Pour atteindre leurs objectifs climatiques, toutes les industries prévoient de décarboner leurs activités. Tous? Pour preuve, les activités numériques continuent de voir leurs émissions polluantes augmenter, une « pollution invisible » que HEC Montréal a voulu illustrer à partir de l’empreinte carbone en ligne des grandes banques canadiennes.
Publié hier à 7h00
Comme beaucoup d’autres entreprises, les banques tiennent un registre incomplet des émissions polluantes générées par leurs activités en ligne. Ils disposent évidemment d’un site internet et d’une application mobile, mais ils achètent aussi de la publicité en ligne, maintiennent leur présence sur les réseaux sociaux, et certains ont même adopté des outils dérivés de l’IA comme les dialogueurs automatisés.
Tous ces outils ont un coût environnemental qui passe inaperçu, constatait ces derniers mois l’Observatoire de la pollution numérique, un groupe d’étude créé par la Chaire RBC Groupe Financier en commerce électronique à HEC Montréal.
L’observatoire a publié début janvier un rapport qui mesure l’effet sur l’environnement des pratiques numériques dans le secteur bancaire canadien.
L’étude a été menée par Sylvain Amoros, professeur de marketing à HEC Montréal avec son collègue Sylvain Sénécal et le chercheur Victor Prouteau.
Ce que nous avons réalisé, c’est que la pollution numérique, pour de nombreuses entreprises, est invisible. Il a fallu trouver un moyen de le mesurer, de le rendre plus tangible, de changer les pratiques.
Sylvain Amoros, professeur de marketing à HEC Montréal
Lourd
Compte tenu du poids du secteur bancaire dans l’économie canadienne, c’était le point de départ idéal pour les trois universitaires montréalais. Et après avoir analysé les données des neuf plus grandes banques du pays, leur constat peut se résumer en une phrase : plus les entreprises misent sur le digital pour attirer de nouveaux clients, plus leur empreinte carbone est importante.
Ainsi, chaque fois qu’un internaute visite un site bancaire après avoir vu une publicité en ligne, il « émet » l’équivalent de 174 grammes de CO.2 dans l’atmosphère (174 g/CO2e). C’est un niveau de pollution équivalent à parcourir un kilomètre au volant d’un Honda CR-V de l’année.
C’est aussi 500 fois plus de pollution qu’un internaute qui visite directement le même site bancaire. Celui-ci n’émet que 0,42 g/CO2et pour les visites.
Pour arriver à ces résultats, l’observatoire a pris en compte le type d’activité en ligne (publicité statique sur site internet ou vidéo), les plateformes (sociales, mobiles, web) et d’autres facteurs, comme le mix énergétique par province.
Ce dernier détail est important : trois des quatre banques dont les activités numériques ont la plus faible empreinte carbone ont leur siège social au Québec (Banque Laurentienne, Banque Nationale, Desjardins).
-À l’autre bout de cette liste, et sans doute plus inquiétant dans un contexte de réduction des émissions de GES, les trois banques les plus « polluantes numériques » au Canada sont aussi celles qui attirent le plus de visiteurs sur leurs sites Internet.
TD, Banque Scotia et HSBC sont ainsi responsables des deux tiers de la pollution numérique du secteur bancaire canadien, calculent des chercheurs de HEC Montréal.
«C’est comme si seulement trois marques automobiles du pays polluaient», image Sylvain Amoros.
Un message aux entreprises
La Chaire de commerce électronique de HEC Montréal se défend rapidement : l’intention derrière son rapport n’est pas simplement de pointer du doigt telle ou telle banque.
Nous voulons envoyer un message clair : le numérique pollue, et cette pollution se calcule. Et si nous ne faisons rien, la pollution numérique va doubler dans les années à venir.
Sylvain Amoros
Ce dernier ajoute que si l’ensemble de l’économie suivait la même courbe de pollution, « nous nous alignerions sur le pire scénario climatique du GIEC », soit une augmentation de 4 degrés Celsius de la température moyenne sur Terre d’ici 2100.
Plus concrètement, des chercheurs montréalais veulent alerter les entreprises canadiennes sur les risques d’écoblanchiment. Une éventuelle adoption à Ottawa du projet de loi C-59 renforcerait les mesures punitives contre les allégations environnementales trompeuses à partir de mi-2025.
« Les banques ont des politiques environnementales ambitieuses, mais elles semblent avoir le numérique dans leur angle mort », estime Sylvain Amoros. Il faudra en tenir compte si le C-59 est adopté. »
Quoi qu’il en soit, il y a un deuxième bénéfice pour une entreprise à réduire sa pollution numérique : une stratégie web plus efficace coûte aussi moins cher.
« C’est un beau cercle vertueux », conclut Sylvain Amoros.