En ce mardi brumeux d’octobre, à l’aéroport de Francfort, en Allemagne, une certaine frénésie, mêlée d’anxiété, se lit sur les visages d’une soixantaine de personnes, debout devant la porte d’embarquement E2, dont l’ouverture se fait attendre.
Le vol vers Beyrouth est-il maintenu ?
Nassima demande à un employé de l’aéroport, qui lui dit d’attendre. Je viens de loin et je ne veux pas rester coincé à Francfort
dit à haute voix la Libanaise de 59 ans qui vient de passer deux mois avec sa sœur à Ottawa.
Plusieurs autres voyageurs autour d’elle sont du même avis en hochant la tête. Ils craignent que le vol du Compagnies aériennes du Moyen-Orient (MEA), la seule compagnie aérienne qui continue à desservir le Liban, est annulée en raison de l’intensification des frappes israéliennes contre le pays, notamment dans la banlieue sud de Beyrouth, à proximité de l’aéroport.
Une dizaine de voyageurs attendent l’ouverture de la porte d’embarquement à l’aéroport de Francfort.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Nassima devait initialement passer cinq mois avec sa sœur à Ottawa, mais elle a décidé d’écourter son séjour pour retourner au Liban, parce que je ne veux pas laisser mes enfants seuls
explique-t-elle.
Sa sœur a immigré au Canada il y a 35 ans. Elle voulait que Nassima demande l’asile pour rester avec elle à Ottawa, mais c’était hors de question. Je ne peux pas quitter le Liban, je ne veux pas émigrer
Nassima me l’a dit d’un ton catégorique. C’est inconcevable pour moi de lâcher mon pays, même s’il y a la guerre !
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Nassima, 59 ans, a écourté son séjour à Ottawa pour retourner au Liban, malgré la guerre.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Kamil Halabi écoute attentivement notre conversation. Lui aussi a dû écourter son séjour au Canada, où il rendait visite à sa fille à Edmonton, pour retourner dans son village natal de Yanta, au sud-est du Liban. Ce retraité, qui a vécu en Alberta pendant plus de 25 ans, dit avoir pris la décision de rentrer chez lui lorsque les frappes israéliennes se sont intensifiées il y a un mois.
Je suis attaché à mes racines libanaises. Quand on aime un pays, il faut l’aimer sous toutes ses formes. Pour le meilleur ou pour le pire.
Son village a jusqu’à présent été épargné par les bombardements, mais personne n’est en sécurité
assure-t-il.
Je n’ai pas peur
affirme encore M. Halabi. Nous sommes habitués aux guerres. J’ai vécu l’invasion israélienne du Sud-Liban en 1982 ainsi que la guerre israélienne de juillet 2006.
Je suis né dans ce pays et c’est ici que je veux mourir
ajoute-t-il.
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Kamil Halabi, un retraité qui vit à Edmonton depuis plus de 25 ans, souhaite retrouver sa famille au Liban.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Israël mène une guerre au Liban depuis que le Hezbollah a ouvert, le 8 octobre 2023, un front dans le sud du pays en soutien au Hamas, au lendemain de l’attaque sanglante menée par le mouvement palestinien de la bande de Gaza sur le sol israélien. En plus d’un an, les frappes israéliennes ont fait plus de 2 700 morts et 12 500 blessés.
Un jeune homme, vêtu d’un élégant costume trois pièces noir sur une chemise blanche, se dirige vers le groupe avec des yeux pétillants. Il veut raconter son histoire à tous ceux qui veulent l’entendre : Je pars au Liban pour rencontrer ma fiancée pour la première fois !
raconte Omrane, 24 ans. Nous nous parlons au téléphone depuis quatre ans, mais nous ne nous sommes encore jamais vus en personne.
Ancien réfugié syrien au Liban, Omrane vit depuis six ans en Allemagne, où il travaille comme chef dans un steakhouse. S’il a décidé il y a deux jours, sur un coup de tête
comme il le dit, acheter un billet d’avion pour le Liban pour enfin rencontrer sa fiancée, c’est parce qu’il vient d’obtenir sa résidence permanente en Allemagne. Avant, c’était compliqué pour moi de quitter l’Allemagne, sans papiers
dit-il. Mais j’ai promis à Raghad de venir la voir dès que j’aurais ma résidence en main.
Raghad, sa fiancée, est également d’origine syrienne, mais s’est réfugiée au Liban avec ses parents il y a plus de douze ans pour fuir les violences dans son pays.
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Omrane, 24 ans, a hâte de rencontrer sa fiancée au Liban, pour la première fois, après une relation virtuelle de près de quatre ans.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
La guerre ne m’intéresse pas, j’ai décidé d’aller au Liban parce que ma fiancée représente tout pour moi. Elle est ma vie.
Omrane prévoit de rester environ un mois au Liban aux côtés de son amant. Il espère l’épouser avant de retourner en Allemagne.
Son sourire éclatant fait oublier un instant qu’une guerre ravage son pays de destination. Pourtant, la région où vit Raghad, dans la Bekaa, à l’est du Liban, est la cible quasi quotidienne des bombardements israéliens. Omrane ne semble cependant pas inquiet.
La guerre, je le sais. Je suis né dans la guerre
confie-t-il. Enfant, lorsque j’étais en Syrie, j’ai été pris au milieu d’un échange de tirs entre soldats et rebelles alors que j’allais à la boulangerie acheter du pain. C’était comme dans les films d’action ! J’avais que 10 ans, il y avait des cadavres dans la rue
dit-il encore.
Mes collègues en Allemagne me trouvent fou d’aller au Liban en pleine guerre
lâche enfin Omrane. Mais regarde autour de toi, je ne suis clairement pas le seul
ajoute-t-il en faisant référence aux dizaines d’autres passagers à bord de l’avion.
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Des véhicules de la FINUL patrouillent sur une route le long de la frontière libano-israélienne le 12 octobre 2023 à Yarine, au Liban.
Photo : Getty Images / Daniel Cardé
Parmi ces passagers figurent une quinzaine de casques bleus autrichiens, envoyés en renfort pour soutenir la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) qui opère dans le sud du pays, à la frontière israélienne.
Alexandre, qui préfère cacher son nom de famille parce qu’il n’est pas autorisé à parler aux médias, dit qu’il ne craint pas pour sa sécurité au Sud-Liban, même si notre base a été visée à plusieurs reprises par des tirs
.
Le UNIFILEqui compte plus de 10 000 soldats venus de 40 pays différents, est pris entre deux feux.
Mardi, huit de ses compatriotes ont été blessés par le tir d’une roquette qui aurait été lancée par le Hezbollah, selon le UNIFILE. Quelques semaines plus tôt, la force de maintien de la paix duLUI a accusé l’armée israélienne d’avoir tiré sur ses positions, blessant cinq de ses membres et endommageant du matériel.
Dans les couloirs de l’avion à destination de Beyrouth, les agents de bord, élégants dans leurs uniformes bleu roi, servent à manger et à boire aux passagers. Ils ne sont pas non plus autorisés à parler aux journalistes.
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L’avion de Middle East Airlines à moitié plein.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
L’un d’eux accepte cependant de le faire sous couvert d’anonymat. Elle se sent totalement en sécurité dans les airs
. Ce sont mes collègues qui travaillent sur le terrain, à l’aéroport, qui risquent le plus d’être la cible d’attentats à la bombe.
explique-t-elle. Ici, nous sommes dans un avion rempli de civils, nous n’avons aucune crainte pour notre sécurité.
Lors de la dernière guerre israélienne, en juillet 2006, l’aéroport de Beyrouth avait été mis hors service au deuxième jour du conflit après avoir été visé par un bombardement.
Début octobre, le PDG de la compagnie aérienne a assuré avoir reçu des garanties des autorités libanaises et des ambassades occidentales que l’aéroport ne serait pas pris pour cible
.
Au total, le CHOSE maintenu une quarantaine de vols par jour à destination et en provenance de la capitale libanaise.
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Dans les couloirs presque vides de l’aéroport international de Beyrouth.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Plus de trois heures après avoir décollé de Francfort, notre avion atterrit sur la piste qui longe la mer Méditerranée, d’un côté, et la banlieue sud de Beyrouth, de l’autre.
Il fait nuit. Les passagers scrutent l’horizon en regardant par les hublots. Il n’y a aucun signe visible de bombardement ni d’épaisse fumée noire venant de la ville. C’est une soirée tranquille
dit l’une des hôtesses. Parfois, nous apercevons de la fumée au loin.
Devant la porte des arrivées, une vingtaine de personnes, en majorité des hommes, attendent la sortie des passagers. Une femme, tenant dans ses mains un bouquet de roses blanches, se démarque de la foule. Ses yeux fixent tous ceux qui franchissent la porte, un par un.
It’s Raghad, Omrane’s fiancée.
Vêtue d’une longue veste bleu clair, un voile blanc sur la tête, elle peine à cacher son enthousiasme.
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Raghad, attendant avec impatience sa fiancée, Omrane.
Photo : Radio-Canada / Rania Massoud
Je vais enfin le voir après quatre ans, tu te rends compte ?
me dit-elle, tout sourire, avant de se retourner pour guetter l’arrivée d’Omrane.
Cette dernière tarde à sortir. Il est interrogé par un agent des douanes qui examine ses documents de voyage.
Finalement, il apparaît derrière la porte. Son regard repère immédiatement Raghad, qui se précipite anxieusement vers lui en lui tendant le bouquet. Les amoureux s’embrassent brièvement, par pudeur, et quittent rapidement l’aéroport pour se diriger vers la Bekaa.
Moins de douze heures plus tard, l’armée israélienne annonce qu’elle s’apprête à frapper la région avec force contre le Hezbollah
. Ses quelque 80 000 habitants doivent quitter leur domicile immédiatement
.
Le mariage d’Omrane et Raghad devra peut-être attendre ; dehors, c’est la guerre.
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