Longtemps cantonnée aux seuls laboratoires de recherche, l’informatique quantique entre aujourd’hui dans une nouvelle ère, marquée par l’industrialisation de ses technologies. En témoigne la scale-up française Quandela, dont l’usine de Massy a déjà produit plusieurs véritables ordinateurs quantiques en série. Un site dont l’entreprise – qui s’appuie sur une technologie quantique dite « photonique » – nous a ouvert les portes le 24 octobre, à l’occasion de la présentation de sa feuille de route 2024-2030.
Obscure, nébuleuse, déconcertante… Pour de nombreux non-initiés, l’informatique quantique s’apparente sans doute davantage, encore aujourd’hui, à une chimère ou à un vague concept de science-fiction dont se seraient emparées une poignée de chercheurs utopistes. ‘à une réalité industrielle. Et pourtant en réalité, c’est bien à la naissance d’une véritable industrie informatique quantique que nous assistons, comme l’illustre notamment le parcours de l’un des protagonistes de cette aventure académique. industriel : le Quandela français.
Née en 2017 sous la houlette d’un trio de scientifiques multi-primés[1]la start-up devenue scale-up – après avoir levé plus de 65 millions d’euros entre 2020 et 2023 – est en effet aujourd’hui pleinement engagé dans la phase d’industrialisation de sa technologie unique de génération de qubits, baptisée eDelight.
Et il y avait de la lumière !
Là où certains de ses concurrents s’appuient sur des qubits supraconducteurs, avec des ions piégés, voire des atomes neutres froids, Quandela a développé une technologie dite « photonique », qui repose sur l’émission de « photons uniques ». Ceci, à raison de 80 millions par seconde… Comment ? Grâce à un laser et à des nanostructures semi-conductrices appelées « points quantiques », ou « boîtes quantiques », clé de voûte de la technologie de génération de qubits photoniques eDelight.
« L’un des principaux avantages du photon est sa stabilité, sa robustesse », argumente Valérian Giesz, co-fondateur et directeur des opérations de Quellela. “ On peut donc facilement manipuler les informations circulant dans les circuits photoniques », poursuit-il. Autre avantage, et non des moindres, la technologie photonique de Quandela est, selon ses concepteurs, jusqu’à dix fois moins consommatrice d’énergie que les autres technologies de génération de qubits. “ A tout cela s’ajoute la possibilité d’utiliser certains composants déjà utilisés pour l’accès à Internet, notamment les fibres optiques. », souligne Valérian Giesz, qui voit déjà la possibilité de mettre en réseau plusieurs ordinateurs quantiques, afin d’en tirer une puissance de calcul accrue. “ C’est pour demain ! Ou, disons… après-demain », glisse-t-il.
Pour le moment, ce sont en tout cas des processeurs quantiques à 6, 10, voire 12 qubits « physiques » (sans correction d’erreur) que Quellela a réussi à accoucher. Des systèmes qui répondent aux doux noms d’Ascella, Altair et Belenos, capables, respectivement, d’effectuer jusqu’à 144, 400 et 576 opérations quantiques par seconde.
« Nous avons notamment été sélectionnés par EuroHPC[2]fournir un ordinateur quantique de 12 qubits à Trtrès grand centre de calcul (TGCC) du CEA », révèle Valérian Giesz. Livraison prévue à la fin de l’année prochaine…
La machine viendra ensuite s’ajouter aux premiers exemplaires déjà livrés par Quandela – ou sur le point de l’être – au français OVHcloud en 2023 pour un, et à la filiale québécoise du groupe EDF Exaion pour trois autres d’entre eux cette année. “ Nous sommes en train de déployer un véritable « cloud quantique » avec ce partenaire », explique le directeur des opérations de l’entreprise. Quandela, qui propose déjà depuis 2022 sa propre offre de services d’informatique quantique dans le cloud, Quellela Cloud, accessible à tous. Une première à l’échelle européenne, comme l’ont été plusieurs autres faits d’armes de l’entreprise qui se définit comme un acteur full-stack[3] informatique quantique : premier ordinateur quantique livré à un client privé par un acteur européen ; première ligne pilote au monde dédiée à la production de sources de photons uniques (inaugurée à Palaiseau en juin dernier, au sein de l’Institut photovoltaïque d’Île-de-France, IPVF), mais aussi, l’année dernière, rien de moins que la première usine de production d’ordinateurs quantiques dans l’Union européenne. Un site situé à Massy, où Quandela nous a ouvert ses portes en octobre dernier.
L’usine quantique
Après un détour par les bureaux à l’étage de ce tout nouveau bâtiment – inauguré en juin 2023, en présence du prix Nobel de physique 2022 Alain Aspect –, dirigez-vous vers le rez-de-chaussée pour pénétrer dans le Saint des Saints : l’actuel quantum. ligne de production informatique. Après avoir enfilé une paire de surchaussures, nous découvrons une salle blanche dans laquelle s’affairent des opérateurs vêtus tout de bleu. Deux d’entre eux sont confinés dans un espace délimité par un rideau à bandes transparentes. ” Ces ingénieurs travaillent sur la caractérisation de circuits photoniques; ils vérifient leur fonctionnement », explique Valérian Giesz. Conçus par Quandela, ces composants sont en fait fabriqués par des fonderies partenaires, à partir de nitrure de silicium. “ Nous n’en gardons qu’environ 10 % – les meilleurs – pour les intégrer dans nos ordinateurs quantiques », souligne le directeur des opérations deQuandela.
A quelques pas se trouve un atelier de fabrication de cartes électroniques classiques associées à des composants photoniques. “ Ici vous voyez deux PCB[4] en cours de test, qui pourra ensuite être implémenté dans les racks derrière vous », décrit le directeur de l’ingénierie matérielle chez Quandela, Nicolas Maring.
C’est à ce moment que l’on découvre le vrai visage d’un ordinateur quantique : une « simple » armoire métallique ; un rack de serveur informatique comme on en trouve dans presque tous les centres de données du monde. On serait presque déçu…
En attendant d’envisager les éléments qui s’apprêtent à prendre leur place : laser, compresseur et circuit d’hélium, permettant de maintenir à trois degrés au-dessus du zéro absolu la source de photons uniques, elle-même enfermée dans l’enceinte d’un cryostat maintenu sous vide, contenant également les détecteurs de photons[5]. A quoi s’ajoute notamment un système opto-électronique de collecte et de synchronisation des photons uniques, mais aussi le centre névralgique de la machine : sa puce photonique ; en d’autres termes, son processeur quantique. Tout cela est sur le point d’être relié par un entrelacs de câbles électriques et de fibres optiques… » Nous préparons cette machine pour la commande passée par EuroHPC », confie Valérian Giesz, avant de nous emmener dans une nouvelle section de l’usine, tout juste aménagée, où trône cette fois une machine 6 qubits pleinement fonctionnelle.
Pas de surprise, cela se résume aussi, vu de l’extérieur, à deux baies serveurs tout à fait classiques. Alimenté par une simple prise murale 230 volts et connecté au réseau via Câble Ethernet très classique, ils sont néanmoins agrémentés d’une petite touche de fantaisie : un ruban de LEDs défilantes, qui donneraient presque à l’ensemble l’apparence d’un (gros) ordinateur de jeu… Mais la comparaison s’arrête là. ” Ces deux armoires contiennent le système laser, les différents éléments optiques et le cryostat, ici en bas, ainsi que toute l’électronique de commande. », énumère Nicolas Maring, dont la voix est presque couverte par le bourdonnement aigu de l’appareil. Une machine pleinement fonctionnelle, qui n’est aussi qu’un avant-goût de ce que seront les ordinateurs quantiques de Quelle, demain.
Qubits : du physique au logique
« Nous avons encore beaucoup de travail de miniaturisation à faire ; les placards contiennent encore beaucoup d’espace vide », concède le directeur de l’ingénierie matérielle chez Quellela. Un travail d’optimisation qui sera indispensable pour que se concrétise la prochaine étape clé de la feuille de route récemment révélée par l’entreprise : la mise en place de qubits dits « logiques », des qubits sans erreur nécessitant, en fait, pour cela, la génération de centaines, voire des milliers de qubits physiques. “ Pour y parvenir, nous nous appuyons sur une approche hybride matière-lumière, qui bénéficiera à nos prochaines générations deordinateurs quantiques… », reveals Valérian Giesz. “ Notre objectif est de démontrer la faisabilité et le fonctionnement de cette approche d’ici 2025-2026. », ajoute-t-il.
De quoi franchir, si tout va bien, le seuil des 10 qubits logiques en 2027, puis des 50 en 2028. Une année qui pourrait ainsi marquer le début d’une nouvelle ère pour Quellela, celle de la généralisation et de la démocratisation de ses futurs ordinateurs quantiques avec qubits logiques. Des machines capables, à terme, d’effectuer pas moins d’un million d’opérations quantiques par seconde… Hier obscure et nébuleuse, l’informatique quantique pourrait bien, demain, finir par nous donner le vertige.
Quandela : une équipe en constante évolution
Le 27 novembre, Quandela a annoncé le recrutement de deux profils seniors supplémentaires au sein de son équipe de direction : Nicolas Fellmann, qui s’est vu confier le poste de directeur financier, et Xavier Geoffret, placé à la tête de la division. Développement des affaires. De nouvelles recrues qui viendront étoffer une équipe déjà composée de plus d’une centaine de collaborateurs, représentant une vingtaine de nationalités.
[1] Pr. Pascale Senellart, médaille d’argent CNRS, le Dr Niccolo Somaschi, prix Jerphagnon 2023, et le Dr Valérian Giesz, lauréat de la finale nationale du concours Challenges Chercheurs-Entrepreneurs et lauréat du classement Choiseul 100.
[2] Entreprise commune européenne pour le calcul à haute performance, Entreprise commune pour le calcul européen à haute performance.
[3] Parce qu’il fonctionne sur tous les aspects matériels, logiciels et middleware de ses ordinateurs quantiques.
[4] Cartes de circuits imprimés, circuits imprimés.
[5] Dans le cas du modèle 6 qubits, MosaiQ-6. Son équivalent MosaiQ-12 de 12 qubits contient deux cryostats distincts.
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