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« L’océan va mourir à cause du bruit »

Aucun coin de l’océan n’est épargné par la pollution sonore qui perturbe, voire tue les organismes marins.

Michel André, bioacoustician

Ce pionnier de la bioacoustique a reçu le prix Rolex en 2002 pour avoir conçu un système capable d’alerter les navires afin qu’ils évitent les collisions avec les baleines. Depuis, la maison horlogère ne cesse de soutenir Michel André. « Pendant vingt ans, nous avons cru que les grands cétacés étaient les principaux animaux victimes des nuisances sonores. Mais des milliers d’espèces d’invertébrés marins, qui n’ont pas d’oreilles, sont sensibles aux vibrations du son pour gérer leurs mouvements. « Ces espèces possèdent des organes chargés de percevoir la vibration des sons dont la structure est très similaire à celle de notre oreille interne. Lorsque les invertébrés marins sont soumis à une Source artificielle de bruit, ils cessent de se nourrir et de se reproduire et meurent en quelques jours. Après cette découverte, Michel André et son équipe en font une autre, tout aussi majeure : la posidonie, plante aquatique présente en Méditerranée et dotée d’organes sensoriels, meurt également des suites de l’exposition à ces sources sonores. “C’est toute la chaîne alimentaire, des plantes aux baleines, en passant par les poissons, les invertébrés et le plancton, qui est affectée par les nuisances sonores.”

Une quantité exponentielle de bruit

Ces découvertes interviennent à l’heure où la quantité de bruit liée aux activités humaines est exponentielle en mer : parcs éoliens, prospection pétrolière, transport maritime… « Si des mesures correctives ne sont pas rapidement mises en œuvre, il est fort probable que l’océan meure de bruit”. Cette pollution n’est pas irrémédiable et contrairement aux autres pollutions, lorsque la Source s’arrête, l’effet disparaît immédiatement. Et « il existe des solutions pour isoler la salle des machines d’un navire ou un pylône d’éolienne », note le scientifique.

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Emiliano Ramalho, directeur scientifique de l’Institut Mamiraua pour le développement durable, et le bioacousticien Michel André vérifient le bon fonctionnement de l’un des nœuds. — © Diego Bresani / ©Rolex/Diego Bresani

Pour capter ces fréquences inaudibles à l’oreille humaine, Michel André et son équipe utilisent des hydrophones, qui sont des microphones adaptés à un usage sous-marin et sensibles à toutes les fréquences produites par la nature. Comme les sons se propagent cinq fois plus vite dans l’eau que dans l’air, et à des distances beaucoup plus grandes, il est possible de capter des sons à des centaines de kilomètres. «Ensuite, grâce à l’intelligence artificielle, nous discernons les composantes de ce son, recomposons le paysage sonore et comprenons les interactions entre les différentes sources», explique-t-il. Il distingue trois origines de sources sonores : naturelle – produite par les vagues, le vent, la pluie, les tremblements de terre –, biologique – produite par des organismes vivants –, artificielle – produite par l’homme.

Des capteurs en Amazonie

André Michel utilise également cette technologie en dehors de l’eau. Elle permet de comprendre la recomposition de la forêt amazonienne suite à la déforestation. «On peut enfin savoir si certaines espèces entrent en compétition avec les animaux et plantes indigènes après leur fuite», rapporte Michel André. Mais aussi d’assister à la régénération de certaines parties de la forêt. Le bioacousticien a ainsi recouvert la réserve de Mamirauá de capteurs ; ces derniers ont été créés il y a près de trente ans par un autre lauréat des Rolex Awards, José Márcio Ayres, également récompensé en 2002 pour son travail. Cette technique était alors particulièrement remarquable et inédite en termes de conservation. Le soutien de Rolex a été décisif pour José Márcio Ayres, qui a ainsi pu étendre ses recherches dans la réserve voisine d’Amanã. Michel André suit les traces de son confrère et a désormais pour objectif de couvrir l’ensemble de la forêt amazonienne, présente dans neuf États, afin de prendre le pouls de l’Amazonie et de bien comprendre pourquoi cette région qui fut l’une des plus grandes productrices de l’oxygène sur terre est désormais devenu émetteur de CO2. « Il faut à tout prix comprendre ce phénomène pour l’inverser », prévient-il.

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Igor Jean Mesquita, membre de l’équipe d’escalade du Providence Project, grimpe pour atteindre les nœuds au sommet d’un arbre dans la réserve de durabilité de Mamiraua. — © Rolex/Diego Bresani

En Afrique, le bioacousticien et son équipe ont mis en place un projet d’écoute pour pouvoir alerter les rangers en cas de danger pour l’environnement. En Inde, ils ont développé un mécanisme pour alerter les trains de la présence d’éléphants à proximité des voies afin d’éviter les collisions. « Tout cela s’inscrit dans la même démarche de solutions appliquées. Mais personnellement, ce qui me fascine depuis tout petit et qui m’a donné envie d’étudier les sons, c’est la communication animale, témoigne Michel André. Pour lui, « comprendre le mécanisme de communication des espèces qui ne sont pas humaines et pourquoi pas, entrer en communication avec elles, est essentiel pour retrouver l’équilibre sur cette planète ». Ce n’est pas de la science-fiction. « Nous n’en sommes pas loin », assure-t-il. Car pour le bioacousticien, il existe un mécanisme de communication universel, partagé par toutes les espèces sauvages, terrestres ou aquatiques, qui peuplent la terre. « Nous sommes la seule espèce sur terre à ne pas le comprendre. Nous l’avons probablement compris avant de commencer à articuler notre langue, il y a 150 000 ans. Mais depuis « que nous avons mis des mots sur notre pensée, nous nous sommes déconnectés de sa nature. Et pour le directeur du Laboratoire d’applications bioacoustiques de l’Université Polytechnique de Barcelone, comprendre ce langage universel est la clé de notre survie sur terre.

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Des aigrettes prennent leur envol dans la réserve de développement durable de Mamiraua. — © Rolex/Diego Bresani
 
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