Depuis huit ans, Samuel Watts dirige Mission Bon Accueil, « la plus grande porte d’entrée pour soutenir les Montréalais dans le besoin ». Chaque mois, environ 10 000 personnes en situation d’itinérance, familles pauvres et jeunes en difficulté utilisent l’un de ses programmes ou services. A l’approche des vacances, La presse est allé prendre un café avec le PDG de l’organisation humanitaire.
Au lieu de se retrouver dans un café de Saint-Henri, près de son bureau, Samuel Watts a voulu nous faire visiter le propriétaire du siège social de la Mission Bon Accueil (MBA). « Il y a une machine à expresso dans notre salle de réunion. Nous irons discuter là-bas. » Nous n’avons pas regretté son invitation. L’endroit regorge d’employés et de bénévoles. Son entrepôt de banque alimentaire ressemble à un Costco, et il y a même une clinique dentaire en partenariat avec l’Université McGill.
Consultant depuis 30 ans dans le secteur privé, notamment pour l’industrie pharmaceutique, le PDG – que tout le monde appelle Sam – a un visage très sympathique. Un anglophone de Ouest-de-l’Île parfaitement bilingue, très attaché à la métropole et à ses institutions. D’ailleurs, s’il a accepté son poste en 2016, après avoir été sondé par un chasseur de têtes, c’est en partie parce que son épouse lui a rappelé que l’organisation est plus vieille… que le CH de Montréal. Elle a été fondée en 1892.
Mais la véritable raison réside dans sa volonté de changer les mentalités dans le domaine de la philanthropie dans le pays.
C’est très complexe de gérer la Mission Bon Accueil. Pour motiver mon personnel, je dois avoir la discipline d’un patron d’entreprise à but lucratif, avec la flexibilité d’un gestionnaire d’OBNL. Et assurez-vous que nous travaillons tous en équipe ; pas en tant que collectif d’individus.
Samuel Watts, PDG de Mission Bon Accueil
L’excellence au service des plus vulnérables
À première vue, Samuel Watts ressemble plus à un gestionnaire qu’à un travailleur communautaire. Il se montre même critique envers le milieu qui, selon lui, ne vise pas toujours l’excellence. « Les gens du secteur communautaire font du bon travail. C’est le modèle de service, basé sur la charité, qui n’est pas bon. Donner pour le plaisir de donner, comme dans le cas des collectes de nourriture, est inefficace. Parce qu’elle perpétue le cycle de la pauvreté en créant une dépendance à l’égard de la sécurité alimentaire. »
La crise du logement
Selon lui, les organismes de bienfaisance sont sous-financés et font ce qu’ils peuvent. « Est-il sage de confier les soins aux personnes vulnérables de la société à des groupes de services communautaires sous-équipés et mal dotés en ressources ? je ne parle pas de nous [le budget annuel de MBA, qui peut varier, est de 33 millions, et l’organisme a 150 employés]. Mais 90 % des OBNL du secteur associatif disposent d’un budget inférieur à 2 millions. Avec cet argent, on ne peut pas faire grand chose. »
Au Canada, les plus démunis sont soutenus par des organismes pris dans un cycle sans fin de pauvreté.
Samuel Watts, PDG de Mission Bon Accueil
Dans le contexte économique actuel, peut-on revenir à l’État providence ? L’aide gouvernementale n’a-t-elle pas aussi des limites ? « Il y a une certaine responsabilité personnelle. Il est clair. Mais je crois que l’on juge une société à la manière dont elle traite ses pauvres. Le problème que nous avons avec le logement abordable et permanent n’est pas nouveau. Cela remonte à 40 ans : lorsque le gouvernement fédéral s’est retiré pour laisser la construction de logements sociaux au secteur privé. »
« Un problème doit avoir un propriétaire »
Selon lui, tout le monde est inquiet et préoccupé par la pauvreté, mais personne n’en est responsable. « Pour résoudre un problème, il faut que quelqu’un s’en approprie », dit-il. La crise du logement et des sans-abrisme est-elle un problème fédéral ? Non. Provinciale, municipale ? Peut être. Du réseau de la santé ? Tout le monde se renvoie la balle. Au lieu de s’asseoir ensemble pour élaborer un plan et des solutions. »
Samuel Watts aime répéter aux chefs d’entreprise que, contrairement à eux, le succès de son entreprise réside dans la perte de clients. « Toutefois, pour que les personnes vulnérables puissent sortir du réseau, les gouvernements ne doivent pas se contenter de mettre des pansements dans chaque budget. Nous devons comprendre la cause de la pauvreté, afin de redonner un sentiment de dignité aux pauvres. »
Par exemple, pour son événement « Noël pour tous », Samuel Watts souhaitait que chaque enfant puisse choisir son propre cadeau. « Parce que la pauvreté est souvent l’incapacité de faire des choix. Choisir son repas, son travail, son logement… Les personnes qui ont perdu leur logement sont souvent liées à la perte d’emploi, à l’éclatement de la famille et à l’isolement social.
— Et les problèmes de santé mentale, la toxicomanie ? nous lui demandons.
— Aussi, mais ce n’est pas une cause, ça vient avec, répond-il. Je dis souvent que si la toxicomanie était la cause de l’itinérance, la moitié des résidents de Beaconsfield seraient sans abri», illustre cet habitant de la municipalité.
La concentration de la pauvreté
« Je siège au Conseil national du logement du Canada. J’ai un point de vue nord-américain sur la crise actuelle. À Montréal, c’est gérable. Nous sommes capables de faire la différence. Les statistiques montrent que plus une ville a un taux de loyer moyen élevé, plus il y a de sans-abri. Et vice versa. »
« Vivre dans une situation très précaire ronge votre énergie. Le sentiment de dignité humaine s’érode également. Notre corps ne peut pas restaurer la dignité, mais il peut aider les gens à retrouver ce sentiment en étant utiles et créatifs dans leur vie. »
« Lorsqu’une personne entre pour la première fois dans un refuge d’urgence, on lui pose deux questions. Pourquoi es-tu ici ? Que peut-on faire pour vous aider à obtenir un logement permanent ? Et nous y arrivons… une personne à la fois. »
QUESTIONNAIRE NON FILTRÉ
Votre rituel café : Je commence ma journée avec deux ou trois bons expressos. J’en prends parfois un autre quand je suis à mon bureau.
Si vous aviez un don, ce serait… J’ai la capacité d’entrer dans n’importe quelle entreprise ou organisation et de visualiser les opportunités d’amélioration. Cela m’a aidé à identifier les éléments qui peuvent améliorer la façon dont un client vit une interaction avec une organisation qui fournit des produits ou des services. Ce « cadeau » m’a bien servi dans ce secteur car notre écosystème, qui soigne les plus vulnérables, résiste souvent à l’auto-examen.
Une lecture mémorable : J’ai lu plusieurs centaines de livres sur les défis du leadership. Un livre qui a eu un énorme impact est Exécutionpar Larry Bossidy et Ram Charan. Je l’ai lu en 2003 et j’ai appris à me mettre au défi de me concentrer sur la discipline de mise en œuvre – un domaine dans lequel la plupart des organisations échouent systématiquement.
Une personne qui vous inspire : Nelson Mandela – sa quête incessante de justice et son refus de se venger après des années d’incarcération sont pour moi une grande inspiration.
Si vous pouviez réunir des personnalités, mortes ou vivantes, autour d’une même table, pour leur poser des questions, qui inviteriez-vous ? Je pourrais inviter des personnes qui ont travaillé sur des questions liées aux politiques et qui ont donc eu un impact politique significatif. Ces gens étaient au départ considérés comme un peu fous, mais ils ont eu un impact majeur. Des gens comme Moïse, Platon, Léonard de Vinci et Louis Pasteur.
Qui est Samuel Watts ?
- Né le 8 mai 1961 à Verdun.
- Consultant en gestion depuis plusieurs années, notamment dans le secteur médical et pharmaceutique.
- Président-directeur général de Mission Bon Accueil à Montréal depuis 2016. L’organisme d’aide contre l’itinérance et la pauvreté est présent réparti sur l’île de Montréal dans 8 immeubles, avec 150 employés et 400 bénévoles.
- Il est également chroniqueur au mensuel Le Montréalais et l’auteur de Du bon travail mieux faitun livre qui propose de nouvelles façons de penser dans le secteur communautaire.
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