Les entreprises européennes sont en difficulté face à la concurrence féroce de la gigantesque industrie photovoltaïque chinoise. Christophe Ballif, expert suisse en énergie solaire, évoque les défis – et les opportunités – importants que pose la suprématie chinoise et explique pourquoi la Suisse a un brillant avenir dans ce domaine.
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14 décembre 2024 – 08h00
Christophe BaliffLien externe consacre sa carrière depuis 30 ans à la recherche et à l’innovation dans le domaine de la technologie solaire. Il dirige le laboratoire photovoltaïque (PVLAB) de l’Ecole Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et le centre photovoltaïque du CSEM (Centre Suisse d’Electronique et de Microtechnique), tous deux basés à Neuchâtel.
swissinfo.ch: Le fabricant suisse de panneaux solaires Meyer Burger est l’un des rares fabricants européens de panneaux solaires à avoir survécu à la saturation du marché par les importations chinoises à moindre coût. Mais le mois dernier, il
a annoncé que son avenir était incertain après le retrait de son plus gros client. Que pensez-vous de la crise de Meyer Burger ? L’entreprise a-t-elle encore un avenir?
Christophe Baliff est directeur du laboratoire photovoltaïque de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) et du laboratoire photovoltaïque du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM).
EPFL
Christophe Ballif : Il est clair qu’ils vont devoir trouver des clients rapidement. Sinon, il leur sera extrêmement difficile de continuer dans leur forme actuelle.
Mais j’espère vraiment qu’ils trouveront une solution. Meyer Burger est l’une des rares entreprises occidentales à proposer une technologie exclusive de cellules solaires offrant d’excellentes performances. Il possède toujours une propriété intellectuelle précieuse. De nouvelles technologies y sont en préparation, développées par le groupe avec des partenaires suisses comme le CSEM.
Le photovoltaïque sera probablement la principale Source d’électricité du siècle et une Source d’énergie majeure, utilisée massivement dans le futur pour produire de l’hydrogène pour l’acier, de l’ammoniac et des engrais par exemple. Il est donc nécessaire de conserver une partie de la technologie entre les mains des Occidentaux.
Mais il faut reconnaître que la situation est très difficile. Dans un marché comme l’Europe où il n’y a pas ou peu de barrières commerciales contre les produits asiatiques, pas de quotas pour les produits européens et où seules des aides d’État modestes et dispersées sont mises en place – contrairement à ce qui était attendu après les annonces faites sur l’industrie européenne zéro émission nette. Act (loi européenne récemment approuvée sur une industrie à zéro émission nette) – nous ne pouvons pas lutter contre ce qui s’est passé en Chine au cours des deux ou trois dernières années.
Que veux-tu dire par là ?
Au cours des trois dernières années, la Chine a investi environ 100 milliards de dollars (88,5 milliards de francs suisses) dans la chaîne d’approvisionnement des modules solaires, uniquement pour la fabrication d’équipements et de bâtiments associés. Cela a conduit à une énorme surcapacité ; il y a trop de lignes de production. En un an, le prix d’un module photovoltaïque a été divisé par trois.
L’industrie chinoise sait très bien réduire les coûts et adopter les derniers éléments dans ses lignes de production, car elle fait face à la concurrence d’autres entreprises chinoises. Leurs produits standards peuvent évoluer plus rapidement : par exemple, en modifiant rapidement leurs équipements de production, ils peuvent fabriquer des cellules solaires plus grandes avec un rendement légèrement supérieur. Il est très difficile de rivaliser sur un pied d’égalité.
Gunter Erfurt, le directeur sortant de Meyer Burger, a accusé les politiciens européens d’avoir « trop peur de la Chine » et de « ne pas être prêts à protéger l’industrie solaire européenne contre une concurrence déloyale ». Êtes-vous d’accord?
Il a raison. L’énergie solaire est une industrie stratégique. Il en va de même pour les batteries ou les voitures électriques. Ce sont des atouts nécessaires à la transition énergétique.
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21 oct. 2024
Les autorités ont donné leur feu vert à un projet pilote visant à installer des panneaux solaires amovibles sur une voie ferrée du canton de Neuchâtel.
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On se rend compte qu’en raison des investissements considérables de la Chine, de la taille de son industrie solaire et de son niveau d’automatisation, elle produira des produits à moindre coût. Mais pour des raisons de résilience, il est nécessaire de conserver au moins une partie de la production en Europe.
Nous ne pouvons pas dépendre à 100 % de la Chine, surtout si l’on considère les risques de conflits géopolitiques. Au moins les pays européens ont pris conscience de ce problème, et le Net-Zero Industry Act permet à un pays de soutenir certains secteurs de l’industrie.
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N’y a-t-il pas un côté positif à la domination de la Chine dans le domaine de l’énergie solaire ?
Le point positif est que les entreprises chinoises peuvent désormais fabriquer des actifs énergétiques à très bon marché. Comme ils doivent survivre, ils deviennent rapidement très efficaces, apprenant à réduire les apports de matières et d’énergie, tout en augmentant leurs performances.
La Chine peut désormais fournir au monde tous les atouts nécessaires à la transition énergétique dans un délai raisonnable (25-30 ans). Il dispose d’une capacité suffisante pour alimenter des batteries pour l’équivalent de 100 millions de voitures par an et des batteries utiles à la gestion des réseaux. Elle pourrait fabriquer 1 500 gigawatts (GW) de panneaux solaires par an. Ces capacités sont 2,5 à 3 fois supérieures à la demande mondiale actuelle. Et pour soutenir son industrie, la Chine installe massivement des centrales solaires et éoliennes, et produit des voitures électriques.
Et bien sûr, la Chine a besoin d’exporter car elle a créé ces gigantesques usines. Cela poussera de nombreux pays à adopter des technologies propres. Dans un certain sens, c’est plutôt une bonne nouvelle pour la planète, et l’on peut faire confiance aux Chinois pour mener à bien la transition énergétique, bien plus qu’aux États-Unis ou dans d’autres régions du monde.
Vous avez salué l’industrie solaire suisse qui bénéficie selon vous d’une structure industrielle intéressante avec des entreprises suisses qui font les choses « différemment et mieux ». Que veux-tu dire exactement ?
L’industrie ici n’est pas grande. De nombreuses entreprises proposent ce que j’appellerais des produits de niche ou de spécialité. Il n’y a pas deux entreprises identiques. C’est toujours un mélange d’innovation, de propriété intellectuelle unique et d’opportunités de marché de niche.
Les succès de l’innovation solaire suisse, selon Christophe Ballif
INDEOtec propose des outils de traitement de cellules solaires pour les laboratoires ;
Stäubli fabrique des connecteurs de haute qualité pour les modules et systèmes photovoltaïques ;
Solutions solaires suisses 3S fabrique des modules photovoltaïques pour les bâtiments ;
Soleils libres se spécialise dans les tuiles solaires ;
Solaxesse propose des films spéciaux pouvant modifier l’apparence des modules photovoltaïques ;
Climat combine l’isolation du toit avec des cellules solaires intégrées ;
Mur solaire est spécialisé dans les façades photovoltaïques ;
Insolent et Voltiris proposer des solutions agrovoltaïques pour le secteur agricole ;
Studer Innotec fournit des appareils électroniques de puissance;
Homsphère propose des systèmes énergétiques optimisés pour les bâtiments et les quartiers ;
Graines de lumière fabrique des produits photovoltaïques légers à partir de produits recyclables.
Le secteur solaire suisse est-il suffisamment soutenu par le gouvernement et les autorités suisses ?
L’installation de systèmes photovoltaïques en Suisse a connu une forte croissance ces dernières années. Idéalement, le nombre de nouveaux systèmes installés devrait être d’environ 2 GW par an en Suisse. Mais il n’est pas certain que cette situation perdure en raison de la forte érosion probable du prix minimum de remboursement de l’électricité solaire.
En matière de technologie et de fabrication, il est clair que la Suisse ne dispose pas d’une politique industrielle visant à soutenir les entreprises solaires ou de technologies propres. Il y avait un certain soutien à l’innovation, mais il commence à s’éroder, en grande partie à cause du plan Gaillard (un plan d’économies du gouvernement de 3 milliards de francs, ndlr).
C’est un véritable désastre. Le Conseil fédéral a proposé de réduire de moitié les projets pilotes et de démonstration qu’il cofinance. Cela représente 23 millions de francs suisses (26 millions de dollars) par an. Il veut les réduire à zéro, ce que nous trouvons inacceptable.
Ils réduisent également le peu de moyens dont disposait l’Office fédéral de l’énergie pour des projets de recherche énergétique avancés. Le programme de l’Agence suisse pour l’innovation (Innosuisse), qui soutient le transfert de technologies du monde universitaire vers l’industrie, sera probablement également réduit. De nombreuses entreprises, associations et ingénieurs sont mécontents, et pas seulement dans le domaine de l’énergie solaire.
Il est très regrettable que le gouvernement suisse ne semble pas se rendre compte qu’il entreprend des efforts qui vont à l’encontre des intérêts de la transition énergétique, du développement technologique, du déploiement potentiel du marché et de l’économie des technologies propres. Cela doit être dit très clairement. La situation est très défavorable.
Texte relu et vérifié par Balz Rigendinger/ts, traduit de l’anglais par Mary Vakaridis/ptur