immigration, salaire minimum, fiscalité, deux économistes débattent des programmes – .

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Deux prix Nobel d’économie français, Jean Tirole et Esther Duflo, ont adopté des positions diamétralement opposées dans cette campagne. Vous représentez vous-mêmes ces deux courants. Comment expliquez-vous de telles divergences ?

Christian Gollier : C’est une excellente question. Comment expliquer qu’une science sociale fondée sur les faits puisse conduire à de tels désaccords sur les impacts potentiels de deux programmes économiques ? Aujourd’hui, deux blocs d’économistes s’opposent : le bloc des progressistes de gauche pour qui l’objectif principal n’est pas la croissance, mais la réduction des inégalités. Et un bloc, que l’on pourrait qualifier de plus libéral, qui estime que la priorité est d’augmenter la taille du gâteau pour qu’il profite à tous, et en particulier aux ménages les plus vulnérables.

Ces économistes, dont je fais partie, estiment qu’il faut trouver un bon compromis entre prospérité et réduction des inégalités. En effet, on sait qu’une fiscalité excessive à visée redistributive risque en réalité de décourager l’investissement et de limiter la création de richesses à redistribuer.

Anne-Laure Delatte: Je suis d’accord avec vous sur le fait que les 300 économistes qui ont signé une tribune en faveur du programme du Nouveau Front populaire – je précise au passage qu’Esther Duflo ne l’a pas signée – ont une profonde aversion pour les inégalités. En revanche, je ne crois pas que la lutte contre les inégalités passe nécessairement par une faible prospérité, bien au contraire. La politique de l’offre telle qu’elle a été menée par le gouvernement n’a pas eu les résultats escomptés : l’augmentation du taux d’emploi n’a pas compensé les baisses de prélèvements obligatoires, ce qui a conduit à une augmentation sans précédent des dépenses publiques.

C’est pourquoi, pour relancer l’activité, le NFP mise à la fois sur un choc de pouvoir d’achat en faveur des classes populaires et moyennes, mais aussi sur des investissements de long terme dans l’éducation, la santé et les services publics, qui contribuent largement au niveau de productivité d’un pays, et sont indispensables pour assurer sa prospérité.

Christian Gollier, vous rejetez les programmes du RN et du NFP, considérant qu’ils représentent un risque majeur pour l’économie. Pensez-vous qu’ils procèdent de la même logique ?

CG : Je voudrais tout d’abord limiter mon analyse à ma seule légitimité d’économiste environnemental. Dans ces élections, les programmes économiques et écologiques ont été complètement relégués au second plan, ce qui est très regrettable. Cela étant dit, il ne faut pas être caricatural : hormis l’abrogation de la réforme des retraites et la défense des mesures protectionnistes, les deux programmes n’ont pas grand-chose en commun.

Compte tenu des différents reculs des dernières semaines, il est difficile de juger le programme économique du RN. Depuis que le parti a effectué son « virage austérité » en début de campagne, on a le sentiment qu’il n’y aura pas de rupture nette à court terme avec le gouvernement précédent sur la compétitivité des entreprises ou la dette publique. En revanche, le RN au pouvoir cherchera à démanteler notre réglementation environnementale, ce qui serait une catastrophe pour la planète mais aussi pour les filières des énergies vertes, de l’automobile et du bâtiment.

De son côté, le programme du NFP suppose une véritable « rupture » économique, avec une extrême gauche qui a visiblement pris le pas sur la social-démocratie au sein de l’alliance. Ce programme, plus radical que celui des socialistes en 1981 à l’exception des nationalisations, nourrit de réelles inquiétudes des experts sur les comptes publics, les investissements, l’emploi et la prospérité du pays.

A.-LD : Je n’ai pas cette lecture du programme. Au contraire, je le vois comme un programme social-démocrate qui permet de remettre le pays sur une trajectoire de long terme face aux défis climatiques. En signant cette tribune en soutien à leur programme, je ne pense pas que les 300 économistes dont je fais partie donnent carte blanche à cette coalition.

Ils croient cependant qu’il existe une autre voie que celle empruntée par les gouvernements précédents, une voie qui consiste à augmenter les revenus des plus riches et des grandes entreprises pour réduire le déficit public, réduire les inégalités et s’engager dans les dépenses futures.

Je rappelle que, de l’autre côté, pour financer les 12 à 17 milliards d’euros de réduction à 5,5 % de la TVA sur les produits énergétiques, le RN mise sur la suppression des aides sociales pour les personnes issues de l’immigration. Or, les études économiques montrent clairement que le coût de l’immigration pour les finances publiques est nul ou quasi nul. Soit ils mentent à leurs électeurs, soit ils sont incompétents.

CG : Je suis tout à fait d’accord avec vous sur ce point, il n’y a pas de revenus supplémentaires à attendre de la lutte contre l’immigration, les études montrant qu’en matière économique une immigration raisonnée est favorable à la prospérité du pays.

Christian Gollier, qu’est-ce qui vous inquiète tant dans le programme NFP ?

CG : Il y a une véritable volonté anti-entreprise et anti-marché, comme le gel des prix alimentaires qui, à chaque fois qu’il a été mis en œuvre, a entraîné des problèmes de rationnement et de paupérisation. Comment financer le retour à la retraite à 60 ou 62 ans ? C’est un choix de société de savoir si l’on veut plus de loisirs ou plus de pouvoir d’achat. Mais prétendre que l’on peut avoir les deux n’est pas raisonnable.

Quant au salaire minimum de 1 600 euros, il n’est pas du tout certain que les entreprises puissent le répercuter sur leurs prix, ce qui pourrait menacer leur viabilité. Et si elles devaient augmenter leurs prix, cela pèserait sur leur compétitivité, alimenterait l’inflation et risquerait d’affecter encore davantage le pouvoir d’achat des ménages.

A.-LD : On peut, comme Christian Gollier, ne retenir que ces quelques mesures qui font figure d’épouvantails dans les milieux économiques, ou avoir une lecture sociale-démocrate de ce programme, résolument tournée vers le progrès social et l’écologie.

Sur le salaire minimum de 1 600 € par exemple, l’objectif est de permettre aux gens de vivre décemment de leur travail. On peut imaginer des mécanismes de soutien pour les entreprises qui ne seraient pas en mesure d’absorber cette augmentation. La coalition a déjà commencé à réfléchir à ce type de propositions.

Au fond, je pense que ce qui inquiète vraiment les opposants au NFP, ce n’est ni l’augmentation du salaire minimum, ni les quelques blocages de prix, ni même l’abrogation de la réforme des retraites. Ce qui inquiète vraiment les opposants et les marchés, c’est le caractère radical de leurs propositions en matière de fiscalité. En rendant l’impôt sur le revenu plus progressif et en réformant l’impôt sur la fortune pour le rendre vraiment efficace, la gauche veut augmenter la taxation des plus riches, ce que craint la classe dirigeante de ce pays.

La gauche propose de taxer les riches et les multinationales pour financer la transition écologique. N’est-ce pas une piste intéressante ?

CG : Avec des prélèvements obligatoires représentant 47 % du PIB, la France a le taux d’imposition le plus élevé d’Europe après le Danemark. Augmenter encore de 5 % cette pression fiscale, allant jusqu’à la quasi-spoliation sur les hauts revenus et les transferts, comme le recommande le PFN, constituerait un véritable frein à l’investissement pour les détenteurs de capitaux. Si un tel programme devait être mis en œuvre, une bonne partie des richesses productives quitterait le pays. Ce serait une catastrophe pour tous, même si le désir d’égalité est louable en soi.

En réalité, la gauche commet une erreur de diagnostic en croyant que c’est en taxant les plus riches qu’elle réduira la pauvreté dans notre pays. Contrairement au travail, le capital est très mobile, ce qui explique aussi pourquoi la taxation du capital a diminué jusqu’à récemment dans les pays développés, contrairement à la taxation du travail. C’est une question empirique, mais il est très probable qu’au niveau de pression fiscale proposé par le NFP, l’augmentation du taux d’imposition réduira les recettes fiscales, conformément à la courbe de Laffer : « Trop d’impôts tuent les impôts. »

Vouloir taxer les milliardaires au niveau mondial comme on l’a fait pour les multinationales est une piste intéressante, mais le faire au niveau national serait une grave erreur, surtout dans ce pays qui est l’un des moins inégalitaires, grâce à un système de redistribution déjà très efficace.

A.-LD : Comment peut-on dire que les inégalités ne s’accroissent pas en France alors que les 500 personnes les plus riches ont vu leur patrimoine passer de 200 à 1 200 milliards en dix ans, soit une multiplication par six ? Avec deux autres collègues, nous avons estimé qu’un ISF réformé pourrait rapporter entre 15 et 30 milliards d’euros par an.

Concernant l’impôt sur le revenu, rappelons qu’il s’agit de taux marginaux ; personne ne serait imposé à 75 % sur son revenu ! Les taux sont appliqués par tranche de revenu. Et je rappelle que les États-Unis ont poussé le taux marginal de la tranche la plus élevée à 90 % dans les années 1960 et que cela n’a pas empêché le pays de devenir la première puissance économique mondiale.

Quant aux aides publiques à la transition écologique, j’y suis tout à fait favorable, mais elles doivent être assorties de conditionnalités, comme c’est de plus en plus le cas un peu partout dans le monde. Il faut supprimer les niches fiscales brunes et ne conserver que les niches fiscales vertes.

Ces recettes fiscales supplémentaires suffiront-elles à financer les dépenses très importantes des OBNL ?

A.-LD : Ce procès, systématiquement fait à gauche, commence à devenir un peu lassant. Certes, le programme du PFN prévoit une augmentation massive des dépenses publiques, mais la gauche est aussi la seule à vouloir lever des recettes supplémentaires, et donc à présenter un programme avec un véritable équilibre budgétaire. Selon les estimations indépendantes que nous avons réalisées avec d’autres économistes, la hausse des impôts devrait rapporter entre 60 et 120 milliards par an.

De quoi réduire les déficits publics et s’engager sur des dépenses futures, notamment face à la crise écologique. Le rapport Pisani-Mahfouz estime à 30 milliards le besoin de dépenses budgétaires supplémentaires par an pour financer la transition écologique. Ce programme est le seul à les financer.

Face à nous, nous avons un bloc central qui n’a fait qu’accroître le déficit, et un RN dont le programme « pro-business » semble curieusement « rassurer » le monde économique.

CG : En fait, depuis trois semaines, le RN affiche un programme de sérieux économique et budgétaire bien plus rassurant pour le monde des affaires que celui du NFP. C’est peut-être une façade, car le RN nous a habitués par le passé à des discours d’irresponsabilité économique.

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Anne-Laure Delatte. Chargée de recherche au CNRS, rattachée au laboratoire d’économie de l’université Dauphine, elle est spécialiste de la finance, des paradis fiscaux et de la zone euro. Ancienne membre du Conseil d’analyse économique, elle fait partie des 300 économistes signataires d’une tribune publiée fin juin dans Le nouvel observateur en défense des orientations du programme du Nouveau Front Populaire.

Christian Gollier. Ce spécialiste de l’économie du climat dirige l’École d’économie de Toulouse, qu’il a cofondée en 2007 avec le prix Nobel d’économie Jean Tirole. Coauteur des 4e et 5e rapports du GIEC, il est l’un des grands défenseurs de la tarification du carbone. Ces derniers jours, il a signé plusieurs tribunes de presse pour dénoncer les programmes économiques du RN et du NFP.

 
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