Ça va, mon pote ?
Je ne lui demanderais pas ce qu’il pense d’Andrew Tate ni de la place que devraient occuper les femmes dans la société québécoise moderne.
En tout cas, je ne veux pas entendre parler de son mâle têtu qui court aux stéroïdes, aux grosses voitures, aux cigares et aux yachts de luxe. Le succès ne se mesure pas à la taille de votre portefeuille ou à la taille de vos biceps.
Je ne lui demanderais qu’une chose : tu es sûr que tu vas bien, mon vieux ? Je veux dire, honnêtement. Pas pour le ridiculiser ni lui faire la leçon. Encore moins pour lui dire quoi faire.
Comment vas-tu, mon homme ?
Je ne sais pas à quoi cela ressemblerait. Il m’énerverait probablement. Qu’il me dirait : je ne vous connais pas, foutu journaliste de mes deux, occupez-vous de vos affaires ! Mais peut-être pas. Peut-être qu’il me dirait : non, ça ne va pas si bien.
Prenez Julien Bournival, l’influenceur masculiniste invité à Tout le monde en parle Dimanche soir.
Il se vante sur les réseaux d’être un riche entrepreneur.
Dans ses vidéos, il affirme que tous les enfants devraient avoir le droit de poursuivre leurs rêves, y compris celui de posséder une maison.
Et que pour réussir, il faut fréquenter des gars qui ont réussi. Par succès, nous entendons les gros muscles, les grosses voitures, le grand style de vie…
Cependant, le Journal de Montréal vient de révéler que ce Julien est criblé de dettes et qu’il est au bord de la faillite. Les choses ne doivent pas aller si bien dans sa vie.
Alors, tu es sûr que tu vas bien, mon homme ?
L’idée de leur demander comment ils vont ne vient pas de moi. Il s’agit de Jean-Martin Deslauriers, professeur de sociologie à l’Université d’Ottawa et travailleur social de formation. La première question d’un travailleur social est souvent : Alors, comment vas-tu ?
Ce n’est pas du tout une mauvaise approche, je pense. En tout cas, cela me semble plus simple que d’inviter des masculinistes un dimanche soir à une émission télévisée populaire, au prix d’aliéner les féministes et une bonne partie de la gauche radicale.
La question n’est peut-être pas tant de savoir si nous devons ou non leur donner une tribune. Dans une société de liberté d’expression comme la nôtre, c’est une question difficile à trancher.
Les inviter, c’est risquer d’endosser, voire de promouvoir, leur illusion rétrograde. « Mais si vous essayez de faire taire ces gens, explique Jean-Martin, ils trouveront d’autres moyens de faire passer leur message et se radicaliseront encore plus. Leur conviction d’être mis au ban de la société s’en trouvera renforcée. Et la question que je me pose est la suivante : les faire taire peut-il être, en soi, une forme de radicalisation ?
Très bonne question.
Aux États-Unis, tout a été fait pour diaboliser Donald Trump et le faire taire. Il est revenu plus fort que jamais, avec le soutien de millions d’Américains. Y compris les femmes et les immigrés qu’il aime insulter…
Approche de santé publique
Jean-Martin suggère d’adopter une approche de santé publique. Dans nos sociétés nord-américaines, les hommes dominent une foule de statistiques déprimantes : espérance de vie inférieure à celle des femmes, plus d’homicides, plus de suicides, plus d’accidents de la route, plus de décès dus aux opioïdes, plus de maladies cardio-respiratoires, plus de diabète que les femmes…
C’est un fait, les hommes ne s’en sortent pas très bien. Et certains hommes se réfugient dans la radicalité pour trouver un sens à leur vie, à leur souffrance.
« Pour contrer le radicalisme, il faut tendre la main et essayer de comprendre », explique Jean-Martin. Cela semble bleu, mais c’est vrai.
Et il pense que nous devons aborder les gars d’une manière différente. Que cela ne sert à rien de leur demander d’afficher leur vulnérabilité ou de développer leur côté féminin. C’est une perte de temps.
Il donne l’exemple du gars qui refusait de boucler sa ceinture de sécurité dans la voiture. Jusqu’à ce qu’un policier lui dise : si tu ne le fais pas pour toi, fais-le pour ceux que tu aimes et qui tiennent à toi.
Cela a fonctionné. Pour quoi? « Un des leviers qui marche auprès des mecs, c’est de faire appel à leur côté protecteur, à leur force physique, à leur virilité. C’est ce que nous demandons aux militaires et aux pompiers : protéger les autres. «C’est un exemple de masculinité positive», dit-il.
Si par hasard je rencontre un masculiniste, je lui parle d’homme à homme. Comment vas-tu mon gars ? C’est une sacrément bonne question. Et une sacrément bonne manière de dépolitiser le débat sur la masculinité toxique.