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« Nous sommes au début d’une violente effusion de sang industrielle »

LA TRIBUNE DIMANCHE – Plusieurs grandes entreprises, comme Auchan, Michelin, annoncent des plans de licenciements et des fermetures de sites. Etes-vous inquiet ?

SOPHIE BINET – La CGT alerte depuis des mois. Lorsque j’ai rencontré Michel Barnier, arrivé à Matignon, je lui ai présenté une liste de plus de 180 plans sociaux, que nous avons identifiés. Aujourd’hui, cette liste approche les 200. Et il y en aura encore davantage. Dans l’automobile, chez les constructeurs, les équipementiers, mais aussi dans la chimie, etc. : tous les secteurs sont impactés. Chaque jour, il y a de nouvelles annonces. Dans le secteur bancaire, le CCF vient par exemple d’annoncer près de 1 000 suppressions de postes. Ces dernières semaines, la catastrophe sociale s’est accélérée…

Le chômage va-t-il augmenter ?

C’est inévitable. On estime que plus de 150 000 emplois vont disparaître, probablement davantage. Car il y a un effet domino tout au long de la chaîne de sous-traitance. Les plans de licenciement des grands entrepreneurs entraînent toujours des suppressions d’emplois dans les petites entreprises. Nous sommes au début d’une violente saignée industrielle… Une saignée due à chaque fois à la même stratégie de ces entreprises.

Pourquoi les faillites d’entreprises vont continuer à augmenter

C’estdire ?

La stratégie des marges toujours croissantes. Et donc les prix. Dans l’automobile, les constructeurs choisissent de sortir des véhicules électriques chers, à 40 000, 50 000, 60 000, 70 000 euros, alors qu’ils pourraient en fabriquer des beaucoup moins chers, produits en , plus petits, d’une autre génération, qui se vendraient mieux. Ce sont ces mêmes personnes qui refusent d’augmenter les salaires. Cela produit donc une baisse de la demande. Le problème, c’est la boucle prix/bénéfice !

Dans le même temps, les entreprises sont confrontées à une concurrence chinoise féroce et à un contexte international difficile.

Certes, mais ils choisissent tous aussi de distribuer toujours plus de bénéfices aux actionnaires. Nous atteignons des versements de dividendes records. Chez Michelin par exemple, le groupe réalise entre 2 et 3 milliards d’euros de bénéfices chaque année et distribue 1 milliard de dividendes. Mais il ferme les sites pour financer le coût du capital. C’est inacceptable. Cette catastrophe sociale confirme l’effondrement de la politique de l’offre d’Emmanuel Macron. Il laisse faire les multinationales et les fonds d’investissement et coûte “une somme folle”, avec près de 200 milliards d’euros d’aides inconditionnelles et sans contrepartie aux entreprises.

Michel Barnier affirme qu’il demandera des comptes aux entreprises qui ont reçu de l’argent public.

C’est avant que l’aide ne soit versée qu’il faut en faire la demande ! En établissant un avis conforme, afin qu’une entreprise ne puisse bénéficier d’aide si l’avis des représentants du personnel est défavorable. Il s’agit d’une prévention qui déclencherait des signaux d’alarme. Chez Sanofi par exemple, on aurait pu dire : « Non, Sanofi ne bénéficie pas du crédit d’impôt recherche car il licencie des chercheurs depuis des années. » Ces aides doivent aussi s’accompagner d’une réelle transparence dont les représentants du personnel ne disposent pas aujourd’hui. A la CGT, nous exigeons que ces aides soient conditionnées au maintien de l’emploi. Si une entreprise licencie, elle les rembourse. Ces aides aux entreprises sont aujourd’hui des chèques en blanc.

Pour vous, il est urgent de revoir le système.

Oui, car c’est un puissant levier d’intervention de l’État dans l’économie. Si elle réoriente les aides publiques, les conditionne à certains critères, les concentre sur les entreprises qui en ont réellement besoin, elle peut agir sur l’économie. Mais aujourd’hui, il y en a tellement que le gouvernement n’est même plus capable de les évaluer, alors qu’ils représentent un tiers du budget de l’État. La solution pour soutenir notre industrie n’est pas une aide aux entreprises, captée par les plus grandes, c’est une véritable politique industrielle.

Marc Ferracci, le ministre de l’Industrie, promet d’assurer le meilleur accompagnement social aux salariés licenciés.

Le ministre assène l’idée qu’il n’y a plus de raison de lutter : « prends le chèque et tais-toi « . Visiblement, il n’a pas compris son rôle : il n’est pas ministre des licenciements, mais de l’industrie ! Les travailleurs ne se battent pas pour obtenir une indemnisation et partir, ils se battent pour défendre leur emploi. Ils sont tellement en colère ! Il n’y a pas de pire violence sociale que le chômage. Imaginez quand vous travaillez dans une usine depuis vingt, trente, quarante ans et qu’en dix minutes, comme chez Michelin, vous apprenez sa fermeture ! C’est pourquoi, à la CGT, nous demandons un moratoire sur les licenciements, pour éviter ces drames et préserver nos outils industriels, nos qualifications. L’Allemagne l’a fait pendant la crise de 2008-2009, nous l’avons fait pendant le Covid… Il faut geler ces licenciements, exiger un répit et permettre aux salariés, aux pouvoirs publics, aux collectivités locales, aux directions de trouver des alternatives, des repreneurs, des reconversions d’activités, etc. Dans de nombreux cas, la CGT envisage de reconvertir des sites, comme à la Chapelle Darblay et à Gardanne par exemple, mais nous ne sommes pas entendus.

La France championne d’Europe des dividendes au deuxième trimestre

Actuellement, dans le cadre de la réforme de l’assurance-chômage, vous négociez avec les employeurs et autres syndicats sur l’emploi des seniors. Seront-ils les premiers impactés par ces licenciements ?

C’est évident, ils sont toujours les premiers dans les plans de suppression d’emplois. Je crains des mesures de régression pour ces cadres supérieurs. La CGT se bat pour qu’il n’y ait pas de dégradation des droits des personnes privées d’emploi à l’heure où les licenciements se multiplient. Le problème, c’est que le gouvernement, dans cette négociation, veut encore nous imposer des économies. Alors que compte tenu de la situation, il faudrait au contraire renforcer les protections, mettre en place une sécurité sociale environnementale professionnelle, des dispositifs mutualisés au niveau des branches pour les transitions collectives, etc.

En même temps, on le voit lors de la discussion budgétaire, l’État n’a pas d’argent.

La dette a été créée par cette politique d’offre au service des plus riches et des plus grandes entreprises, il ne fait aucun doute qu’on demande encore au monde du travail de payer la facture ! Le budget d’austérité proposé par le gouvernement aura également un violent effet récessif et aggravera la crise sociale. Quand il impose 5 milliards d’économies aux collectivités locales, ce sont des investissements en moins, par exemple pour rénover des collèges ou des lycées… Ce sont des coupes dans les dépenses sociales. On assiste déjà, faute d’argent, à des licenciements dans les structures d’action sociale et les associations. C’est lunaire.

Grève SNCF : y aura-t-il des trains à Noël ?

Les quatre syndicats reprLes représentants des cheminots (CGT, Unsa, Sud-Rail et CFDT) ont déposé un préavis de grève renouvelable à partir du 11 décembre, soit dix jours avant les vacances de Noël. Objectif : dénoncer l’ouvertureadaptation à la concurrence et à la demandeBranche Fret de la SNCF. Au demande de Bruxelles, la société leader du fret ferroviaire en France disparaîtra le 1erest janvier pour être divisé en deux entités Hexafret pour le transport de marchandises et Technis pour entretien des locomotives. « Inacceptable » pour les syndicatsles chats, qui exigent « la mise en place d’un moratoire pour trouver les moyens de garantir la continuité de Fret SNCF ».

Les dates des éventuels débrayages n’ont pas été choisies au hasard : le 15 décembre, toujours dans le cadre de l’ouverture du réseau à la concurrence, les premiers cheminots de la SNCF Voyageurs seront transférés dans trois filiales de la SNCF en Région. Même si ces derniers repartent avec un « sac à dos social », c’est-à-dire la garantie de conserver des éléments de leur statut, ces transferts marquent le début du démantèlement de la maison mère. Avant ce mouvement social de décembre, l’intersyndicale avait aussi prévu une première « jour de l’ultimatum » 21 novembre.

Il s’agit cette fois de faire pression sur la direction dans le cadre de négociations annuelles obligatoires (NAO) qui s’annoncent difficiles. Au cours des trois dernières années, avec une inflation élevée, les cheminots ont obtenu entre 5 et 6 % d’augmentation annuelle. Comme les prix augmentent lentement (environ 1,5 %), ils devront probablement se contenter de moins l’année prochaine. Pour préparer les esprits à cet atterrissage, la direction a mis en place un observatoire des rémunérations et des avantages sociaux, afin d’inciter les cheminots à ne pas s’arrêter au seul salaire mais à réfléchir à leur « paquet » d’avantages (comités d’entreprises, mutuelles, etc.). Pas sûr cependant que cela suffise à convaincre les syndicats, qui affirment « déterminé », «prêt à aller jusqu’au bout».

 
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