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“On n’aurait jamais pensé trouver une nouvelle espèce” sur le site d’Angeac, en Charente

Depuis une quinzaine d’années qu’il est fouillé par les scientifiques pendant trois semaines chaque été, le site d’Angeac, en Charente, est désormais bien connu des paléontologues. Ils ont déjà découvert plus de 100 000 fossiles de toutes sortes, extrêmement bien conservés, dont des fémurs de turiasaure (un grand sauropode), et 70 squelettes d’ornithomimosaure, des dinosaures qui vivaient là il y a 140 millions d’années. .

La nouvelle découverte faite l’été dernier lors de la campagne de fouilles menée par le paléontologue du Muséum national d’histoire naturelle de Paris Ronan Allain pourrait faire entrer Angeac dans le cercle des sites d’intérêt mondial. Car c’est un semi-squelette articulé qui a été retrouvé, appartenant probablement à une nouvelle espèce de dinosaure, proche des camarasaures, dont il reste peu de traces en Europe. Alors que l’analyse des premiers fossiles découverts sur place a débuté au musée, 20 minutes » a interrogé Ronan Allain à propos de cette découverte.

Le paléontologue du Muséum national d’histoire naturelle, Ronan Allain.– AGNÈS IATZOURA

Racontez-nous comment s’est déroulée la découverte de ce nouveau dinosaure sur le site d’Angeac en juillet dernier ?

Cela faisait deux ans que nous attendions de pouvoir accéder à de nouvelles parcelles. Nous étions très excités car nous savions que nous allions croiser des fossiles, et probablement des sauropodes, puisque nous en avons déjà trouvé à Angeac, dont de gigantesques fémurs de turiasaure en 2010 et 2019. Je me suis dit qu’on trouverait aussi du théropode ou du stégosaure. , bref des animaux que l’on connaissait déjà. Mais nous n’aurions jamais pensé trouver une nouvelle espèce de dinosaure.

Lorsque la tractopelle a commencé à enlever les graviers, très vite nous avons vu apparaître des petits fragments d’os à la surface, puis nous sommes tombés sur de gros os, notamment l’extrémité d’un fémur. En continuant, nous avons vu que les ossements étaient très localisés, ce qui était nouveau car habituellement, à Angeac, ils sont dispersés. Et au bout d’une semaine, on a compris qu’il s’agissait d’un semi-squelette articulé, avec un morceau de bassin, des côtes, des morceaux de crâne, quatre vertèbres dorsales… et des dents. Plusieurs dents – nous en avons plus de quarante maintenant. Ce sont eux qui nous ont dit que cela n’avait rien à voir avec le turiasaure que l’on connaît bien sur ce site, mais qu’il s’agissait d’un dinosaure proche du camarasaure.

Le site d’Angeac, en Charente, est fouillé chaque été par des scientifiques pendant trois semaines.-Ludovic Royer

Pourquoi des dents ?

Parce qu’ils sont très typiques, on les connaît bien dans d’autres gisements dans le monde, notamment aux Etats-Unis où de nombreux fossiles de camarasaure. Une espèce qui cohabitait avec les diplodocus, les brachiosaures, les allosaures…

Et qu’est-ce qui nous permet de dire qu’il pourrait s’agir d’une nouvelle espèce ?

C’est très proche du camarasauremais nous avons rapidement souligné de nombreuses différences anatomiques. Mon travail consistera à les valider définitivement, en accédant à des structures anatomiques plus fines. Alors seulement, nous pourrons en faire une nouvelle espèce, auquel cas elle aura droit à son nom. Nous nous fixerons en juillet je pense. Mais ce qui est peut-être encore plus intéressant, c’est que nous sommes au Crétacé (140 millions d’années), alors que l’on sait que les autres membres de cette famille ont vécu au Jurassique supérieur (il y a 160 millions d’années). Or, l’histoire nous a appris qu’à la fin du Jurassique, il y a eu une rupture, avec des changements dans les faunes de dinosaures… Angeac nous dit donc le contraire.

Comment avez-vous réussi à tirer ces conclusions si rapidement ?

C’est grâce au dépôt, qui est extraordinaire. Ces nombreux ossements sont également conservés dans de l’argile facilement consultable, ce qui permet d’aller beaucoup plus vite que sur d’autres sites.

Avait-on déjà trouvé des fossiles de camarasaures, ou proches de cette espèce, dans cette région ?

On savait que ces animaux étaient présents à la fin du Jurassique en Europe, grâce à la découverte de quelques ossements. La différence c’est que nous ne sommes plus au Jurassique, mais au Crétacé, ce qui en fait les plus jeunes camarasaures jamais découverts, et surtout nous avons cette fois une cinquantaine d’os, et ce n’est pas fini. Il faut vraiment mesurer son caractère exceptionnel, car on voit souvent des annonces de découverte de nouveaux dinosaures, mais quand on gratte un peu, on se rend compte qu’il s’agit d’un quart d’os ou d’une dent… Ce n’est vraiment pas le cas.

En particulier, quatre vertèbres dorsales connectées ont été retrouvées sur le site.– Loïc Bocat

Le squelette peut-il être reconstitué et exposé ?

En fonction de ce que nous trouverons lors des prochaines fouilles, nous verrons si nous pouvons reconstituer le squelette en trois dimensions. Mais c’est l’objectif affiché de toute l’équipe, et je pense que nous devrions pouvoir l’atteindre. Nous avons déjà quatre vertèbres dorsales reliées qui sont magnifiques, nous avons presque tout le bassin, toute la mâchoire inférieure avec toutes les dents conservées. Nous avons beaucoup d’éléments qui proviennent de différents endroits du squelette. Et cela nous dit que le reste est probablement là. Pour l’heure, ce serait une énorme surprise – désagréable – de ne pas retrouver la suite, même si une partie a certainement été emportée par la Charente.

Après, une exposition serait souhaitable, mais où ? Il faut un musée qui puisse accueillir un squelette de sauropode de vingt-cinq mètres de long… Pour l’instant, tous les ossements retrouvés à Angeac sont regroupés au musée d’Angoulême, et il n’y a aucune velléité nulle part, d’accueillir une telle reconstitution.

Que dire de ce site Angeac ? Comment était-ce il y a 140 millions d’années ?

Reconstitution du site d’Angeac tel qu’il devait être au Crétacé, avec représentation d’un dinosaure turiasaure et d’ornithomimosaures.– Hommes

C’était une zone marécageuse. Il faut imaginer une sorte de grand étang avec des animaux qui y vivent, comme des crocodiles, des tortues, des grenouilles… C’est aussi un point de passage pour de nombreux dinosaures qui viennent s’y abreuver, notamment les ornithomimosaures (appelés dinosaures autruches). , turiasaures, stégosaures, ankylosaures…

Certains sont représentés par quelques dents, d’autres par des squelettes. Parce que des dinosaures y sont aussi morts. Ils s’enfoncent alors dans la boue et se retrouvent recouverts, ce qui favorise leur fossilisation. À Angeac, c’est tout simplement incroyable tout ce qui s’est fossilisé, alors que trois kilomètres plus loin, on ne trouve rien du tout.

 
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