Il est midi passé ce vendredi sur le vaste parking de l’usine Stellantis de Poissy. C’est bientôt l’heure du changement d’équipe dans cet immense complexe qui longe la Seine. Les ouvriers, souvent déjà en salopette, convergent vers les portiques pour prendre leur poste sur les chaînes de montage.
Situé dans les Yvelines, ce site est le dernier à fabriquer des automobiles en Ile-de-France. Son château d’eau, bien connu des locaux, surplombe les bâtiments. La rouille n’a pas encore vaincu un grand lion peint. Cet emblème Peugeot nous rappelle que nous foulons ici les terres historiques de l’industrie automobile française. L’usine, construite par Ford en 1938, est bordée par des voies ferrées. Des trains sans fin y circulent, transportant tous sur deux étages des centaines d’Opel Mokka, le principal modèle produit sur le site.
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Au sein de ses bâtiments en longueur, la majorité des 2.530 salariés permanents ont le moral au plus bas. Le site tourne au ralenti, avec seulement deux équipes depuis la suppression de l’équipe de nuit il y a tout juste un an. Les investissements sont réduits à un filet. Surtout, aucun nouveau projet de plateforme n’est au programme, alors que la production de l’Opel Mokka est censée s’arrêter en 2028.
Le spectre d’une fermeture de site, ou d’une réduction significative des effectifs, hante de nombreux salariés, souvent âgés et comptant des dizaines d’années d’ancienneté.
C’est le cas de Philippe. A 61 ans, dont 35 passés en usine, ce préparateur de pièces soudeur prend sa retraite l’année prochaine. « L’ambiance ? C’est zéroil balaie. Même pessimisme pour Christophe, mécanicien de 50 ans. Nous vivons au jour le jour, nous ne savons pas ce que demain nous réserve »il soupire. Quand on évoque la récente éviction de Carlos Tavares, l’ancien patron de Stellantis, il s’agace. «J’aimerais être licencié dans les conditions dans lesquelles il avaits’exclame-t-il en faisant référence à son parachute doré qui pourrait valoir des dizaines de millions d’euros. Mais nous ne vivons pas dans le même monde. »
« Demain, Poissy aura peut-être d’autres fonctions »
Avec vingt-deux ans d’ancienneté, Brice est résigné. « Les gens savent très bien que ça va fermer »il murmure. Le salarié de 42 ans déplore « des effectifs de plus en plus réduits » depuis la dernière suppression de 560 postes il y a un an. Cet ancien cariste a, à cette occasion, vécu une très mauvaise expérience avec une réaffectation qui ne lui convenait pas. « En février dernier, on m’a retiré ma machine pour me mettre à la chaîne parce qu’ils avaient écrémé les intérimaires et les contrats professionnels qui y travaillaient.il explique. Du jour au lendemain, je me suis retrouvé à faire un métier que je ne connaissais pas et que je ne voulais pas. » Ses patrons lui proposent finalement de passer son permis poids lourd pour intégrer une nouvelle flotte de transporteurs. Brice a sauté sur l’occasion. Avec l’idée que si l’usine disparaissait, il pourrait facilement trouver du travail dans ce domaine.
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Tout aussi inquiets, les représentants syndicaux sont divisés sur l’avenir du site. L’un des plus médiatiques, Jean-Pierre Mercier, le délégué SUD, est catégorique. Pour lui sans doute, Poissy “et agriculteur”. A ses yeux, tous les signaux sont au rouge. Le syndicaliste évoque la baisse des cadences de production en juin dernier. « On est passé de 38 à 30 véhicules assemblés par heure »se lamente-t-il.
Jean-Pierre Mercier critique également la phase de « restylage » du Mokka. Il la juge “très léger”alors que cette étape, classique dans l’automobile, est indispensable pour relancer les ventes d’un modèle d’âge moyen. Mais il y a aussi le projet, “tombé à l’eau”rapprocher le bâtiment dédié à la peinture des autres installations. Aujourd’hui c’est loin “200 mètres” bâtiments dédiés à la ferronnerie et au montage.
Les autres syndicats ne partagent pas ce pessimisme. Responsable de Force ouvrière de Poissy, Brahim Aït Athmane ne grandit pas “pas du tout quand le site ferme”. Il considère que si la production venait à s’arrêter, l’usine pourrait être transformée. « Demain, Poissy aura peut-être d’autres fonctions »dit-il. Le syndicaliste prend comme exemple le cas de l’usine Renault de Flins. Egalement situé dans les Yvelines, le site a arrêté sa production en mars dernier et s’est converti à l’économie circulaire. « Ce qui compte, c’est le maintien de l’emploi »insists Brahim Aït Athmane.
Une production en chute libre
Il n’en reste pas moins qu’aujourd’hui, c’est le flou total. Interrogé sur l’avenir de Poissy après 2028, Stellantis n’a pas fait de commentaire. Une source proche du constructeur convient qu’à ce jour, “il n’y a pas de projet industriel”. Dans le même -, la réduction de la production inquiète les ouvriers, qui craignent que l’usine ne disparaisse à petit feu.
En novembre dernier, le constructeur prévoyait seulement, selon nos informations, une production de 99 200 unités pour cette année (près de 30 % de moins que prévu précédemment), puis 107 600 en 2026, et 100 300 en 2027.
Mais la direction vient de revoir ces chiffres à la baisse. Selon Jean-Pierre Mercier, le directeur RH de l’usine a déclaré lundi dernier aux syndicats que la production ne dépasserait pas 89 000 unités cette année, et avoisinerait les 90 000 en 2025. Les investissements sont au point mort. Stellantis ne compte dépenser que 8,5 millions d’euros sur les trois prochaines années. C’est “juste pour empêcher les murs de s’effondrer”fulmine une source syndicale.
Au dernier Mondial de l’Automobile de Paris, en octobre dernier, Carlos Tavares, l’ancien patron de Stellantis dont la réputation de tueur de coûts n’est plus nécessaire, indiqué au Échos que le sort de Poissy serait décidé « fin 2025 ». Depuis son éviction, John Elkann, le président du constructeur, n’a pas donné plus de détails. Soucieux d’améliorer ses relations avec le gouvernement français, il a récemment rencontré Emmanuel Macron. Selon la Présidence de la République, le leader « a souligné sa volonté de continuer à soutenir les usines dans lesquelles le groupe est implanté ». Mais John Elkann n’a ni évoqué Poissy ni pris d’engagement d’augmenter la production en France, comme il vient de le faire en Italie.
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Cette situation de grande incertitude inquiète le département. « Nous avons toujours été aux côtés des principales usines de la vallée de la Seine, Flins et Poissy, pour les aider à gagner de nouveaux véhicules à produire.écrit Pierre Bédier, le président du conseil départemental des Yvelines. Il ne faut pas se voiler la face : ces sites sont menacés. Maintenir l’activité industrielle est difficile, mais cela reste notre ambition. » La mairie de Poissy ne souhaite toutefois pas se prononcer sur ce sujet. Pas question, à ses yeux, de commenter “les rumeurs” sur “l’avenir de l’usine”.
Stellantis sera, quoi qu’il arrive, toujours présent dans la commune. Le géant automobile construit actuellement un « campus vert », dont l’ouverture est prévue au début de l’année prochaine, non loin de l’usine. Il accueillera 8 200 salariés issus de ses activités tertiaires et un centre de R&D. Avec cet ensemble immobilier « énergie positive »Stellantis, veut démontrer son « responsabilité sociale et environnementale ». Les ouvriers de l’usine n’y voient que la confirmation qu’ils ne sont pas, pour l’instant, la priorité du groupe.
Les sous-traitants de Poissy en alerte
Que deviendront-ils si la production de Poissy continue de décliner, ou pire si l’usine ferme ? C’est la question que se posent de nombreux sous-traitants. Parmi eux, il y a l’agence Forvia à Méru, dans l’Oise. Avec ses 300 ouvriers de production et 600 collaborateurs R&D, elle fabrique des tableaux de bord pour le Mokka et des panneaux de portes pour la DS3. “Quand Poissy tousse, on s’enrhumerésume Zouhair El Yaakoubi, le délégué syndical CFDT. En cas de fermeture, nous deviendrions un client unique : il ne nous resterait plus comme client que l’usine Renault de Sandouville, où nous produisons des pièces pour le trafic électrique. » Le syndicaliste craint des conséquences sur l’emploi. Contacté, Forvia ne souhaite pas faire de commentaire.
Même souci sur le site OPMobility de Vernon, dans l’Eure. Celle-ci fabrique des pare-chocs avant et arrière pour Poissy. Le site compte 300 salariés, dont un tiers d’intérimaires. Mickaël Mauger, délégué syndical CFTC, craint pour leur sort si la production de Poissy continue décroissant. “S’ils ne vendent pas Mokka, ça va être compliqué pour nous”» précise-t-il en précisant que le site de Vernon réalise également de nombreux travaux pour l’usine Renault de Sandouville. A Vernon, OPmobility est déjà confrontée, selon lui, à « désactivations » — c’est-à-dire le retrait d’une des trois équipes qui se relaient à l’usine pendant un ou deux jours. Mickaël Mauger affirme qu’il y avait “plus de 40 ans” pour l’équipe de nuit depuis le début de l’année. Egalement contacté, OPMobility n’a pas répondu à nos demandes.
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