« The Typewriter » et « The Island » font bouger les lignes

Temps de lecture : 4 minutes

« La machine à écrire et autres sources de tracas », par Nicolas Philibert

Technique d’investigation pratiquée par les géographes et les enquêteurs de police, la triangulation devient magnifiquement un procédé cinématographique. Déployant une triple approche du monde psychiatrique, de ceux qui le peuplent, qui le vivent, Nicolas Philibert y donne accès de manière singulière, en relief accru pourrait-on dire.

La machine à écrire et autres sources de tracas est le troisième regard sur les mêmes problématiques, après Sur l’Adamant Et Averroès et Rosa Parks. Troisième point de vue qui fait un film à part entière, d’une immense richesse d’émotion et de compréhension. Et aussi une contribution lumineuse à l’ensemble, où les échos d’un film à l’autre se répondent et se stimulent.

Après l’attention chaleureuse à bord de ce lieu de soins unique qu’est la péniche accueillant les patients du Centre Psychiatrique de Paris-Centre dans un hôpital de jour dans le premier film, puis l’écoute attentive, à la caméra autant qu’au micro, dans le cadre institutionnel de l’hôpital Esquirol, ici les lieux où vivent certains de ceux qui habitent ledit Centre sont entrouverts.

Petit studio presque nu ou désordre hanté par les traces de mille rêves, affections et engagements d’une vie saturée, ces lieux racontent déjà, à qui sait les filmer, quelque chose sur leur occupant.

C’est là qu’arrivent, toujours par paires, les membres de « l’orchestre », ce groupe de soignants, qui, en plus de leurs tâches médico-psychologiques, sont chargés d’aider à résoudre les problèmes matériels des patients.

Cela semble anecdotique et, au contraire, cela saute aux yeux dès qu’on s’y arrête. Quelque chose est cassé. Une machine à écrire, un lecteur CD, une imprimante, ou la possibilité d’organiser votre espace quotidien. Quelque chose est cassé aussi chez ces personnes qui ont besoin de soins psychiatriques.

De l’opacité du trouble mental à la matérialité du rivet à changer ou des étagères à ranger, le cinéma mis en œuvre par un cinéaste sait non pas faire le lien, mais faire ressortir les mille effets de sens et d’émotions, bien au-delà des cas singuliers, justement en restant au plus près d’eux.

Les malades, les soignants bricoleurs, les gens du cinéma se pressent dans chacun de ces lieux, et tout le monde y va. Au mieux de ses capacités, avec sa condition, ses connaissances, la nature particulière de son attention et de son énergie. Et c’est magnifique.

Walid et Jérôme s’occupent de Muriel, dont la vie, déjà pas facile, est devenue sombre lorsqu’elle n’a plus pu écouter de musique. | Capture d’écran Les Films du Losange via YouTube

À ce stade, c’est même étrangement magnifique, tant la multiplicité des situations, des réponses, des pratiques, des « vocabulaires » (verbaux, gestuels, visuels, etc.) s’amplifient et se répondent.

Et voilà que cette vaste arborescence, qui fait partie des plus simples, des plus triviales, entre à son tour en résonance avec les deux autres films. À eux trois, ils relient des pratiques hétérogènes (servir du café, accompagner une crise d’angoisse, réparer un appareil) qui ne peuvent être généralisées, mais qui en disent long sur les multiples vertiges qui hantent l’humain.

Sans grands discours, nous pouvons voir bon nombre des réponses multiples que les modes d’organisation et les individus inventent au spectre infini des problèmes. Ainsi, la trilogie de Nicolas Philibert déploie un immense paysage d’attention sensible, où l’on voit, où l’on sent qu’il ne s’agissait pas d’un triptyque sur les soins psychiatriques, mais d’un être vivant qui nous concerne tous.

« L’Île », de Damien Manivel

A priori, rien à voir avec ce qui précède. Sur une plage, un groupe d’adolescents passe une dernière nuit avec Rosa, qui doit les quitter pour poursuivre ses études au Canada. Jeux d’affection et de séduction, petits règlements de compte, exultation des corps et des énergies, accès de mélancolie le soir descendant.

Et puis pareil – et pas pareil. Mêmes corps et mêmes visages, même situation qui se joue, mais dans ce qui ressemble à une salle de classe, un studio de répétition, avec parfois des interventions du metteur en scène. Répétition, en fait, de ce qui avait commencé à se jouer « en situation réelle », comme on dit. Mais qu’est-ce qu’un véritable décor ?

L’image est brute de tournage, proche des corps, des frémissements, des moindres inflexions – de même pour les voix. Nous reviendrons au bord de la mer, et encore là où se développe la chorégraphie fictionnelle. De quelle île parle le titre ?

C’est peut-être ici que se trouve la plage, nous ne le saurons pas. Peut-être l’état dans lequel ils se trouvent, isolés des adultes, des vacances qui se terminent, du monde du travail ou des études qui vont suivre. Ou peut-être est-ce le film lui-même qui construit dans ce va-et-vient entre deux États une continuité à part, tout à fait documentaire et tout à fait fictionnelle.

Depuis ses débuts et tout au long de ses films, Jeune poète a
Magdala En passant par Le parc
Et Les enfants d’IsadoraDamien Manivel ne cesse d’inventer de nouvelles formes, où sa qualité de danseur et de chorégraphe participe de multiples façons à l’exploration des rythmes, des distances, des formes de présence et de la présence des formes.

Rosa, qui part demain – Rosa Berder, qui joue le rôle de Rosa. | Capture d’écran de La Traverse via YouTube

C’est intéressant mais secondaire de savoir que L’Ile
n’est pas le film que le cinéaste avait prévu de faire, mais celui qu’il a composé à partir de séquences enregistrées avec les jeunes comédiens pour préparer un tournage qui n’a jamais eu lieu.

En effet, à l’écran, dans la fragilité vive des situations, dans la circulation entre les émotions jouées et les émotions vécues par les interprètes, dans le plus vibrant d’un visage qui rougit, d’un regard qui se détourne, d’un air étouffé. voix, une aventure s’épanouit.

Aventure du film, au double sens de ce qu’il raconte effectivement, et de ce qu’il devient lui-même, sans séparation entre les deux. On bouge et on s’embrasse, on se défie et on se moque, on s’écoute et on s’ignore.

On vit l’essentiel de ce qu’on peut inventer vivant, dans la double urgence de la dernière soirée ensemble avant que des vies ne soient bouleversées, et d’un film à faire quand même exister, même si les puissances de l’argent en ont décidé autrement.

Alors oui, « quelque part », l’expérience strictement documentaire de Nicolas Philibert avec ses trois films autour de ce que l’on appelle la folie et le souci, et l’invention expérimentale de Manivel convergent.

Ou? Sur un écran de cinéma, certainement. Mais, plus décisivement, dans l’immense et joyeuse confiance dans le cinéma lui-même, et dans les paris, aussi extravagants les uns que les autres, aussi complètement gagnés les uns que les autres, de tout ce qui peut se réaliser grâce aux moyens mis en œuvre.

Au-delà du format habituel (trois films plutôt qu’un seul) ou en dessous, dans le creuset de la préparation d’une production qui n’arrivera pas, des forces d’intelligence et de sensibilité s’épanouissent de manière d’autant plus vives qu’insolites.

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