Le fondateur de OnePoint vient de prendre 9,9% du capital du groupe informatique. Une offensive qui couvait depuis longtemps après plusieurs tentatives d’implantation chez Atos.
En plein été, David Layani trépigne du pied. Ses vacances en Corse ont beau être ensoleillées, l’entrepreneur n’y coupe pas. Il ne s’intéresse pas à sa société informatique OnePoint, qu’il a créée il y a vingt ans, mais au géant Atos. « C’est une entreprise qui me passionne et que je suis depuis près de 25 ans, explique David Layani. « Cela fait 18 mois que je réfléchis activement à une opération. » Une fascination qui se transforme en obsession pour cet autodidacte de 44 ans qui y pense matin, midi et soir.
« Il élabore son plan dans son lit alors qu’il n’arrive pas à dormir », glisse un de ses proches.
Quand fin juillet, le cours de l’action Atos a chuté de 50 % en trois jours, il a flairé une bonne affaire. A 6 euros, l’action devient intéressante. Il confie en privé que s’il descend à 4 euros, il sera prêt à l’acheter “sous le radar”, en dessous de 5% du capital, pour ne pas se faire démasquer. Les étoiles se sont alignées lorsqu’Atos a annoncé le 1er août la vente de ses activités historiques de services informatiques à Daniel Kretinsky. Une opération qui soulage le groupe d’activités en déclin qui n’intéressent pas le fondateur de OnePoint.
Mais à l’heure actuelle, il reste encore un obstacle de taille : Bertrand Meunier. Le président d’Atos ne veut plus entendre parler de David Layani depuis un an.
Un « petit pouce » affronte un géant
Retour en arrière. Fin 2022, OnePoint s’est lancé dans le dossier en proposant de racheter Atos avec un fonds d’investissement. Une offensive à 4 milliards d’euros – dette comprise –, jugée agressive par Meunier, mais qui a mis David Layani dans le coup. Le jeune patron lorgnait déjà sur l’autre branche d’Atos, baptisée Eviden. Ses activités d’applications numériques compléteraient parfaitement celles de OnePoint. Il rêve aussi d’activités cloud et cybersécurité mais il dispose de peu de ressources. Son entreprise, qui compte 3 500 salariés et 500 millions d’euros de chiffre d’affaires, n’est pas à la hauteur des 11 milliards d’euros de chiffre d’affaires d’Atos.
David Layani n’a pas digéré d’être rejeté par Bertrand Meunier qui s’est moqué de lui et l’a traité de « petit poucet », un surnom qui lui colle toujours. En début d’année, il attaque à nouveau et soigne son image. Il s’est entouré de l’avocat Antoine Gosset-Grainville, également président d’Axa, et bien connu des milieux financiers et politiques. Une figurine de gendre parfaite pour adoucir son image de cowboy.
En février, Atos a entamé des discussions avec Airbus pour l’inviter à prendre 30 % d’Eviden. Mais l’avionneur ne s’intéresse qu’aux activités de cybersécurité et de supercalculateurs (big data & security, BDS). OnePoint se positionne alors pour prendre en charge le reste, les activités applicatives digitales et le cloud.
« David Layani aurait pu être notre partenaire, reconnaît un proche d’Airbus. Il se considérait déjà comme l’homme clé du dossier.
Il est convaincu qu’il est le seul à pouvoir racheter la totalité d’Eviden. Atos ne veut pas de Thales, Airbus abandonne.
Rêves de présidence
David Layani cherche alors un autre angle d’attaque. L’espoir renaît avec le beau temps. Les petits actionnaires en colère rêvent d’évincer Bertrand Meunier lors de l’assemblée générale fin juin. Il se rapproche de « l’union des actionnaires d’Atos » et du fonds Sycomore qui mène la révolte. Le patron de OnePoint les courtise pour s’assurer de leur soutien et suggère les noms des administrateurs à proposer pour démystifier le président. L’ancien patron d’Altran et d’Euronext, Dominique Cerutti, en fait partie.
« En réalité, il (David Layani) rêvait d’accéder à la présidence », confie une Source qui le connaît bien.
L’entrepreneur envisage déjà d’augmenter le capital d’Atos et recherche des fonds auprès de milliardaires comme Xavier Niel. En vain… Pour parvenir à ses fins, il n’oublie pas de soigner ses précieux réseaux politiques, à droite. Proche de Nicolas Sarkozy, il se rapproche de Bruno Le Maire. Fin juin, quelques jours avant l’assemblée générale d’Atos, le ministre de l’Économie a inauguré les nouveaux locaux du siège de OnePoint dans le 16e arrondissement de Paris. Mais ce n’est pas assez. Le président d’Atos Bertrand Meunier est renouvelé lors de l’assemblée générale. Encore raté.
L’été ne laisse aucune place au répit. Les mauvais résultats d’Atos ont fait chuter les prix. Et la vente de la succursale historique à Daniel Kretinsky relance la révolte des actionnaires. Deux plaintes ont été déposées auprès du Parquet national financier. Le fonds Alix dénonce « la corruption » alors que les dirigeants d’Atos doivent toucher des primes d’intéressement de plusieurs dizaines de millions d’euros. Le fonds CIAM pointe la communication financière « trompeuse » du groupe. Bertrand Meunier est à nouveau visé.
David Layani sent le vent tourner. Après l’avoir essayé auprès des actionnaires, il s’est adressé à la direction. Il contacte Jean-Pierre Mustier, le nouvel administrateur du groupe, dont chacun pressent intérieurement qu’il sera bientôt président. Un banquier parisien surprend le fondateur de OnePoint dans un restaurant, en compagnie de Diane Galbe, la directrice de la stratégie du géant informatique. Atos acculé, Layani n’est plus « persona non grata ».
Un raid à la Bolloré ?
Lorsque Bertrand Meunier est arrivé mi-octobre, il savait que son heure était enfin venue. Il donne mandat à la Société Générale et au Crédit Agricole d’acheter des actions Atos sur le marché. Il a déboursé environ 70 millions d’euros pour prendre 9,9% du capital, une somme « énorme » pour lui, comme il l’a confié à un proche. Le nouveau président Jean-Pierre Mustier accueille positivement son arrivée. David Layani se sent pousser des ailes. Dans les couloirs du siège du groupe à Bezons, c’est désormais jugé « acceptable » en ce qui concerne les activités sensibles de cybersécurité. Ambiance improbable de lune de miel entre OnePoint et Atos après un an de guerre.
Les petits actionnaires sont plus mixtes. “C’est une bonne nouvelle qu’un investisseur prenne les choses en main”, assure Hervé Lecesne, membre de l’association des petits exploitants Udaac. « Il faut revoir les conditions financières de l’opération avec Daniel Kretinsky et éviter une augmentation de capital pour faire monter le cours de l’action. D’autres craignent une rafle comme le pratique Vincent Bolloré.
« La seule question est de savoir si cela va monter à 20 ou 25 % et faire la loi », glisse un banquier d’Atos.
En ligne de mire : « BDS ». La pépite des supercalculateurs et de la cybersécurité dont la vente permettrait de renflouer Eviden et d’éviter une augmentation de capital de 900 millions d’euros. Désormais actionnaire, Layani n’a aucun intérêt à la soutenir. Il ne s’engage sur rien mais promet d’être “vigilant pour ne pas brader des actifs”, assure-t-il à BFM Business.
En revanche, ses détracteurs le seront aussi. Le fonds activiste CIAM affirme ne pas être dupe. “OnePoint a un intérêt stratégique à racheter les actifs d’Atos”, explique sa patronne Catherine Berjal. “Nous veillerons à ce qu’il ne prenne pas un contrôle rampant au détriment des actionnaires minoritaires.” S’il veut aller plus loin, David Layani n’aura d’autre choix que de trouver des alliés. “Il aura besoin de partenaires industriels et financiers s’il veut prendre le contrôle d’Eviden”, assure Dominique Cerutti, également ancien de son rival Cap Gemini. D’autres constructeurs qui lorgnent sur Atos, comme Thales, Airbus, OVH ou Alten, l’attendent.
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