LLe réalisateur touche-à-tout Michel Hazanavicius, à l’origine des deux premiers « OSS 117 », « L’Artiste » et « Le Redoutable », change une nouvelle fois de registre avec « Le Bien le plus précieux », son premier film d’animation. Adapté du conte éponyme écrit par Jean-Claude Grumberg en 2019, et conçu en partie à Angoulême avec l’équipe du Studio 3.0, le long métrage, relatant la découverte par deux bûcherons polonais d’un bébé juif pendant la Seconde Guerre mondiale, sera présenté en en avant-première au cinéma Jean-Eustache de Pessac le lundi 21 octobre (1).
Vous avez toujours essayé plusieurs genres différents au cinéma, l’espionnage, la comédie, les films de guerre… Pourquoi avoir choisi l’animation cette fois-ci ?
Tout d’abord, ce n’était pas un besoin, cela m’a été proposé [par Patrick Sobelman, le producteur, NDLR]. Lorsqu’on m’a envoyé les épreuves du livre, il était déjà question de faire un film d’animation. L’histoire, le contexte du film, ses thèmes, imposaient ce format spécifique. Être réalisateur de films d’animation est un métier particulier, j’ai dû apprendre en le faisant.
Pourquoi était-ce nécessaire ?
Jean-Claude Grumberg écrit sur le sujet depuis une soixantaine d’années, mais pour la première fois, il décrit des scènes à l’intérieur des camps et des convois de déportés, choisissant la forme du conte, utilisant ainsi une distance par rapport à ce qu’il raconte.
Le conte n’est ni un documentaire ni un roman. Je trouve que c’est ce qui se rapproche le plus de la poésie. En ce sens, l’animation est un peu au cinéma ce que la narration est à la littérature. Dans cet espace, la représentation des camps me semble bien plus possible. D’autant qu’elle n’est pas le sujet principal du film, qui se concentre sur l’histoire des Justes.
Qu’est-ce qui vous a poussé à faire un tel film ?
Principalement la beauté de l’histoire, sa puissance émotionnelle. Cela semble simple, mais il contient des thèmes puissants d’une manière que je n’ai jamais vue auparavant. Elle héroïse les figures du génocide juif qui sont celles qui ont sauvé l’humanité. Celles de gens normaux, venus de partout, mais qui, à un moment donné, ont fait le bon choix moral, contre toute attente. J’avais envie de les mettre en valeur, d’autant plus qu’ils résonnent avec notre monde d’aujourd’hui.
“Ce qui m’intéresse le plus dans le dessin, ce n’est pas le produit fini, ni sa présentation, mais la pratique elle-même”
Est-ce la même manière de faire un film ?
C’est très différent, mais en réalité, chaque film est très différent des autres. Je réalise toujours des premiers films, même s’il y a eu « OSS 117 » 1 et 2 ! Chacun a ses propres règles du jeu, et mon travail consiste à les trouver et à les faire comprendre. Il faut être un peu insouciant, ne pas se poser trop de questions, se dire pour se lancer… Quant aux problèmes, nous les résoudrons plus tard. « La plus précieuse des marchandises » est certes très différent dans la forme, dans sa technique, mais ce qui compte le plus, c’est l’envie de voir le film exister.
Vous avez réalisé les dessins de pré-production, que représentent-ils pour vous ?
Ma pratique du dessin était plutôt personnelle, j’ai étudié dans une école d’art, mais on n’en faisait pas vraiment en réalité, c’était plus une maison de fous qu’une académie des beaux-arts !
En faites-vous sous forme de bande dessinée ?
Ah non, jamais ! Ce qui m’intéresse le plus dans le dessin, ce n’est pas le produit fini, ni sa présentation, mais la pratique elle-même, que j’assimile davantage à la méditation. Pendant très longtemps, je ne les ai pas gardés. Depuis plusieurs années, Bérénice [Bejo, sa femme, NDLR] m’a demandé de les garder, nous allons faire une petite exposition à l’occasion de la sortie du film, mais cela n’a jamais été l’objectif.
Le film a eu une période de production assez longue, arrêtée pendant la période du Covid-19. Entre-temps, vous êtes allé tourner “Cut!” » avec Romain Duris. Cette période d’arrêt vous a-t-elle donné envie de vous y remettre ?
En tout cas, ça m’a fait du bien ! J’étais super excité à l’idée de faire une comédie, de travailler avec des acteurs, de travailler sur l’énergie, puis de revenir frais pour la réalisation de celle-ci.
La voix de Jean-Louis Trintignant, décédé en 2022, était-elle évidente ?
Je n’avais aucun doute sur ce choix de Jean-Louis Trintignant. Au fond, c’est un texte écrit par un vieil homme, qui a beaucoup vécu. Il était évident de choisir un acteur avec une voix de vieil homme et Jean-Louis Trintignant possède une, sinon la plus belle voix du cinéma français. Une phrase reconnaissable entre mille, celle d’un grand acteur, de quelqu’un qui a vécu beaucoup de choses. En ce moment, lorsque je visionne le film et que les gens entendent sa voix dans la pièce, c’est presque comme s’il y avait un fantôme dans la pièce. Comme une voix d’outre-tombe, donnant un écho encore plus particulier au film.
(1) Avant-première au cinéma Jean-Eustache de Pessac le lundi 21 octobre à 18h30 en présence du réalisateur.