Pourquoi l’étape de consultation est-elle si importante dans l’élaboration d’un projet ? Notre collaboratrice Isabelle Picard dresse un portrait de la question, à la lumière de l’histoire des droits des peuples autochtones.
J’écoutais l’émission Informations midi sur les ondes d’ICI Première mardi lorsque le PDG de Northvolt North America, Paolo Cerruti, a affirmé que la principale raison pour laquelle Ottawa n’a encore rien payé des milliards promis pour la construction et la production de l’usine de fabrication de batteries est liée à la consultation avec les Premières Nations, une déclaration qui a semblé un peu déconcerter l’animateur Alec Castonguay.
En effet, peu de gens savent que « la Couronne a l’obligation de consulter et, le cas échéant, d’accommoder les groupes autochtones lorsqu’elle envisage des mesures susceptibles d’avoir un effet préjudiciable sur les droits ancestraux ou découlant de traités, établis ou potentiels ». « Cette obligation découle de l’honneur de la Couronne et de l’article 35 du Loi constitutionnelle canadienne, 1982qui reconnaît et affirme les droits ancestraux et issus de traités. »
Cependant, la Couronne, dans ce cas-ci, ce sont les gouvernements fédéral, territoriaux et provinciaux, dont le Québec. Cette déclaration, tirée du site Web du ministère des Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada, est en outre réaffirmée par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA) adoptée en 2017 par le gouvernement canadien. Nous y reviendrons.
Le problème est qu’en 1982, aucune définition précise des mots « consultation » et « accommodement » n’a été donnée. Certains gouvernements et entreprises croyaient qu’un appel téléphonique ou une lettre équivalait à une consultation lors de la mise en œuvre d’un projet sur des terres autochtones visées par un traité, revendiquées ou ancestrales. Nous avons vu de nombreux exemples de cette pratique dans l’histoire récente.
Plusieurs communautés et Premières Nations ont dû se battre devant les tribunaux pour faire reconnaître ce droit à la consultation, confirmé à cinq reprises par la Cour suprême du Canada, notamment dans une cause contre Rio Tinto Alcan.
Il existe aujourd’hui une jurisprudence et les notions de consultation et d’accommodement sont mieux définies. On sait que l’absence de consultation sérieuse peut avoir des impacts directs sur un projet, conséquences qui peuvent aller du retour à la table de consultation jusqu’à l’annulation d’un projet. Vous vous souvenez du projet d’agrandissement du pipeline Trans Mountain du gouvernement canadien ? Le 30 août 2018, la Cour d’appel fédérale a annulé l’ordonnance et le certificat qui permettaient au projet d’aller de l’avant, en partie en raison d’une consultation insuffisante des peuples autochtones. Il fallait reprendre les évaluations environnementales et le gouvernement « corriger ses défauts ».
Le veto ?
L’Assemblée nationale a adopté à l’unanimité en 2019 une motion qui vise à reconnaître les principes de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), qui met justement en avant les droits des peuples autochtones au consentement libre et éclairé avant les projets qui les concernent. L’année suivante, cependant, le premier ministre Legault déclare que son gouvernement refusera de mettre en œuvre la déclaration dans son intégralité, invoquant « l’intégrité du territoire québécois » et suggérant qu’il ne voudrait pas que son gouvernement « se retrouve dans une situation où on donnerait un droit de veto sur tous les projets économiques du Québec. Toutefois, une consultation ne constitue pas un droit de veto.
La consultation vise plutôt à assurer la pérennité des ressources, l’accès à l’eau, à la faune et à la flore, ainsi qu’à protéger les droits des peuples des Premières Nations, des Inuits et des Métis. Et non, ces consultations n’aboutissent pas toujours à une compensation financière, bien au contraire.
Dans le cas du pipeline Trans Mountain, son agrandissement tel qu’il était proposé à l’époque aurait pu, par exemple, avoir un effet sur les schémas migratoires des animaux vivant sur le territoire, et donc sur les modes de vie des Autochtones, non plus restreindre l’accès au territoire. Des accommodements ont été trouvés à cet égard.
La justice comme dernier recours
Dans le cas où une communauté ou une nation juge que l’obligation de consulter et d’accommoder adéquatement n’a pas été respectée, les peuples autochtones peuvent intenter des poursuites judiciaires pour faire valoir leurs droits.
Au Québec, les Innus de Uashat mak Mani-Utenam ont emprunté ce tracé dans le cadre de la construction d’une ligne électrique d’Hydro-Québec entre le poste Arnaud et l’Aluminerie Alouette, alors que Québec n’avait pas respecté son obligation de les consulter et de les accommoder. Dans ce cas précis, la Cour supérieure a demandé aux parties de reprendre le processus de consultation. Cette procédure judiciaire a duré huit ans au total. Ce n’est certainement pas simple, en plus d’être coûteux pour les communautés qui en ont cruellement besoin.
Dans le cas de Northvolt, les Kanien’kehá:ka (Mohawks) de Kahnawake, qui ont déposé un éventuel appel en Cour supérieure, se disent « les gardiens de la zone du projet Northvolt depuis des - immémoriaux », veulent qu’on respecte leurs droits. et surtout le territoire et son écosystème. Pourtant, des centaines d’hectares de zones humides ont déjà été détruites. Pour eux, Québec « vend l’environnement » en plus de se soustraire aux processus censés le protéger, en l’occurrence le BAPE.
Certains verront cette obligation de consulter comme un bâton dans une roue ou un caillou dans une chaussure. Pourtant, prendre le - de se parler, de trouver des solutions pour protéger l’environnement tout en pensant aux sept prochaines générations, à ce qu’on leur laissera (ou pas, à force de ronger leur avenir), est essentiel.
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