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“De manière générale, la société est divisée”, Stéphane Martin (ARPP) – Image

Alors que, dans une étude Kantar que nous publions aujourd’hui, 71 % des Français affirment que l’inclusion et la diversité peuvent influencer leurs décisions d’achat, comment les messages des marques s’adaptent-ils ? CB News vous propose l’entretien de Stéphane Martin, directeur général de l’ARPP, paru dans le magazine daté de novembre 2024. Pour découvrir l’intégralité du magazine, cliquez ici et pour l’acheter, cliquez ici.

CB News : Quand avez-vous senti à l’ARPP la montée en puissance d’une prise de conscience sociale sur les questions d’inclusion, de diversité, d’acceptation des différences ?

Stéphane Martin : Je daterais cette prise de conscience à six-sept ans, c’est à dire à 2017 et #MeToo. Avant cette séquence, on avait mieux cadré l’image de la femme dans les années 1970 et vécu le tournant du 21e siècle avec l’ère du « porno chic » dans la publicité. Clairement, il y a eu un « avant » et un « après » sur les pratiques mises en place… Le compte #balancetonagency a aussi permis à la communauté des agences d’établir de nouvelles règles.

CB News : Les marques s’y sont mises aussi…

Stéphane Martin : Sous la pression des actionnaires, des salariés et de la société en général, les entreprises ont effectivement pris des engagements, qu’il s’agisse du respect de critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance), permettant de mesurer leur performance dans les domaines extra-financiers ou RSE, où elles doivent démontrer leur action en matière de développement durable. Plus généralement, on assiste à un réel effort de la part des marques, de la créativité des agences, des médias, pour combattre les stéréotypes et promouvoir de nouvelles représentations publicitaires avec des physiques moins standardisés, des personnes issues de la diversité, moins de jeunisme, etc.

CB News : Mais dans la même séquence, on constate une augmentation de 192% des actes antisémites au cours du premier semestre 2024, constatée par le ministère de l’Intérieur. Et sur les réseaux sociaux comme dans les propos de certains politiques, beaucoup ont constaté une montée du racisme, qui va à l’encontre du discours inclusif des marques…

Stéphane Martin : Il faut séparer les actes antisémites des propos racistes. Il existait déjà en un vieux fondement de l’antisémitisme qui ne demandait peut-être malheureusement que de se réveiller… Quant à l’expression du racisme, elle est sans doute liée à une certaine liberté d’expression : les individus osent dire à haute voix ce qu’ils ont dit. je réfléchis tranquillement depuis plusieurs années déjà. Pour certains, il s’agit d’un phénomène de retour de bâton (« réaction brutale ») en réponse aux avancées sociétales, notamment publicitaires, qu’ils jugent aller trop loin. Et comme ils restent dans leur « bulle filtrante », où ils ne sont en contact qu’avec un groupe qui partage leurs idées, ils se renforcent dans leurs convictions.

CB News : Faut-il y voir un retour en arrière ?

Stéphane Martin : Non. Il y a eu énormément de progrès dans les représentations sociétales ! Pensez aux années 1980, où il n’y avait essentiellement que des blancs dans les campagnes, où les femmes étaient confinées aux travaux ménagers ou exposées de manière hypersexualisée, où il n’y avait pas de couples homosexuels à l’image… C’est aussi vrai pour la fiction française qui a évolué. beaucoup sur ces sujets, en termes de sens et de signifiants. Nous n’y reviendrons pas.

CB News : Il reste un domaine de communication inexploré : très peu de personnes handicapées apparaissent dans les publicités…

Stéphane Martin : C’est exact. Dans la plupart des pays, il existe un « creux » dans la représentation du handicap. Il est très difficile de trouver le ton juste sur ce type de sujet en publicité. Et puis, il faut rappeler que 80 % des handicaps ne sont pas visibles : surdité, basse vision, troubles psychologiques… Il faut travailler avec les associations concernées.

CB News : Il n’en reste pas moins qu’après les Etats-Unis, c’est en France qu’on observe un mouvement croissant de contestation contre tout ce qui pourrait être du wokisme. Voyez-vous cela à l’ARPP ?

Stéphane Martin : On reçoit beaucoup de messages ou de lettres nous disant “il y a trop de noirs dans la publicité”, “c’est du racisme anti-blanc !” » et le jury reçoit des plaintes dès que deux femmes s’embrassent, même si les gens abordent le sujet d’une manière très plus prudent…

CB News : C’est à dire ?

Stéphane Martin : Ils ne disent pas « il y a trop de gays » mais « je ne veux pas que mes enfants voient ça » ou « leur montrer ce genre de scène, ce n’est pas éducatif que je souhaite leur donner »… Plus généralement, après la parenthèse de soutien collectif aux soignants pendant la crise du Covid, la société s’est divisée au moment des conflits internationaux puis des élections européennes : on le voit avec une communautarisation portée par certains militants. Mais c’est aussi le reflet de ce qui se passe aux États-Unis.

Accusant la marque Harley-Davidson d’avoir adopté une idéologie éveillée et d’avoir pris un virage radical par rapport à ses valeurs traditionnelles, certains individus ont détruit leurs motos et diffusé les vidéos sur les réseaux sociaux. Sous pression, notamment avec les élections, Harley-Davidson a annoncé fin août qu’elle abandonnait sa politique DEI (Diversité, Équité, Inclusion). En réalité, un certain nombre de marques locales font marche arrière aux Etats-Unis, où une fracture sociétale s’est creusée ces dix dernières années.

CB News : Comment les marques françaises réagissent-elles à cette pression puisqu’un certain nombre d’entre elles sont commercialisées en ÉTATS-UNIS ?

Stéphane Martin : Ils font preuve de beaucoup de courage en continuant d’affirmer leurs engagements dans leurs communications publicitaires et ne manifestent aucune intention de reculer. L’Oréal, par exemple, a une position très engagée auprès d’un large éventail d’égéries locales. Mais il ne faut jamais oublier que nous avons une lecture très occidentale des choses. Ailleurs, où la diversité est moins visible, parfois moins de liberté et/ou de fortes convictions religieuses, la séquence dite de la « Cène » de la cérémonie d’ouverture des JOP a peut-être été censurée et n’a jamais été diffusée. Mais par essence, les marques s’adaptent au corps social car elles ne sont pas là pour renverser la table, ni pour gérer les situations de crise.

 
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