Il y a la décompression, enfin, après des heures de tension extrême en espérant ne pas tout gâcher et plus de deux mois de navigation dans les cordes. C’est une joie immense de remonter ce canal des Sables-d’Olonne pour la première fois, pour la deuxième fois après 2021, mais pour une fois en vainqueur incontesté. Il y a cette satisfaction d’avoir réussi son pari, de triompher au terme de cette campagne conquérante de quatre ans, telle qu’elle était prévue, comme elle était voulue, d’une épreuve qui a pourtant mille et une possibilités de réaliser ses rêves. englouti.
Charlie Dalin inscrit son nom au palmarès des courses au large les plus prestigieuses sur monocoques Imoca (18,28 m), et ce n’est pas d’une main tremblante que le skipper de Macif Santé Prévoyance faisant exploser du même coup le record du tour du monde fou : 64 jours, 19 heures et 22 minutes, soit près de dix jours de mieux que le temps réalisé lors de l’édition 2016-2017 par Armel Le Cléac’h sur Banque Populaire VIII (74 jours, 3 heures et 35 minutes). La performance est-elle aussi étonnante qu’elle en a l’air ?
Un record battu
“Oh pétard!” Il y aura vingt ans si on ne met pas de réacteurs sur les IMOCA ! “, s’est exclamé le doyen de la course, Jean Le Cam (65 ans), avant même l’arrivée, toujours au large du Brésil. Pour Armel Le Cléac’h, le record n’est cependant pas une immense surprise en raison de l’évolution technologique des bateaux, et notamment des foils, ces appendices latéraux qui leur permettent de « voler » dans certaines conditions. « Les foils n’ont plus rien à voir avec ceux qu’on avait en 2016 », souligne l’actuel skipper d’un maxi-trimaran, qui s’attaquera l’hiver prochain au trophée Jules-Verne (le tour du monde en équipage de sa catégorie). « Les leaders ont aussi bénéficié d’une météo parfois très favorable, et surtout ils ont réussi à maintenir leur vitesse dans ces conditions, ce qui n’est pas facile à faire. »
Troisième attendu ce jeudi 16 janvier aux Sables-d’Olonne – et qui sans pause sur son foil tribord aurait sans doute joué jusqu’au bout avec Charlie Dalin et Yoann Richomme – Sébastien Simon ne s’étonne pas de voir non plus chuter le cap de 2016 . « C’est génial mais cela pourrait encore être amélioré, assure le marin à la barre Dubreuil Group.Si nous avions vécu un Atlantique Nord similaire à celui qu’Armel a vécu il y a huit ans, nous aurions pu conclure l’affaire en moins de soixante jours tant nos bateaux sont aujourd’hui performants et fiables. »
Cette fiabilité, c’est ce qui ravit également Hubert Lemonnier, le directeur de course du Vendée Globe : « C’est parfait pour la sécurité, avec un taux d’abandon très faible – 6 partants sur 40 jusqu’à présent – ce qui démontre que les bateaux étaient bien préparés. Et c’est aussi excellent pour la performance, avec le record de Charlie mais aussi le record de distance sur 24 heures tombant à plusieurs reprises. Cela prouve que les paris technologiques et le design des bateaux sont les bons, et du coup tout avance très vite. »
Le combat à tous les niveaux
Les premiers ont parfaitement maîtrisé leur tâche, et le groupe de sept poursuivants qui viennent de franchir l’équateur est également capable d’établir le record 2016. Les voitures de course surfent sur les vagues, tandis que loin derrière, près de la moitié de la flotte se retrouve reléguée à près de 5 000 milles nautiques. Evidemment, les bateaux à foils les plus récents et les plus gros budgets affirment leur supériorité. Si l’avenir leur appartient, la dimension aventure de la course ne risque-t-elle pas d’en pâtir ? Quelle place, demain, pour ceux qui parviennent à embarquer, mais pour un long voyage, aux prises avec plus d’un mois de navigation supplémentaire et arrivant aux Sables-d’Olonne alors que l’écume de l’événement s’est en grande partie dissoute ?
« L’excellence des premiers ne relègue pas les autres à la médiocrité, replies Hubert Lemonnier. La course reste passionnante à différents niveaux, car, et c’est une autre satisfaction, la qualité des marins est, cette année, remarquable. » Un enthousiasme partagé par Antoine Mermod, le président de la classe Imoca qui rassemble les skippers et définit les règles de leurs pratiques.
-« Le Vendée Globe doit rester ce mélange de défi sportif et d’aventure, et cette diversité s’incarne très bien dans cette édition avec de belles régates à tous les niveaux du jeu, observe l’ingénieur-gérant. Il y a certes des lacunes, mais comme en 2012 ou 2016, et la qualité de l’engagement de chacun est remarquable. Il y a des combats à tous les niveaux. Chacun se dépasse, et peut s’exprimer sportivement, tout en racontant des histoires différentes. »
Demain, « voler » complètement ?
La classe Imoca doit cet équilibre à l’organisation de courses qualificatives qui ont permis aux hommes comme aux machines de gagner en expérience. « Ce système médiatise en partie ce débat sur la performance et l’aventure, analyzes Hubert Lemonnier. Il y aura toujours une part d’aventure, car affronter deux ou trois mois seul et les tempêtes des mers du Sud n’est jamais anodin. Mais le niveau requis pour se qualifier est de plus en plus élevé, ce qui définit un type de profil, peut-être moins tourné vers l’aventure pure. »
Les évolutions technologiques peuvent aussi faire bouger les lignes. Pour 2028, la classe Imoca a toutefois décidé de très peu modifier les règles techniques. “Le défi extraordinaire que représente le fait de passer autant de temps sur l’eau nécessite déjà des ressources financières importantes, et la classe voulait contrôler l’inflation plutôt que de lancer une nouvelle course aux armements, explique Antoine Mermod. Les bateaux – cinq ou six nouvelles constructions ont déjà été annoncées – seront donc toujours semi-volants. Ils sont désormais spectaculaires et fiables, et il ne semble pas judicieux pour le moment de passer au niveau supérieur. »
Le prochain cran ? La possibilité de vraiment voler en ajoutant un troisième foil sous forme de safrans en forme de T à l’arrière des bateaux. Les marins de la classe ont rejeté cette possibilité (par 86 voix contre 32, 11 skippers ne se prononçant pas) à l’automne 2023. La question des coûts d’un tel aménagement et celle de la sécurité incitent actuellement à la mesure. « Est-ce vraiment pertinent pour une course d’endurance comme le Vendée Globe ? “, asks Hubert Lemonnier.
Sébastien Simon fait au contraire partie de ces marins prêts à aller plus loin : « La professionnalisation ne me fait pas peur, et une évolution ferait surtout des bateaux plus confortables. J’en ai marre de frapper des vagues, d’être un coup au-dessus, un coup en dessous. Nous pourrions accélérer davantage. Et des règles restrictives finissent selon moi par coûter plus cher, à force de s’adapter dans de petits détails, que d’amorcer une véritable révolution. » Le débat devrait à nouveau remonter sur les pontons pour le Vendée Globe 2032.
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