D’une manière générale, l’extraction directe désigne une famille de technologies dédiées à l’extraction sélective du lithium des saumures. Ces eaux souterraines salées sont parfois naturellement très concentrées en lithium, notamment dans le fameux « triangle du lithium » (le nord du Chili et de l’Argentine et le sud de la Bolivie, où se situe la majorité des réserves mondiales). Mais aujourd’hui, la voie traditionnelle d’extraction passe par l’évaporation, via de grands bassins bleu pâle dans lesquels les saumures attendent deux ans au soleil.
«Le DLE est beaucoup plus rapide et permet de ne pas perdre la moitié du lithium en cours de route», résume Gabriel Toffani, PDG de la jeune société française Adionics qui promet de pouvoir capter jusqu’à 99 % du lithium présent dans l’eau pompée en surface, contre «maximum 50%, quand tout va bien, avec la voie évaporative« . Sur le papier, le DLE permet également de réinjecter les saumures captées pour minimiser la perturbation des aquifères exploités. Ce qui n’est pas encore le cas en pratique.
Car l’extraction directe du lithium n’est pas complètement nouvelle. Sur le salar (ou désert de sel) argentin de Hombre Muerto, une usine est en activité depuis 1997. Elle est récemment tombée aux mains du géant anglo-australien Rio Tinto, via son méga-achat du géant du lithium Arcadium fin 2017. 2024. Plusieurs grands mineurs chinois utilisent également le DLE, souvent fourni par la société Sunresin New Materials, sur les hauts plateaux du Qinghai et du Tibet. Preuve de la criticité de ce sujet, le DLE fait partie des technologies d’extraction et de raffinage du lithium pour lesquelles la Chine a annoncé des restrictions à l’exportation le 2 janvier 2025.
15% de la demande en 2030
Rien de nouveau ? “Jusqu’à présent, les usines existantes utilisent une méthode hybride, avec une phase d’évaporation. Aujourd’hui, le DLE « pur » commence à atteindre sa maturité technologique. Nous sommes très optimistes», commente Federico Gay, analyste lithium au sein du cabinet spécialisé Benchmark Minerals. Il estime que DLE approvisionne déjà 12 % du marché mondial. Mais grâce à l’arrivée d’usines comme celle d’Eramet, elle atteindra environ 15 % à la fin de la décennie. Dans le même temps, la demande en lithium devrait presque tripler, pour approcher les trois millions de tonnes par an ! En 2030, la majorité du lithium proviendra encore des mines de roches conventionnelles. Mais le coup de pouce apporté par le DLE est le bienvenu, car les analystes prédisent que le marché tombera en déficit d’ici la fin de la décennie.
Conséquence : les projets se multiplient avec 2027 en ligne de mire. Au-delà de son rachat d’Arcadium au prix fort, Rio Tinto a annoncé mi-décembre un investissement de 2,5 milliards d’euros pour construire une grande usine à Rincon (où il dispose d’une usine pilote) en Argentine ! L’américain International Battery Metals (dont la technologie fournit le groupe Ensorcia, qui a un projet de raffinage du lithium en France), a construit l’été dernier sa première usine modulaire, plus modeste, sur un site américain de magnésium dans l’Utah.
Le géant chilien du lithium, SQM, qui a testé de nombreuses technologies sur le Salar d’Atacama, vient d’investir dans le français Adionics. Reconnaissance pour sa technologie d’extraction par solvant liquide, qui se veut relativement insensible aux impuretés comme le magnésium et économique en eau douce. Alors que de nombreuses compagnies pétrolières lorgnent aussi sur l’or blanc, l’américain ExxonMobil mise aussi sur DLE, en Arkansas, non loin de la société Standard Lithium, soutenue par le norvégien Equinor et filiale du conglomérat Koch.
10 000 dollars la tonne ne suffisent pas
Adsorbants, échanges ioniques, solvants, membranes… »Il existe plusieurs technologies dans la famille DLE, qui ne sont pas toutes au même niveau de maturité technologique», rappelle Federico Gay. Aujourd’hui, les adsorbants (des solides qui captent le lithium à leur surface au contact des saumures, utilisés par Arcadium ou Eramet) sont les plus avancés. Mais les autres options ont leur place à jouer, d’autant que chaque saumure est spécifique et nécessite une solution sur-mesure. Des impératifs écologiques, notamment celui d’économiser l’eau douce (qui sert à récupérer le lithium capté dans les saumures) dans les régions sèches, peuvent aussi favoriser certaines technologies, alors que de grands pays producteurs comme le Chili souhaitent protéger leur environnement.
Reste une incertitude majeure : dans un marché du lithium en surproduction, l’heure est plutôt à se serrer la ceinture que de produire à tout prix. Les prix du métal blanc se sont effondrés en 2023 et ont continué de baisser tout au long de l’année dernière, approchant les 10 000 dollars la tonne de carbonate de lithium début 2025. Benchmark Minerals estime qu’ils atteindront en moyenne 10 400 dollars cette année. De quoi rendre non rentables de nombreux projets… y compris pour le DLE
« Nous avons encore des projets très compétitifs à ce prix», rassure Gabriel Toffani, qui souligne que la DLE peut également intervenir dans des projets de recyclage de batteries ou dans certaines mines de roches. Eramet, de son côté, estime le coût de production de son usine à moins de 5 000 dollars la tonne… Mais c’est sans compter la construction de l’usine. “Le problème avec le DLE est que les investissements initiaux [capex] sont très importants, donc difficiles à prendre et à justifier dans un environnement de prix relativement bas», juge Federico Gay. Ce qui n’empêche pas les paris à contre-cycle.
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