Aux yeux des nutritionnistes, les aliments proposés manquent majoritairement de valeur nutritionnelle
Dans une publication sur Facebook la semaine dernière, la chef culinaire d’Ottawa Anna March a dénoncé la valeur d’un sac de nourriture vendu dans un supermarché Provigo de Gatineau. Il en coûte 5 $ aux clients pour qu’une banque alimentaire reçoive de leur part quatre boîtes de soupe condensée au poulet et aux nouilles.
Total de ce que cela aurait coûté en rayon : 6 $. M.moi March a toutefois souligné que la valeur du contenu totalisait 3,56 $ chez Maxi, la marque discount de Loblaw, qui possède également Provigo.
Le géant de l’alimentation a donc fait plus de profits avec un geste de solidarité chez Provigo qu’avec une vente « normale » chez Maxi, a indiqué le titulaire d’un certificat en sécurité alimentaire de l’Université métropolitaine de Toronto.
Dans plusieurs supermarchés du Québec, à l’approche du temps des fêtes, des sacs de nourriture peuvent être achetés par les consommateurs puis déposés dans un panier près des caisses des banques alimentaires. Étant donné que les articles sont généralement regroupés dans un emballage scellé, peu de donateurs voient la nature de leur offrande.
La presse s’est procuré huit sacs dans cinq supermarchés des chaînes Metro, Provigo et Maxi pour y voir plus clair. Résultat : des valeurs variables, mais supérieures au prix d’achat (voir autre texte), peu de plaisir et une pointe de cynisme, selon les nutritionnistes que nous avons consultés.
«Ça contient trop de sel, c’est très transformé et on est loin des recommandations du Guide alimentaire», résume Rosanne Blanchet, professeure adjointe au Département de médecine sociale et préventive de l’Université de Montréal.
«J’ai l’impression qu’on prend les articles les moins chers et qu’on les met dans des sacs», renchérit la nutritionniste Stéphanie Ferland, fondatrice des cliniques Simple-Nutrition.
Les marques Sobeys (IGA, Marché Tradition) n’avaient pas de programme national de sacs préremplis cette année.
Le sodium à l’honneur
Notre collection a débuté dans un Provigo et dans un Maxi, deux marques Loblaw partenaires de La guignolée des médias.
Lors de notre premier arrêt, nous avons acheté deux sacs pour 5 $. La succursale Provigo avait glissé à l’intérieur trois boîtes de conserve – sauce tomate, légumes et thon – et huit sachets de nouilles instantanées de marque Unname. Chacun d’eux affiche 1360 grammes de sel, soit 60 % de la dose journalière recommandée. La plupart ont répondu « Meilleur d’ici le 23 décembre 2024 ».
Chez Maxi également, huit paquets de nouilles de marque Mr. Noodles avaient été insérés dans chacun des deux sacs de dons, l’un payé 10 $, l’autre 20 $.
Ces produits sont hyper transformés et excessivement salés, conviennent les nutritionnistes consultés par La presse. Consommés régulièrement, ils augmentent le risque de diabète et de maladies cardiovasculaires chez les femmes, selon une étude américaine publiée dans la revue Journal de nutrition. En Asie, les nouilles instantanées sont pointées du doigt par l’UNICEF comme un facteur contribuant à l’obésité et à la malnutrition.
Des mélanges de soupe poulet et nouilles, également riches en sodium, ont été glissés dans trois sacs sur huit, dont deux chez Metro.
Il s’agit d’une « malbouffe dénuée de valeur nutritionnelle et de joie qui ne nourrira absolument personne », a déclaré la chef Anna March dans sa publication sur Facebook après avoir découvert quatre boîtes de soupe dans un sac de dons.
«J’éprouve un certain malaise parfois à voir les gens juger que la soupe en conserve n’est pas bonne», réagit Martin Munger, directeur général des Banques alimentaires du Québec (BAQ). Il souligne par exemple que certains bénéficiaires vivent dans une maison de chambres équipée uniquement d’un micro-ondes.
Nous sommes conscients que si la personne ne mange que cela, ce n’est pas l’idéal, mais une boîte de soupe peut apporter du réconfort à un moment donné. Je pense que nous devons être prudents.
Martin Munger, directeur général des Banques alimentaires du Québec
Les produits placés dans les sacs sont également tirés d’une liste fournie par le BAQ.
Le verdict des nutritionnistes
Le panier offert à 20 $ chez Maxi, avec « lentilles, mélange de légumes et thon », est le plus intéressant, selon la nutritionniste Stéphanie Ferland. « On peut faire une grande soupe riche en protéines, en fibres et en légumes. »
“Dans l’ensemble [des huit sacs]il pourrait y avoir davantage de légumes en conserve, de protéines et de produits à grains entiers », note-t-elle.
Nous aimons le riz blanc et les pâtes blanches. Mais pour quelqu’un dans le besoin et avec un peu d’imagination, il existe un moyen de préparer des repas assez nutritifs.
Stéphanie Ferland, nutritionist
Dans le cas de l’omniprésence des nouilles instantanées ultra-salées, la nutritionniste Stéphanie Ferland émet un bémol. Elle souligne qu’il est possible d’utiliser les nouilles comme base de repas en modérant la dose d’assaisonnements, responsables du sodium, et en ajoutant une protéine comme le thon ainsi que des légumes. « Vous pouvez préparer un repas un peu plus complet qu’avec un simple paquet de ramen. »
Rosanne Blanchet aurait préféré voir plus de diversité parmi les aliments non périssables, par exemple le lait en poudre.
Les nutritionnistes s’accordent sur un point : à quelques exceptions près, on constate un manque criant de « plaisir » dans les aliments payés aveuglément par les clients. Surtout dans le contexte de la période des fêtes. « Est-ce que ça peut apporter de la joie ? », demande Rosanne Blanchet. « Poser la question, c’est y répondre. Qui a envie de manger des nouilles instantanées à Noël ? Pour ma part, la liste ne me donne pas envie de préparer le dîner. »
Martin Munger, des Banques alimentaires du Québec, rappelle que les sacs remis à Moisson sont généralement ouverts afin que les produits soient redistribués dans des paniers répondant mieux aux besoins de la population.
En chiffres
5 $ = 75 $ ?
Un don en argent de 1 $ équivaut à trois repas, selon Banques alimentaires du Québec, ou à 15 $ de nourriture, selon Moisson Montréal. Selon ces déclarations, les 5 $ que nous avons échangés contre huit sacs de nouilles et trois boîtes de conserve chez Provigo auraient donc pu fournir 15 repas ou nourriture d’une valeur de 75 $ s’ils avaient été remis directement aux organismes.
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