Avec un déficit public supérieur à 6% du PIB, la France est au bord du gouffre budgétaire. À quoi ressemble un État européen lorsqu’il sombre dans l’abîme de la dette ? Pour le savoir, il suffit de regarder la Grèce, un pays désormais sorti d’affaire après plus de dix ans d’efforts douloureux.
Le 21 octobre, par un simple communiqué, l’agence de notation Standard & Poor’s annonçait la sortie de la Grèce de son purgatoire financier. Le pays est désormais placé dans la catégorie des « des investissements adéquats » (BBB-/A-3), au lieu de “spéculatif” (BB+/B). La raison invoquée : « Des progrès significatifs ont été réalisés dans la résolution des déséquilibres économiques et budgétaires. » Avec un solde primaire (écart entre les dépenses et les recettes publiques, hors charges d’intérêt) qui s’élève désormais à 2,1% du PIB, Athènes se positionne au-delà du ratio stabilisant la dette.
Pendant ce temps, chez nous, les nouvelles sont beaucoup moins encourageantes. Fin septembre, trois semaines après la nomination de Michel Barnier à Matignon, le taux d’intérêt des bons du Trésor (OAT) à cinq ans émis par Paris a atteint 2,48%, dépassant pour la première fois le taux grec, qui s’élève à 2,4 %. Il faut dire que le solde primaire de la France est négatif, affichant un déficit de 3,5% du PIB.
Comment la Grèce a-t-elle réussi à devenir un meilleur élève en matière budgétaire que la France ? Les raisons ne résident pas seulement dans notre insouciance. Depuis une décennie, les Hellènes sont soumis à un régime d’austérité intense, qui commence à porter ses fruits. Finie l’image désastreuse de l’État contrefaçon ! On sait que pendant des années, Athènes a littéralement maquillé ses comptes publics (avec l’aide de la banque Goldman Sachs) afin de bénéficier de la clémence de la Commission européenne. Ces illusions lui ont permis de financer un secteur public pléthorique et de développer un système d’assistance sociale, notamment de retraites, structurellement déficitaire.
Retour aux faits
Mais le 15 septembre 2008, la faillite de Lehman Brothers sonne la fin de la récession. Face au rationnement global du crédit bancaire provoqué par la crise des subprimes, la Grèce s’est très vite retrouvée incapable d’emprunter à des taux soutenables, et a dû se résoudre, moins de deux ans plus tard, à faire appel à l’Union européenne et au FMI à son secours.
A la suite d’un compromis difficile, un plan de sauvetage est décidé. Elle se déroule en trois étapes : d’abord en 2010, une aide de 110 milliards d’euros (dont 30 prêtés par le FMI) ; puis en 2012, un nouveau versement de 130 milliards d’euros (dont 28 du FMI) ; et enfin, en 2015, un rééchelonnement de la dette. En échange de cet oxygène, le pays est placé sous tutelle pendant quatre ans. Avec d’immenses sacrifices requis.
275 000 fonctionnaires (30 % de l’effectif total) ont ainsi été licenciés, tandis que ceux restés en poste ont vu leur salaire baisser d’environ 25 % et leur durée de travail passer de 37,5 à 40 heures par semaine. Le budget des collectivités locales est réduit de 40 % ; les dépenses publiques de santé et d’éducation sont réduites respectivement de 50 % et 22 % ; le budget de la défense est réduit de 50 %.
Autres mesures drastiques : le taux de TVA passe de 5 % à 23 %, le seuil de l’impôt sur le revenu est abaissé de 11 000 à 5 000 euros, le Smic est réduit de 22 %. Un programme massif de privatisation est également mené, notamment dans les secteurs de l’eau et de l’électricité. Son illustration la plus médiatisée est le rachat d’une partie du port du Pirée par une entreprise chinoise en 2016.
Une purge draconienne
L’état des lieux ne serait pas complet si l’on n’évoquait pas la situation des retraités, dont les pensions baissent de 15% en raison de la suppression du 13e et 14e mois auxquels ils avaient droit jusque-là. L’âge légal de la retraite passe de 60 à 67 ans. Le régime de la fonction publique est aligné sur celui du secteur privé. Ajoutons enfin une véritable chasse au « travail dissimulé », rendue possible grâce au développement accéléré des terminaux de paiement par carte.
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L’épuration est si draconienne que certains dirigeants, comme l’éphémère ministre des Finances Yanis Varoufakis (janvier-juillet 2015), envisagent de sortir de l’euro. Trouver la drachme permettrait en effet de dévaluer significativement et donc de résorber mécaniquement la dette. Mais cette solution, qui aurait conduit la Grèce vers l’inconnu, a été rapidement évacuée. La voie la moins risquée de l’Union européenne est maintenue.
Le résultat ne se fait pas attendre. Le déficit primaire a été résorbé en 2013, avant de se transformer en excédent à partir de 2015. Il faudra cependant attendre encore cinq ans pour qu’Athènes parvienne enfin à stabiliser sa dette, dont le niveau a culminé à 207 % du PIB en 2020 – il est désormais inférieur à 160 %. %.
Le retour de la jeunesse
Derrière les chiffres se cachent d’innombrables histoires individuelles, souvent douloureuses. Nikos, entrepreneur immobilier franco-grec, témoigne du traumatisme provoqué par la crise. «J’étais presque ruiné et j’ai dû abandonner une partie de mes activités car je ne pouvais pas payer mes employés.»il se souvient. Le pays se porte mieux, mais visiblement ce n’est plus le même qu’avant : les salaires sont plus bas et le système de protection sociale est devenu l’ombre de lui-même. »
Testé, Nikos n’est pas vaincu. Il affiche même un certain optimisme : « Nous avançonsil se réjouit. C’est un bon signe que nous voyons des jeunes revenir. Beaucoup étaient partis chercher du travail en Europe occidentale. »
Le cas grec ne peut parler qu’aux Français : même tendance à l’accélération des dépenses, même dépendance aux emprunts publics, même croyance au Père Noël européen ! Avec un déficit attendu à 6,1% du PIB pour l’année en cours et malgré un niveau de cotisations obligatoires parmi les plus élevés au monde, notre pays se trouve à une époque de choix. Au bord de l’effondrement, nous ferions bien de nous réformer avant que d’autres ne nous y obligent sans nous donner la parole. À cet égard, la France a sans aucun doute une leçon grecque à retenir.
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