Les paires de collants de l’entreprise montréalaise Sheertex ont la réputation de résister à tout, même à la délocalisation, une tendance qui semble inexorable dans l’industrie textile. Pour maintenir ses activités ici, l’entreprise mise sur la robotisation, une stratégie qui a retenu l’attention d’Investissement Québec.
Les bobines Sheertex tournent à pleine vitesse. L’arrivée du froid et la période des fêtes marquent la période de l’année la plus chargée pour les ventes de l’entreprise. À son usine de Pointe-Claire, en bordure de la Transcanadienne, des centaines de boîtes remplies de collants attendent d’être expédiées à Costco et H&M, deux détaillants avec lesquels Sheertex a fait affaire récemment. En octobre, le fabricant montréalais s’est également associé à la marque SKIMS, propriété de la célébrité américaine Kim Kardashian.
«C’est une grande étape pour nous», a déclaré Katherine Homuth, fondatrice et PDG de Sheertex. Ces nouveaux partenariats représentent une visibilité accrue pour l’entreprise, dont le modèle économique reposait auparavant uniquement sur les ventes à partir de son propre site Internet.
Cette année, Sheertex a vendu environ deux millions de paires de collants, qui coûtent environ 50 dollars canadiens. L’année prochaine, l’entreprise prévoit de tripler, voire quintupler, son chiffre d’affaires. « Nous sommes toujours en transition. Nous avons déménagé l’usine et nous voilà en train d’augmenter la cadence de production », raconte M.moi Homuth.
Fabriquer ici plutôt qu’en Asie
C’est en 2017 que Katherine Homuth, originaire de l’Ontario, a l’idée de créer des collants ultra-résistants. « Tout est parti d’un constat très simple. Je trouvais étrange qu’on soit capable de fabriquer des voitures autonomes, de voyager dans l’espace, mais pas de créer des collants qui duraient plus d’une journée ! » dit-elle.
Grâce à des tests, Sheertex a trouvé un tissu à la hauteur de ses attentes, fabriqué à partir de poudre de bioéthylène, qui est transformée en fils puis utilisée pour tisser des collants. “En gros, c’est la même fibre que l’on retrouve dans les gilets pare-balles”, résume M.moi Homuth.
En 2019, Sheertex a emménagé dans les anciens locaux de Gildan, dans l’est de Montréal, avant de déménager l’an dernier dans son usine actuelle de Pointe-Claire, dont la superficie est mieux à même de répondre aux ambitions de croissance de l’entreprise. « Rapidement, nous avons compris que toute l’expertise dont nous avions besoin était ici à Montréal, que ce soit en termes de techniciennes en tricot ou de mécaniciens capables de travailler sur nos machines à coudre », explique-t-elle.
Les fabricants de textile sont rares aujourd’hui au Québec, la majorité de l’industrie s’étant délocalisée en Asie. Mais Katherine Homuth est fière de faire les choses à contre-courant. « Avec les technologies que nous avons développées, nous avons créé de la propriété intellectuelle. Nous voulions pouvoir le protéger, ce que nous n’étions pas sûrs de pouvoir faire en travaillant avec des tiers pour la fabrication », explique-t-elle.
-Tout est fait à Montréal, de la transformation du matériau de base jusqu’à l’expédition des produits. « En investissant dans les bons types d’automatisation, nous avons réalisé que nous pouvions avoir des prix capables de rivaliser avec ceux des pays étrangers. Et comme nos procédés sont énergivores, nous avons l’avantage de payer des tarifs compétitifs pour l’hydroélectricité », souligne-t-elle.
La rentabilité en ligne de mire
Cette semaine, Sheertex a reçu pour la première fois un financement public : un investissement de 35 millions de dollars d’Investissement Québec (IQ), sous forme de dette convertible en actions. « Sheertex a fait des progrès incroyables dans l’automatisation de sa production », a déclaré Bicha Ngo, PDG d’IQ, qui a visité l’usine Sheertex ces derniers jours. «C’est exactement ce que nous voulons encourager pour augmenter la productivité des entreprises au Québec», affirme M.moi Ngo.
Grâce à cette aide financière, l’entreprise vise à augmenter sa production et à réduire ses coûts d’exploitation. « Au tout début, cela nous coûtait plus de 100 $ pour fabriquer une paire de collants. Maintenant, cela nous coûte environ 12 $. Et nous visons à descendre à environ 5 $. Lorsque nous arriverons à ce coût de production, ce qui devrait arriver au quatrième trimestre de l’année prochaine, l’entreprise devrait être rentable », déclare M.moi Homuth.
Les dernières semaines ont été complexes à gérer pour l’entreprise, en raison de la grève des postes qui freine les ventes. «Nos activités canadiennes sont en baisse de 44% à cause de la grève à Postes Canada», argumente Katherine Homuth. En attendant, de nombreuses commandes sont sur la glace. Les clients qui le peuvent sont invités à venir chercher leurs produits directement à l’usine.
En règle générale, le Canada représente plus du tiers de la part de marché de l’entreprise. À l’heure actuelle, ce chiffre n’est que d’environ un cinquième. La majorité de ses ventes se font aux États-Unis. Une petite partie est fabriquée en Europe. « Je pense que nous allons probablement perdre environ 16 % de nos ventes pour ce trimestre, qui est un très gros trimestre pour nous. Donc, sur l’ensemble de l’année, cela devrait représenter une perte d’environ 10 % de nos ventes », estime M.moi Homuth.
La femme d’affaires ne semble pas pour autant découragée. « Il y a un enthousiasme pour nos produits. Nous révolutionnons les collants. Et nous effectuons déjà des tests pour appliquer notre technologie à d’autres types de vêtements. »