Le Canada n’est pas les États-Unis. Mais le mécontentement contre l’inflation qui a contribué à l’élection de Donald Trump est ici bien présent. Et il serait dangereux de l’ignorer, même si les statistiques suggèrent que tout va bien.
L’inflation est revenue à la normale. Les Canadiens ont augmenté leur pouvoir d’achat depuis le début de la pandémie. Les taux d’intérêt redescendent. Et l’économie a évité la récession que nous redoutions tant.
Bref, le miracle de la « désinflation immaculée », comme le disent les experts, s’est bel et bien produit au Canada. L’inflation est revenue sur terre, sans déclencher de choc économique majeur.
Mais alors, pourquoi les ménages ont-ils le portefeuille à leurs trousses ?
Lorsque Nanos les a interrogés en novembre, 41 % des Canadiens ont répondu que leur situation financière s’était détériorée au cours de la dernière année, un bond considérable par rapport à 28 % en 2021.1. Depuis les années 1990, plus de Canadiens que jamais (39 %) déclarent qu’ils ne se portent pas aussi bien financièrement que leurs parents au même âge, selon la société de sondage Environics.2.
Ce n’est pas seulement une perception. Sur le terrain, on constate que les gens ne se plaignent pas le ventre plein. Les visites aux banques alimentaires ont presque doublé depuis 2019, selon le Bilan-Faim 20243. Et les cas d’insolvabilité (faillites, propositions de consommateur) ont augmenté de 16 % au cours des 12 derniers mois.
Bref, les gens sont vraiment en difficulté, malgré ce que disent les bonnes statistiques. Comment expliquer ce paradoxe ?
Tout d’abord, il faut comprendre que les prix des produits et services ne diminuent pas, malgré la baisse de l’inflation, à 2% en octobre dernier, soit quatre fois moins que le pic de 8,1% de 2022.
Cela signifie que les prix continuent d’augmenter… quatre fois plus lentement. Mais nous n’y retournerons pas. Tout coûte 18 % de plus qu’avant la pandémie. C’est ce que ressentent les gens dans leur vie de tous les jours.
Et la hausse est encore plus forte pour les dépenses essentielles, comme la nourriture (+25%), le logement (+26%) et l’essence (35%). Cela laisse une impression. Et le portefeuille. Surtout pour les moins fortunés, qui ne peuvent pas couper ailleurs.
Ces dépenses très visibles frappent quotidiennement. Ils éclipsent le fait que le revenu disponible des Canadiens a augmenté encore plus rapidement que l’inflation depuis le début de la pandémie, comme le démontre une récente étude du directeur parlementaire du budget, une agence fédérale indépendante.4.
Ainsi, le pouvoir d’achat des Canadiens s’est amélioré de 2,7 % au Canada (3,9 % au Québec) entre le quatrième trimestre 2019 et le premier trimestre 2024.
Mais il y a des inconvénients à faire.
D’abord, c’était un tour de montagnes russes.
Au début de la pandémie, le gouvernement est intervenu massivement pour soutenir les ménages, qui ont augmenté leur pouvoir d’achat malgré des pertes d’emplois généralisées.
Les choses ont empiré à partir de 2022, lorsque l’inflation est montée en flèche, poussant la banque centrale à relever les taux d’intérêt. Doublement étouffés, les ménages voient leur pouvoir d’achat diminuer depuis deux ans. C’est ce qu’ils gardent à l’esprit.
Deuxièmement, les riches s’en sortent mieux que les pauvres.
La hausse des taux d’intérêt a été bénéfique pour les ménages les plus riches, dont les revenus de placement ont augmenté. Mais cela s’est avéré coûteux pour les ménages les moins aisés, qui ont dû payer davantage pour rembourser leurs emprunts.
Bref, la pandémie a creusé les inégalités entre les riches et les pauvres. Entre propriétaires et locataires. Entre les vieux et les jeunes, qui sont aujourd’hui très lourdement touchés par la hausse du taux de chômage.
Il est clair que la reprise post-pandémique n’a pas été égale pour tous, explique la Banque Royale dans un récent rapport5.
Les 20 % les moins riches s’endettent pour payer les produits de première nécessité. Même la classe moyenne se retrouve très tendue, ayant complètement épuisé son excédent d’épargne accumulé pendant la COVID-19. Mais les 20 % les plus riches parviennent à économiser chaque mois un tiers de leur salaire.
Cela explique pourquoi les comptes bancaires se remplissent, tandis que les banques alimentaires se vident.
Ces écarts nuisent à la cohésion sociale et à la confiance dans les institutions. Ils exacerbent le ressentiment envers les « élites » que les politiciens populistes se plaisent à alimenter.
Le travail de la Banque du Canada est d’assurer le bien-être des Canadiens. Mais sa politique monétaire a eu des effets très contrastés pour les riches et les pauvres.
Si nous voulons que la désinflation soit véritablement « impeccable », la reprise économique doit profiter à tous les Canadiens.
1. Consultez les résultats de l’enquête Nanos
2. Consultez le rapport Mobilité intergénérationnelle au Canada (2024)d’Environics (en anglais)
3. Consultez le rapport Rapport sur la faim 2024de Banques alimentaires Canada
4. Consultez leAnalyse distributionnelle du pouvoir d’achat des ménages canadiens depuis 2019
5. Consultez le rapport Pourquoi le Canada connaît une reprise inégale parmi les ménages, de la Banque Royale (en anglais)
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