UNAu pied des contreforts pyrénéens, le paysage offre un spectacle grandiose. Des prairies d’un vert presque fluorescent ornent les collines dominées par des forêts de chênes et de hêtres. C’est au cœur de cet environnement bucolique que s’est développé le grand complexe industriel qui fait la fierté de ce territoire basque, Mondragon. Les chiffres donnent le vertige quand on parle de ce poids lourd de l’économie locale dont la réputation rayonne à travers le monde. Le groupe réalise un chiffre d’affaires annuel de 12 milliards d’euros, emploie 70 000 personnes et regroupe près de 200 entreprises avec un modèle unique, celui d’une coopérative XXL qui ne cesse d’étonner et d’inspirer. Ce jour-là, Danobat, une des entités du groupe spécialisée dans les machines-outils pour l’aéronautique, l’automobile et l’énergie, accueillait une délégation de Nouvelle-Aquitaine à Bilbao. Dans le cadre de ses missions de développement économique, la Région a organisé la visite d’une vingtaine de chefs d’entreprise de Nouvelle-Aquitaine et de quelques journalistes (1).
La présentation du modèle Mondragon est assurée par Ander Etxeberria, responsable de la promotion de la coopérative. Après les Néo-Aquitains, il enchaînera avec une nouvelle visite sur place pour un groupe de Coréens, le lendemain, il recevra une délégation du Brésil. Car le succès impressionnant de Mondragon fascine le monde entier.
L’histoire est bien répétée. Tout commence en 1941 lorsque José Maria Arizmendiarrieta, prêtre catholique, crée une première école professionnelle. Fédérateur, il encourage l’entrepreneuriat chez les jeunes de la région et fonde en 1956 la coopérative industrielle Ulgor, une entreprise où les patrons sont les ouvriers. Mondragon regroupe aujourd’hui 80 coopératives implantées au Pays Basque et en Navarre et une centaine d’entreprises aux statuts différents à travers le monde. Ses activités s’étendent bien au-delà du secteur industriel, vers la finance et la distribution. Le groupe possède notamment la chaîne coopérative de supermarchés Eroski et la banque Caja Laboral.
80% de membres
D’emblée, Ander Etxeberria désamorce les fantasmes et rassure les dirigeants. « Chez Mondragon, nous faisons du profit. Il faut gagner de l’argent. La question est : qu’est-ce qu’on en fait ? » 10 % des bénéfices sont reversés au travail social et 60 % sont réservés à l’investissement. Cela permet notamment de développer de nouveaux brevets et de se conformer aux normes.
« La région de Mondragon est l’un des endroits au monde où il y a le moins d’inégalités »
« La région de Mondragon est celle où les revenus sont les plus élevés d’Espagne et où il y a le moins de chômage », poursuit le représentant de la coopérative. C’est l’un des endroits au monde où il y a le moins d’inégalités. » En effet, au sein de la coopérative où le système n’a pratiquement pas changé depuis le début, le premier objectif reste la création d’emplois, les salaires varient de 1 à 6 et 80 % des salariés sont adhérents. Un modèle qui « donne mal à la tête » à Exequiel Cano Lanza. L’architecte naval spécialisé dans les yachts, basé sur le bassin d’Arcachon, trouve le modèle très intéressant, mais s’interroge : « À qui va-t-on vendre des bateaux s’il n’y a plus de riches ? »
La découverte de Mondragon bouleverse les chefs d’entreprise néo-aquitains. Presque aucun d’entre eux ne connaît le modèle coopératif et cette visite soulève beaucoup de questions dans les rangs. Dans l’immense hangar de production, tout le monde admire la technologie de pointe que Danobat développe avec ses impressionnantes machines-outils – 8 mètres de haut et 50 tonnes. Ils servent à fabriquer une partie des ailes des Airbus A 320 et A 350, des rotors pour Dassault, ou encore des pièces pour des éoliennes.
Une fois sortis de cette usine du futur où tout brille, ils veulent comprendre. Comment une entreprise qui appartient à ses salariés, qui dispose de son propre système de sécurité sociale permettant de partir à la retraite à 60 ans contre 67 ans ailleurs en Espagne, et qui ne licencie pas, a-t-elle pu atteindre un tel niveau ? niveau ? Un casse-tête pour ces patrons nourris du modèle libéral.
Coopératives de solidarité
Être une constellation de coopératives solidaires est la force de Mondragon. Lorsqu’une des entités du groupe rencontre des difficultés, elle bénéficie de l’aide des autres. C’est ce qui lui a permis en partie d’amortir le choc en 2014, lors de la liquidation de Fagor qui employait 5.642 personnes en Espagne, en France (Fagor Brandt), en Pologne et au Maroc. Les employés membres basques ont pu se réinstaller au sein de l’entreprise. Ce n’était pas le cas des salariés des filiales étrangères. Une des limites du système.
(1) Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’un voyage soutenu par le Conseil Régional Nouvelle-Aquitaine, sans intervention éditoriale, conformément à la charte « Sud Ouest ».
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