Il semblerait que les architectes aiment être payés en médailles en chocolat.
Depuis une vingtaine d’années, leurs honoraires – et donc leur rémunération – sont en baisse. A Genève, l’association « Archi enanger » se bat actuellement pour leur assurer un salaire minimum décent, alors qu’un nouveau CCT entre en vigueur. Le patron d’une agence explique et résume la situation ainsi : « Quand je me suis lancé dans l’architecture il y a 20 ans, nous signions des contrats au tarif moyen de 142 CHF de l’heure. Aujourd’hui, les tarifs imposés par l’Etat de Genève sont de 125 CHF.»1
Coïncidence historique ou corrélation ? Au cours de la même période, nous avons assisté à une multiplication de médailles et de prix d’architecture. Selon l’historien canadien Jean-Pierre Chupin, le nombre d’institutions émettrices a doublé dans les années 1980 et a quintuplé depuis.2. Rien qu’en Suisse, j’en ai dénombré une cinquantaine. Et avec la multiplication des catégories et des domaines couverts, la courbe devient exponentielle. Bientôt, faute d’un bon salaire, tous les architectes auront leur prix !
Comment expliquer une telle prolifération ? Par la multiplication des prix liée à un lobby ou à un cartel d’entreprises, bien sûr, mais aussi par un phénomène plus récent, l’arrivée sur ce marché déjà bien saturé d’entreprises qui font de la distinction une entreprise commerciale en soi, et Chupin appelle le «machines à récompenses». Pour les reconnaître, rien de plus simple : il suffit de regarder s’il y a des frais d’inscription. En Europe par exemple, cette activité a été développée par une entreprise de communication allemande qui confie à un jury de trois personnes le soin de désigner les « meilleurs architectes » – en facturant jusqu’à 300 € pour l’inscription, 2 200 € pour l’inscription. privilège d’être gagnant et 2 400 € pour décrocher l’or. A ce prix-là, ce sont souvent les Suisses qui gagnent.
Nous ne nous en soucions pas, mais nous finissons quand même par participer. Au lieu de s’unir à leurs pairs, de nombreux architectes préfèrent investir pour se distinguer. Il faut dire que le concours est un fondement de la discipline : à l’École des Beaux-Arts, l’apprentissage se faisait à travers et autour des concours, comme le prestigieux Prix de Rome, qui garantissait l’inscription du lauréat annuel sur les listes de commande de l’État. Depuis, les prix continuent de jouer un rôle fondamental dans la promotion de la qualité, la régulation de la profession et la communication avec le grand public et les clients potentiels. Mais la multiplication actuelle brouille les messages et enterre les approches vertueuses et critiques fondées sur des critères précis. Alors avant de se précipiter, il faut toujours se poser les bonnes questions : quelles valeurs soutiennent la démarche ? C’est pour qui ? Qui le finance et qui en bénéficiera ?
Mais, comme à la loterie, les architectes en quête d’attention espèrent toujours remporter le jackpot. Et ça marche ! Récemment, un nouveau prix international a été lancé en Suisse. Un autre. Les frais d’inscription s’élèvent cette fois à 500 € par projet déposé, rien que ça. L’organisateur espère recevoir un millier de candidatures. Faites le calcul. Où iront les fonds ? La réglementation ne le dit pas.
-Nous proposons un autre jeu. Au lieu de payer le prix, investissez dans la défense de la profession : cela coûte moins cher et peut rapporter gros à tout le monde.
Forte de ces réflexions, l’équipe éditoriale lancera un nouveau prix en 2025 : la Distinction en gestion de projet respectueuse des travailleurs (D-MORT). Envoyez-nous vos histoires de bonne volonté à rédaction [at] revue-traces.ch et vous pourriez gagner une vidéo « Visite ».
Remarques
1. Guillaume Pause, « En colère, les architectes », espazium.ch, 22/11/2024
2. Jean-Pierre Chupin, Carmela Cucuzzella, Georges Adamczyk (éd.), La montée des récompenses en architecture, Presse Vernon, 2022