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«Temenos ne connaît pas un retournement de situation, mais une accélération»

Tout au long de cette période, Temenos a été confrontée à un marché en mutation, avec l’essor du cloud et du SaaS, c’est-à-dire des logiciels exploités par des prestataires de services – comme Temenos – et accessibles à distance par leurs clients. Ces évolutions continuent d’avoir des répercussions considérables sur le modèle économique de Temenos, explique Jean-Pierre Brulard. Avec des aspects positifs – des revenus plus récurrents et plus prévisibles, dont raffolent les marchés financiers – mais aussi des défis à relever : le maintien des marges et de la croissance pendant cette période de transition.

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La direction de ce développement a donc été confiée à un Breton d’origine ayant travaillé dans la Silicon Valley, où il dirigeait les ventes mondiales du géant du logiciel VMware, spécialisé notamment dans le cloud et comptant plus de 30 000 salariés. L’un des rares Européens à avoir grimpé aussi haut dans la hiérarchie d’un groupe technologique californien, Jean-Pierre Brulard revient sur les orientations dévoilées par Temenos lors de sa journée investisseurs du 12 novembre et décrypte les évolutions majeures du secteur fintech. Entre la nécessité de réduire les coûts pour les banques et l’émergence de nouvelles technologies comme l’intelligence artificielle générative et la crypto, le tout dans un secteur très réglementé.

Le Temps : On parle beaucoup en ce moment d’intelligence artificielle générative. Concrètement, quelle influence cette technologie a-t-elle sur votre activité, vos logiciels ?

Jean-Pierre Brulard: Avec le cloud, l’intelligence artificielle générative est l’autre grand domaine dans lequel nous investirons massivement au cours des quatre prochaines années. Des partenaires majeurs comme Microsoft et Amazon Web Services investissent des milliards de dollars dans la partie plateforme et notre objectif est d’embarquer l’intelligence générative dans nos logiciels, pour des cas d’usage précis.

Par exemple?

Il existe des choses assez simples, comme intégrer Copilot, le chatbot de Microsoft qui vous permet de créer du texte et d’autres contenus, dans nos produits. Un élément déterminant sera de lier gestion des données et intelligence générative. Il faut absolument éviter de mélanger les données transactionnelles bancaires, ultra-sécurisées, et les données analytiques. En interne, nous utilisons déjà l’intelligence artificielle générative pour le développement de logiciels et pour l’accompagnement des utilisateurs, qui devient prédictif. Nous utilisons les données des milliers de banques que nous servons dans le monde pour anticiper les problèmes futurs, dans l’utilisation de nos produits ou en termes de cybersécurité.

Qu’est-ce que l’IA générative permettra aux utilisateurs de votre logiciel ?

En gestion de patrimoine par exemple, les conseillers pourront améliorer leur service en s’appuyant sur des données telles que les profils des utilisateurs ou les rendements obtenus par d’autres clients. L’IA ne remplacera pas l’humain, mais améliorera les pratiques. Cette technologie doit être bien encadrée ; la meilleure façon d’y parvenir est de l’intégrer dans notre logiciel, avec l’approbation des régulateurs et des spécialistes de la conformité des banques.

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Votre logiciel vous permet-il de gérer les cryptos ou de les intégrer à l’activité d’une banque ?

Pas encore, nous réfléchissons à la valeur ajoutée que nous pourrions apporter à ce marché. C’est la même réflexion qu’à l’émergence du numérique et des néobanques. Nous avions complètement intégré la digitalisation dans nos offres, ce qui nous permettait de servir à la fois les banques existantes qui souhaitaient se digitaliser, mais aussi les fintechs et néobanques qui avaient besoin d’une plateforme technologique pour se développer.

Pourquoi avez-vous décidé d’investir massivement dans le cloud ?

Les clients eux-mêmes ont déjà investi massivement. Les plus grandes banques ont massivement investi dans le cloud, qu’il soit public ou privé, pour des raisons d’agilité, de stabilité, de coût de performance ou encore de sécurité. Il faut suivre ce moment. De plus, le cloud nous permet d’effectuer la maintenance et l’amélioration de nos produits de manière presque continue. C’est plus simple pour nos clients que d’effectuer une mise à jour annuelle, et cela nous fournira des revenus beaucoup plus récurrents et prévisibles, ce qui devrait soutenir la valorisation de Temenos.

Et les petites banques ?

Comme ils n’ont généralement pas les ressources nécessaires pour investir dans le cloud et la gestion du cloud, nous leur fournissons un service clé en main, c’est-à-dire que nous gérons les opérations cloud à leur place.

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Pour vous donner quelques chiffres, notre marché devrait passer de 23 milliards de dollars à 30 milliards de dollars en 2028, ce qui représente une croissance annuelle de 7 %. Nous voulons croître plus vite. Toutefois, l’activité dite « on-premise » (dans laquelle la banque fait tourner ses logiciels sur ses propres serveurs) devrait passer de 67% à 59% de ce total en 2028, avec une croissance de 4% par an. A l’inverse, la partie cloud (la banque fait tourner son logiciel sur une infrastructure cloud) et SaaS (Temenos fait tourner le logiciel de la banque sur une infrastructure cloud) vont progresser, passant de 33% à 41% du marché, avec un taux annuel à deux chiffres. croissance. Le segment SaaS connaîtra une croissance annuelle de 12 % et le cloud, de 16 %.

Qu’est-ce que cela va changer pour Temenos ?

Ces tendances entraînent un changement de modèle. Dans le modèle « sur site », les licences sont vendues dans un premier temps, ce qui génère des revenus immédiats. Lorsque vous passez à un modèle SaaS, vous reportez vos revenus tant que vous avez encore vos dépenses. Temenos étant coté à la bourse suisse, nos actionnaires nous demandent également de maintenir la marge opérationnelle pendant cette transformation. Le dilemme que nous devons résoudre est le suivant : il faut passer à ce modèle de revenus récurrents, et en même temps garantir une marge opérationnelle et un bon cash-flow.

Il semble que nous devons sacrifier quelque chose…

Cet équilibre n’est pas facile à maintenir. Aux Etats-Unis, les éditeurs de logiciels qui sont passés par cette démarche, comme Adobe, n’ont pas hésité à avoir des chiffres quasi négatifs lors de la transformation. Nous devons garantir les deux aspects. Au cours des cinq dernières années, les revenus récurrents de Temenos sont passés de 60 à 80 % du chiffre d’affaires total. Dans le même temps, l’entreprise a maintenu sa marge opérationnelle et ses investissements en recherche et développement, mais au détriment d’une croissance, plus faible que ce que prévoyaient les investisseurs. Ceci explique l’évolution des cinq dernières années [l’action Temenos a perdu plus de 60%, ndlr]. Nous avons encore des investissements à réaliser pour aller vers des revenus plus récurrents. Nous avons également annoncé le 12 novembre lors du Capital Market Day que nous allions investir près de 150 millions de dollars au cours des quatre prochaines années dans les produits, la technologie et les ventes, notamment aux États-Unis.

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Pourquoi vous concentrez-vous sur les États-Unis ?

D’une part parce qu’il s’agit du plus grand marché, qui représente 35 % de nos ventes potentielles, et d’autre part, parce que les quelque 150 banques régionales américaines doivent investir dans la technologie pour faire face à une concurrence des plus grandes et ne pas se faire racheter. Plusieurs grandes banques régionales que j’ai rencontrées récemment ont déjà investi.

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Lors de la récente journée des investisseurs, pourquoi avoir reporté d’un an les objectifs à moyen terme ?

Après une certaine déception des investisseurs face à la croissance au cours des quatre ou cinq dernières années, retrouver la confiance nécessite des objectifs et des investissements crédibles et réalistes, qui sont des moteurs de croissance. Nous avons également défini des points de passage pour atteindre nos objectifs. Par ailleurs, le titre a bien réagi après la présentation de cette stratégie ; c’était une journée à 400 millions de dollars [l’augmentation de la capitalisation boursière ce jour-là, ndlr]donc c’était plutôt cool.

Néanmoins, le titre reste plus ou moins là où il avait chuté après le rapport de Hindenburg Research, qui accusait Temenos de divers actes répréhensibles.

Le rétablissement de la confiance passera également par un certain nombre de résultats trimestriels ; cela ne se fera pas sur un seul trimestre. Le marché exigera des performances constantes trimestre après trimestre. Ce que vit Temenos n’est pas un faire demi-tour [un redressement, ndlr]c’est une accélération.

Pensez-vous que les investisseurs ont encore des doutes sur les affirmations de Hindenburg Research ?

Les accusations ont été réfutées de manière convaincante. La perception de l’entreprise a été complètement clarifiée. Le conseil d’administration a investi énormément d’argent et d’énergie, confiant une enquête indépendante à des entreprises aux États-Unis et en Europe, ce qui a d’ailleurs pesé un peu sur nos comptes cette année. Nous avons analysé des centaines de milliers de documents, remontant à trois ans, pour examiner toutes les allégations.

Combien a coûté cette enquête ?

Je ne peux pas vous le dire. J’aurais préféré qu’on investisse cet argent pour nos clients plutôt que pour des vendeurs à découvert qui font des allers-retours sur les marchés. Je dois également dire que nous avons bénéficié de beaucoup de confiance et de soutien de la part de nos clients pendant cette période.

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Lorsque vous avez été approché pour reprendre la direction de Temenos, quelle a été votre première réaction ?

J’étais intéressé par l’opportunité de diriger une société cotée en bourse, ce que je n’avais jamais fait. J’ai travaillé dans de grands groupes américains et passé plus de sept ans chez Business Objects, un éditeur de logiciels européen. Je connais donc les défis qu’une entreprise européenne peut rencontrer pour réussir sur un marché mondialisé. Ce qui m’intéressait aussi, c’était de pouvoir avoir un impact sur le nouveau chapitre de Temenos. Je n’oublierai jamais ce qu’un client que j’ai rencontré peu après ma prise de fonction m’a dit : « S’il faut changer de logiciel bancaire, c’est comme une chirurgie cardiaque. Si nous pouvons l’éviter, nous l’évitons. Nos clients nous font confiance et veulent nous voir réussir.


Bio express

1959 Né à Rennes (Bretagne).

1983 Début de carrière chez Unisys.

2000 Business Objects, devient responsable de la zone EMEA.

2009 Rejoint VMware, devient vice-président en 2020.

Mai 2024 PDG de Temenos.

 
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