous avec Macha Makeïeff, commissaire de l’exposition “En piste ! Clowns, pitres et saltimbanques” qui ouvre au Mucem à Marseille le 4 décembre. L’autrice, metteuse en scène et réalisatrice a souhaité rendre hommage à ces artistes d’un jour qui nous enchantent le temps du spectacle, sans oblitérer pour autant ce qu’ils et elles deviennent une fois le rideau retombé. Sur un plateau ouvert de 1200 m² aux allures de chapiteau, le public déambule sans ordre parmi les vestiges de costumes de scène ou de décors, et rencontre des œuvres de Niki de Saint Phalle, Gérard Garouste ou Agnès Varda, mêlant les traces prosaïques et artistiques de cet art éphémère. L’exposition est à voir jusqu’au 12 mai 2025.

Conseils culturels :

  • Michel Hazanavicius est très raccord avec l’Académie du Goncourt, puisqu’il vous recommande Houris de Kamel Daoud, qui l’a beaucoup ému, qu’il a trouvé “remarquable.”
  • Pour Thomas Cailley, un livre aussi, de l’américain Nathan Hill, Les Fantômes du vieux pays (2018) :Ça commence par un gouverneur qui se fait agresser dans un lieu public par une sexagénaire dont personne ne sait rien, et à l’autre bout du pays un homme reconnait cette femme, puisque c’est sa propre sa mère, qui l’a abandonné à la naissance. Il va commencer à enquêter sur elle.

Programmation musicale :

  • Léonie Pernet, Réparer le monde (2024)
  • Billie Holiday, All of me (1931)
  • Badbadnotgood & Tim Bernardes, Poeira cosmica (2024)
 
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