Ce 8 juillet 2015, le très vénérable Centre Court de Wimbledon a été témoin d’une scène inédite. Opposées en quarts de finale, Victoria Azarenka et Serena Williams arrivent sur le terrain avec deux casques pointés vers les oreilles. Choquant : l’épisode ne passe pas inaperçu au cœur du temple de la tradition et de la bienséance tennistiques. Sur la BBC, Martina Navratilova proteste : «Je pense que c’est un manque de respect pour le jeu, pour le public. Vous sortez pour vous connecter avec le public, pas pour vous en déconnecter.“
Mais dix ans plus tard, la pratique s’est largement démocratisée. Coco Gauff, Arthur Fils, Naomi Osaka, Frances Tiafoe, Ben Shelton, Ugo Humbert, Iga Swiatek ou Nick Kyrgios, pour ne citer qu’eux, entrent très fréquemment sur le court avec des écouteurs ou des écouteurs et pour cause, rien dans le règlement ne le fait. pas les interdire. La mode des casques gigantesques a été popularisée par les footballeurs qui descendaient de leur bus pour arriver aux stades mais n’avaient jamais eu l’idée d’entrer sur le terrain avec eux.
Victoria Azarenka lors de son quart de finale à Wimbledon en 2015
Crédit : Getty Images
Quand vous entrez sur un terrain et que 10 000 personnes vous applaudissent mais que vous ne pouvez même pas les entendre…
C’est justement ce qui contrarie notre consultant Nicolas Mahut dans le cas des joueurs de tennis : «Vous n’avez plus besoin de vous isoler à ce stade puisque vous entrez dans l’arène et que la bataille a commencéfait-il remarquer. Je trouve qu’il y a un côté un peu irrespectueux envers le public. Quand vous entrez sur un terrain et que vous avez 10 000 personnes qui vous applaudissent mais que vous ne les entendez même pas… Cela me dérange que les joueurs n’y prêtent pas attention. Ils saluent machinalement la foule. Il y a un côté un peu joué que je n’aime pas.» Mais alors pourquoi se coupent-ils d’une énergie qui pourrait les galvaniser ?
Les raisons sont diverses. Pionnière en la matière, Serena Williams a cherché à éveiller la lionne qui sommeille en elle en se stimulant par la musique : «Cela vous met dans le bon état d’esprit, dans la « zone » et vous prépare au match.», a-t-elle confié. Une théorie qui n’a pas convaincu Roger Federer à l’époque : «On aurait pu enlever les écouteurs deux minutes plus tôt, a exposé les Suisses. Je ne pense pas que ces deux minutes fassent la différence si vous tenez ou non votre service lors du premier match.“
D’autres, au contraire, utilisent des écouteurs pour s’isoler le plus longtemps possible du milieu extérieur. Coco Gauff, par exemple, a besoin de rester dans sa bulle : «Certains ne le savent pas mais, avant d’entrer sur le terrain, j’aime mettre de la musique forte» confiait l’Américaine l’année dernière à Indian Wells tandis que son public l’encourageait à chaque fois qu’elle entrait sur le court. Je n’aime pas t’entendre quand je vais sur le terrain parce que ça me rend nerveux.“
Se couper des autres pour se retrouver d’une manière ou d’une autre. Une théorie qui ne tient pas pour Pier Gauthier, préparateur mental et ancien coach de Sébastien Grosjean et Gaël Monfils : «Dire qu’un sportif doit rester dans sa bulle est une aberration totaleil réagit. On entend tout le temps cette expression mais croire qu’un athlète va rester dans sa bulle est une illusion totale. Je n’ai aucun problème à porter des écouteurs en entrant sur le court mais s’il écoute de la musique pour rester dans sa bulle, il fait une erreur car il va s’épuiser mentalement.« Pourtant, Gauff n’est pas le seul à utiliser des écouteurs comme protection.
Naomi Osaka, connue pour être notoirement introvertie, utilise également ses écouteurs comme écran pour se protéger et éviter les interactions sociales indésirables. “Tous ceux qui me connaissent savent que je suis introverti, et tous ceux qui m’ont vu lors de tournois remarqueront que je porte souvent des écouteurs, car cela aide à atténuer mon anxiété sociale.», expliquait-elle en 2024 lors du tournoi de Brisbane.
Naomi Osaka estime qu’elle a besoin de musique pour se couper du public
Crédit : Getty Images
-Roger Federer, Rafael Nadal et Novak Djokovic ne sont jamais entrés sur un terrain avec de la musique dans les oreilles. Il faut dire que le Majorquin a une idée bien précise sur la question : «Je me sens beaucoup mieux et plus respectueux envers la foule si je suis avec eux et pas avec moi-mêmeil s’était confié dans des propos relayés par le New York Times en 2015. C’est plus une question de respect qu’autre chose.“
Bose, Beats by Dre et la promotion lucrative
Ana Petkovic, ancienne adversaire de Serena Williams et Victoria Azarenka, est allée encore plus loin : «Une partie de vous appartient aux gens qui ont payé pour vous voir jouer, et je pense que vous devriez tout leur donner une fois que vous entrez sur le terrain.“
Coco Gauff et Naomi Osaka ont un autre point commun qui pourrait peut-être expliquer plus facilement leur tendance à porter des coiffes imposantes lorsque tous les regards sont rivés sur elles. Les deux jeunes femmes sont les visages de deux grandes marques de casques audio : Bose pour Gauff, la sportive la mieux payée au monde en 2023 avec 25 millions de dollars gagnés grâce à ses revenus extra-sportifs, et Beats by Dre pour Osaka, 6ème du classement selon à Forbes. Un partenaire qu’elle partage notamment avec Frances Tiafoe. “Il y a peut-être des intérêts commerciaux derrière cela et nous ne savons pas vraiment ce qui les fait se sentir bien par rapport à leur performance et quelle est la communication pour justifier un partenariat.“, laments Mahut again.
Si j’étais son capitaine, je lui botterais le cul
Désormais, Osaka affiche même son casque lors des conférences de presse, où la connexion avec son interlocuteur semble nécessaire, tandis que Frances Tiafoe n’a pas pris la peine de retirer le sien lors de l’hymne américain en Coupe Davis. . Une indélicatesse qui a déclenché l’ire d’Adriano Panatta, vainqueur de Roland-Garros en 1976 : «Il est impoli. Si j’étais son capitaine, je lui botterais le cul», a-t-il posté sur
“Je sais que lorsqu’un joueur entre sur le terrain avec une telle concentration, qu’il est dans cette « zone » qui permet de gagner un Major, je verrai du beau tennis..» Le constat avait été signé en 2015 dans les colonnes du New York Times par Omar Johnson, directeur marketing de Beats by Dre. Une conclusion trop biaisée pour être totalement honnête. “Nadal n’a jamais porté de casque et pourtant, on ne peut guère douter de l’intensité de sa concentration en début de match.», constate Nicolas Mahut. Aucune étude n’a encore été réalisée sur la question.
Fervent utilisateur des écouteurs Beats by Dre, dont il est aussi l’une des têtes d’affiche (enfin, eh bien…), Nick Kyrgios est sans doute le joueur masculin à être le plus souvent entré sur le court avec des écouteurs. Le fantasque Australien a même, à plusieurs reprises, enfreint la règle sacro-sainte du «règle tout blanc» à Wimbledon avec des modèles roses ou rouges.
Nick Kyrgios et son casque rose à Wimbledon en 2014
Crédit : Getty Images
Mais pour son dernier Open d’Australie à domicile, il a laissé le casque aux vestiaires. Pour quoi ? “Je n’ai écouté aucune musique aujourd’hui, » confiait-il après sa défaite au premier tour face à Jacob Fearnley. J’ai marché, je voulais entendre la foule.» Vivez pleinement l’instant présent en somme. Mais Kyrgios a perdu. Est-ce la faute à l’absence de casque ou plus sûrement à sa condition physique ? Le débat continue.
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