Aléop, Zou !, Lio, InOui, Trenitalia… Le paysage ferroviaire s’est transformé ces dernières années en une indigeste salade de logos. Côté billetterie, ce joyeux cafouillage entraîne bien des aberrations : billetteries TER qui ne vend pas de billets TGVcartes de réduction qui ne fonctionnent pas dans toutes les régions, l’application SNCF Connect qui n’affiche aucun billet Trenitalia ou Renfe…
Et ce n’est que le début. Le paysage ferroviaire risque de devenir « fou », prévient le président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut), François Delétraz. Une inquiétude largement partagée dans le petit monde ferroviaire, y compris parmi les inconditionnels de l’ouverture à la concurrence : on assiste à « une fragmentation extraordinaire [qui pose] une énorme préoccupation »s’est alarmé le très respectable président de l’Autorité de régulation des transports, Thierry Guimbaud, lors de la conférence annuelle de l’Afra, le lobby des entreprises ferroviaires, le 8 octobre à Paris.
« La situation est préoccupante », a reconnu le même jour Claude Steinmetz, le patron de Transdev, le premier challenger de la SNCF sur le TER. Selon ses calculs, il existe 45 titres de réduction différents pour TERtoutes régions confondues. « L’opérateur historique [la SNCF] dispose de onze sites de distributionil a ajouté. Comment veux-tu qu’on s’y retrouve ? ? »
Cette complexité, pas vraiment en adéquation avec l’engouement des Français pour le train et l’urgence de décarboner les transports, est une conséquence directe de l’ouverture du réseau ferroviaire à la concurrence. Grand coup dénoncée par les syndicats ferroviaires, notamment à travers un appel à la grève, dès le mercredi 11 décembre au soir.
La guerre des applications
Concernant le TERtransports du quotidien et clé de voûte de la transition énergétique des transports, la fin du monopole public est gérée par les régions. Lorsqu’ils investissent pour tenter d’améliorer l’offre, ils veulent que cela se voit. « Ils ont presque tous missionné des agences de communication pour trouver une marque – improbable – pour se différencier de leurs voisins tout en tournant le dos. SNCF et à son bon vieux TER »» se moque la Fnaut, le 9 décembre dans un communiqué. Fluo, BreizhGo, Lio… Chacun déploie également sa propre politique tarifaire et son propre système de réduction.
Dans cette jungle, plusieurs applications de vente de billets comme SNCF Connect ou Trainline espèrent s’imposer et promettent de faire le « parcours client ».
Pour l’instant, ils mènent une guerre sans merci. Leader écrasant, SNCF Connecter (85 % des ventes) refuse de vendre des billets à ses concurrents (Trenitalia et Renfe) et leur met des bâtons dans les roues. Il ne leur permet pas de vendre tous les tarifs disponibles et ne partage pas les informations trafic en - réel. Trainline se plaint également de ne pas pouvoir retrouver sa rentabilité, en raison des commissions famétiques que lui versent les SNCF (2,9 % sur les ventes de billets, contre 10 % pour un billet Trenitalia).
Pire encore, les régions n’ont pas l’intention de faire confiance à ces applications billettiques. Ils développent chacun leur propre système de distribution. Et comme le TERdemain, sera géré par une multitude d’entreprises différentes, ce sont les régions qui centraliseront l’information et la transmettront, avec plus ou moins de bonne volonté, à SNCF Connect, Trainline et autres.
« Impossible, pour le commun des mortels,
s’y retrouver »
Cette complexité est déjà bien visible à Marseille : « Entre les Ouigos, les TGV InOui, Renfe qui propose une liaison avec Barcelone, TER géré par le SNCF et bientôt le TER gérée par Transdev, vous disposez de cinq opérateurs différents dans une même gare. Mais il n’y a aucun endroit où l’on peut tout achetersummarizes François Delétraz. Impossible pour le commun des mortels de s’y retrouver. »
Mais alors que fait la police ? ? Pour l’instant, les règles doivent encore être rédigées et le gendarme des chemins de fer, l’Autorité de régulation des transports, qui a reçu de nombreux litiges, prévient que des arbitrages arrivent prochainement. La Commission européenne entend également remettre de l’ordre dans ce Far West blindé. D’ici fin 2025, elle doit présenter un projet de règlement obligeant les compagnies ferroviaires et les applications de vente de billets à jouer le même rôle.
« Nous espérons que cela améliorera la visibilitésouligne Vincent Thévenet, spécialiste ferroviaire chezONG Transports et environnement. Ce qu’il faut surtout éviter, c’est d’arriver à un système où les prix seraient différents d’une plateforme à l’autre, avec un risque de spéculation à la baisse ou à la hausse. Dans le transport aérien, c’est un gros problème. » L’initiative européenne ne se concrétisera pas avant plusieurs années et pourrait alors ouvrir une phase de guérilla juridique longue et coûteuse, une nouvelle tradition dans le monde ferroviaire.
La situation ne manque pas d’ironie. Après trente ans d’efforts pour créer une concurrence, largement artificielle, entre les compagnies ferroviaires européennes, toutes publiques, l’Union européenne les exhorte désormais à s’entendre et à se coordonner pour éviter un fiasco.
Contacté par -, SNCF Les Voyageurs rejettent la responsabilité sur les régions. « Ce sont eux qui définissent les politiques tarifaires et notamment de billetterie. »souligne l’entreprise. SNCF Travelers est bien plus qu’un simple « opérateur de services ferroviaires » comme un autre. L’entreprise publique s’est simplement préparée à faire face à l’extraordinaire fragmentation du secteur ferroviaire. « Notre filiale SNCF Connect & Tech propose des solutions pour répondre aux appels d’offres lancés par les régions pour l’exploitation de leurs systèmes d’information et de billetterie »souligne l’entreprise.
Et “ attribution » ce qui complique tout
La billetterie n’est pas le seul sac de nœuds à démêler. Pour faciliter l’entrée des concurrents sur le marché SNCFles régions découpent le réseau TER dans une multitude de petits « beaucoup ». Chacun fait l’objet d’un appel d’offres et est attribué pour dix ans à un délégataire de service public. Même le SNCFlorsqu’elle remporte le prix, elle doit créer une nouvelle filiale.
« Résultat, dans dix ans nous aurons une centaine PME du rail. Les régions prétendent qu’avec leurs bras musclés elles parviendront à harmoniser tout cela, mais cela posera une litanie de problèmes »s’inquiète Frédéric Michel, guichetier à la gare Saint-Charles de Marseille et militant Sud-Rail. Les entreprises doivent par exemple partager des informations avec les voyageurs en - réel, synchroniser les horaires pour faciliter les correspondances et gérer les aléas.
Le premier TER non SNCF doit circuler mi-2025 sur la ligne Marseille-Toulon-Nice. Comment Transdev, filiale de la Caisse des Dépôts en cours de privatisation, s’entendra avec d’autres acteurs en cas de sinistre ? « Aujourd’hui, il est déjà compliqué de gérer les interruptions de correspondance entre un TER et un TGVmême si nous appartenons à la même entreprise. Demain, avec une entreprise concurrente, elle n’existera plus »souligne Frédéric Michel.
« Qui paiera l’hôtel et le billet de remplacement des passagers ayant raté leur Ouigo en raison d’un retard ? TER sur Transdev ? La région Sud y réfléchit. Ça commence dans six mois et elle ne sait pas quoi faire »says François Delétraz.
Le train, un service commercial comme un autre
Cette désorganisation générale du réseau s’accompagne d’une transformation fondamentale : depuis vingt ans, le train s’est progressivement éloigné d’une logique de service public pour embrasser des pratiques commerciales privées. Et la quête de rentabilité est désormais exacerbée SNCFen raison de la pression de son principal actionnaire, l’Etat, qui lui impose de doubler le montant qu’il lève chaque année pour financer l’entretien du réseau vieillissant (6,5 milliards d’euros).
C’est cette pression qui explique la hausse continue et généralisée des prix (8,2 % en moyenne sur un an selon l’Insee en 2023), la suppression des services et guichets non rentables dans les gares, la hausse à 19 euros de la commission pour l’échange d’un billet InOui six jours avant le départ, la fin des billets non personnalisés billets qui pourraient être troqués… La liste est potentiellement interminable, des irritants qui pénalisent « utilisateurs » devenir « clients ».
Des syndicats ferroviaires au lobby des entreprises ferroviaires, en passant par les élus et les usagers, tous les acteurs du monde ferroviaire s’accordent au moins sur un point : l’argent public manque cruellement en France pour faire face au mur d’investissements nécessaire à la sauvegarde et au développement. un réseau vieillissant. Observation implacable de l’association allemande Alliance for Rail, qui a publié en juillet dernier un classement des pays européens en termes d’investissement ferroviaire. La France apparaît en dernière position.
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