News Day FR

L’invité : l’IA en santé, « Hippocrator »

L’invité

L’IA en santé : « Hippocrator »

Le philosophe de la santé Guillaume von der Weid estime que l’IA ne sera jamais aussi performante que si elle respecte les limites de la condition humaine.

L’invité Publié aujourd’hui à 7h29

Abonnez-vous maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.

BotTalk

L’intelligence artificielle est partout. Dans un monde hyper-technologique, structuré par la rationalité et la quantification, l’optimisation des données fait des merveilles. Mais justement. Elle est si efficace qu’elle tend à empiéter sur le qualitatif, l’incalculable, l’immatériel, en un mot : l’humain.

Aucun calcul ne permettra à une voiture autonome de « décider » d’écraser un groupe de piétons ou de sacrifier son conducteur, de rectifier des biais statistiques liés aux préjugés sociaux ou encore de justifier la manière dont elle sélectionne l’orientation des étudiants. Cela se résume à des principes, c’est-à-dire à des éléments primaires, purement qualitatifs. Ce que la médecine illustre par son imbrication de la quantité de traitements et de la qualité des soins.

Sans même évoquer le succès de ChatGPT au concours médical américain en 2023, l’IA a depuis longtemps dépassé le niveau des tâches serviles d’intendance (information, prise de rendez-vous, mesures biologiques). Elle a acquis des compétences cliniques qui vont au-delà de l’expertise humaine : diagnostic, aide à la décision, chirurgie robotique, personnalisation des traitements, etc. Et elle fait non seulement le « sale boulot » comme le « bon boulot », mais aussi le « super boulot ». qu’aucun humain ne pourrait faire : « présence 24 heures sur 24 », détection des risques suicidaires sur les réseaux sociaux, recherche biochimique, politiques de santé optimales par l’analyse du big data, etc. Bref, on s’inquiète aujourd’hui, notamment chez les assureurs, qu’aucun médecin ne puisse faire risquer de contredire l’IA. Sommes-nous entrés dans l’ère d’une médecine aussi efficace qu’inhumaine ?

Si le corps était une machine, nous pourrions en être heureux : les machines répareraient les machines. Mais un corps est vivant et surtout, lorsqu’il est humain, c’est une personne. C’est pourquoi nous avons besoin d’un traitement mécanique, mais aussi de soins empreints de compassion. Cependant, le soin remet en question le fondement informatique de l’IA : la mesure, ce qui signifie à la fois quantification, décision et modération.

Il faut d’abord donner à l’IA une mesure dans le sens de capturer des données. Or, l’IA est incapable de « sentir » un patient. Il est fort pour combiner et déduire, faible pour détecter et interpréter. Une maladie est un problème vécu avant d’être une mesure physiologique. La première mesure naît d’une rencontre humaine, d’une « conférence singulière ».

Mais l’IA dépend aussi de mesures au sens de décisions collectives. Quelles sont les priorités de santé publique ? Petites pathologies répandues ou pathologies rares ? Vaut-il mieux sauver 80 personnes par an ou sauver un bébé qui peut vivre 80 ans ? Sommes-nous en train de mettre en péril l’avenir économique de générations entières pour sauver quelques personnes âgées, « quoi qu’il en coûte » ? Tout comme une voiture autonome ne sera pas en mesure de décider de sa destination, aussi parfaite que soit sa conduite, l’IA en santé ne pourra pas soigner les gens sans prioriser les traitements.

L’IA pose enfin le problème de la mesure comme modération. Trop de mesures tuent la mesure. Faut-il lire l’intégralité du génome d’un individu pour révéler tous ses risques pathologiques, y compris les plus improbables ? Dans quelle mesure doit-on segmenter le public de l’assurance, si cela remet en cause la solidarité qui en est le fondement ? Pour éviter de devenir contre-productive, l’IA doit être tempérée par des principes qui lui sont extérieurs.

Ainsi, l’efficacité de l’IA ne sera jamais aussi grande qu’en respectant les limites du souci humain, du souci qu’ils ont les uns pour les autres, du souci de la condition humaine confrontée à la souffrance, à la pénurie, à la fatalité. . C’est pourquoi nous aurons toujours besoin de femmes et d’hommes qui sympathisent, décident et acceptent leur finitude.

Bulletin

« La Tribune des Opinions »

Avec la Tribune des Opinions, retrouvez analyses, éditoriaux, lettres de lecteurs, avis d’experts… Autant d’éléments pour vous faire votre propre opinion chaque lundi.

Autres bulletins d’information

Se connecter

Avez-vous trouvé une erreur ? Merci de nous le signaler.

0 commentaires

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

Related News :