29 novembre 2024
Les chiffres du chômage BIT en France (hors Mayotte) du troisième trimestre 2024, récemment publiés par l’Insee, montrent, par rapport au trimestre précédent, une légère augmentation de 35 000 personnes du nombre de chômeurs se traduisant par une hausse également légère du chômage. taux qui est passé de 7,3% à 7,4% de la population active. Cette faible évolution est qualifiée par l’Insee de quasi-stabilité dès le titre de son communiqué. Mais l’essentiel n’est pas là. Il s’agit de l’augmentation du taux d’emploi de la population âgée de 15 à 64 ans, qui passe de 69% à 69,1%.
Une forte hausse du taux d’emploi sur la longue période
C’est en effet le taux d’emploi qui doit être le principal thermomètre de l’action publique dans le domaine du marché du travail, car c’est lui qui impacte directement, avec d’autres facteurs comme la productivité et la démographie, le PIB par habitant et donc le niveau moyen de vie de la population. Certains pays comme la Belgique, bien que régulièrement et à tort pris en exemple par différents syndicats, se distinguent par un taux de chômage avantageux par rapport à la France (autour de 5,5%) mais aussi par un taux d’emploi plus faible. (moins de 67 %), ce qui explique un niveau de PIB par habitant proche du nôtre, et donc bien inférieur à celui des pays nordiques et scandinaves, de l’Allemagne ou des Pays-Bas.
La simultanéité, au 3ème trimestre 2024, d’une hausse du taux de chômage et du taux d’emploi en France s’explique par la hausse du taux d’activité moyen. Cette augmentation est nette pour les deux segments de la population en âge de travailler sur lesquels des politiques fortes ont été déployées : les jeunes de 15 à 24 ans, avec par exemple les réformes de l’apprentissage et des lycées professionnels, et les seniors de 55 à 64 ans avec, par exemple, la réforme des retraites.
Le niveau actuel du taux d’emploi de la population âgée de 15 à 64 ans est, à 69,1 %, le plus élevé observé depuis 1975, date la plus ancienne à laquelle l’Insee fait remonter ses publications. Il était alors de 66,6 %, puis a connu une baisse quasi constante, atteignant un point bas inférieur à 61 % en 1994, puis remontant, avec toutefois une pause au cours des années 2000 et une accélération depuis 2015.
La tranche d’âge qui a connu la plus forte croissance est celle des seniors. Pour la population âgée de 50 à 64 ans, le point bas du taux d’emploi a été atteint en 1992 à 42,2%, une fois pleinement réalisés les effets de l’abaissement à 60 ans de l’âge d’ouverture des droits au travail. la retraite a été décidée au début des années 80, et le sommet actuel est de 66,9 %. Une telle hausse, très impressionnante car de près de 25 points de pourcentage, s’explique sans doute en grande partie par les réformes des retraites entreprises sur la période, dont les effets s’ajoutent à ceux de la hausse tendancielle de l’activité des femmes. Ces réformes des retraites ont ainsi eu les effets escomptés. Sur la même longue période, le taux d’emploi des jeunes a diminué de manière significative, de plus de 18 points, passant de 53,8% en 1975 à 34,6% actuellement, avec un point bas à moins de 28% en 1997. Cette baisse marquée s’explique bien entendu par l’allongement de la durée des études, le cumul emploi-études étant plus rare dans notre pays que dans de nombreux autres pays européens. Mais la hausse est très nette depuis 2016, de plus de 6 points, le taux d’emploi des jeunes passant de 28,4% cette année-là à 34,6% actuellement. Elle semble s’être arrêtée au cours des derniers trimestres, du fait de l’épuisement des effets de réformes comme celle de l’apprentissage. Le taux d’emploi de la population d’âge moyen (25-49 ans) a lui-même augmenté de manière significative d’environ 6 points sur la longue période, passant de moins de 77 % en 1975 à près de 83 % actuellement. Cette hausse s’explique principalement par l’augmentation du taux d’emploi des femmes de cette tranche d’âge.
La hausse du taux d’emploi global observée sur la longue période, ici depuis 1975, si elle n’est pas négligeable, reste néanmoins d’une ampleur limitée : environ 2,5 points de pourcentage. Mais l’évolution observée est très contrastée entre hommes et femmes. Au cours de cette longue période, le taux d’emploi des hommes a chuté d’environ 9 points de pourcentage, passant de 81,1 % en 1975 à 71,9 % actuellement. Sur la même période, il a augmenté d’environ 15 points de pourcentage pour les femmes, passant de 51,7 % en 1975 à 66,5 % actuellement. Ainsi, c’est l’affirmation de l’aspiration des femmes à une autonomie financière et à une plus grande parité économique avec les hommes qui est à l’origine de l’augmentation du taux d’emploi global et du niveau de vie moyen. ce qui en résulte. L’écart actuel entre les taux d’emploi des hommes et des femmes reste important, autour de 5,5 points de pourcentage, mais il était supérieur à 29 points en 1975. Il a diminué de manière presque continue au cours de cette période et devrait continuer à le faire. faire, avec la sortie des générations culturellement plus âgées de la population en âge de travailler.
La détérioration économique ne doit pas conduire à un relâchement des efforts
Compte tenu d’une détérioration de la situation du marché du travail, le taux d’emploi global pourrait diminuer au cours des prochains trimestres, puis rebondir lorsque la situation économique s’améliorera par la suite. Dans ce contexte, trois orientations de politique économique semblent appropriées.
Tout d’abord, limiter les effets de la détérioration économique, en facilitant temporairement des arbitrages favorisant l’emploi plutôt que les salaires. C’est dans cette logique qu’avec Jacques Barthélémy, nous préconisons de permettre aux accords de performance collective, signés dans les entreprises entre les partenaires sociaux, de réduire temporairement les salaires en dessous des minima conventionnels du secteur mais dans le respect des dispositions d’ordre public comme le salaire minimum (voir notre article dans Les Echos du 25 novembre 2024).
Ensuite, favoriser le rebond économique et, ce faisant, restaurer la confiance endommagée par les pitoyables divisions politiques actuelles. Cette confiance est utile pour stimuler la demande de consommation des ménages et les investissements des entreprises françaises et étrangères.
Enfin, à moyen et long terme, poursuivre les réformes visant à accroître les comportements d’activité, notamment dans les trois segments dans lesquels ils restent faibles par rapport à de nombreux pays avancés comme les pays nordiques et scandinaves, l’Allemagne et les Pays-Bas. Il s’agit donc de consolider, renforcer et étendre les réformes comme celles de l’apprentissage, du RSA, de l’indemnisation du chômage ou des retraites, entre autres.
Comparée à de nombreux pays européens, la France apparaît comme un pays pauvre : son PIB par habitant est par exemple actuellement inférieur à celui de l’Allemagne, inférieur de 20 % à celui du Danemark ou encore de près de 25 %. à celui des Pays-Bas. La cause principale de cet écart est un taux d’emploi global inférieur à celui observé dans ces pays, l’écart se cristallisant principalement dans les trois segments de la population en âge de travailler : les peu qualifiés, les jeunes et les seniors. .
Le rattrapage des taux d’emploi observés dans ces pays doit être l’un des objectifs majeurs de nos politiques économiques. Avec la réduction des dépenses publiques, ce rattrapage permettrait à la France de surmonter ses difficultés récurrentes de finances publiques. Nous avons calculé, avec des hypothèses très conservatrices, que par exemple rattraper les taux d’emploi observés aux Pays-Bas permettrait d’augmenter spontanément les recettes publiques annuelles d’un montant équivalent à la somme des deux plus gros budgets de l’Etat, à savoir l’Éducation Nationale et la Défense.
L’alternative qui s’offre à nous est donc bien claire. La France peut rester un pays au faible taux d’emploi, pauvre par rapport à de nombreux autres pays européens, avec une ambition limitée en matière de financement et donc de qualité de son modèle social, de son éducation nationale, de transition climatique et de gains de pouvoir d’achat. La réponse à ces difficultés souvent préconisée par les partis d’opposition, consistant à baisser le taux d’emploi par exemple en abrogeant la dernière réforme des retraites et en redistribuant davantage les revenus, apparaît ici totalement inappropriée. Modifier le partage du gâteau par davantage de redistribution ne compense pas le fait que le gâteau à partager reste petit, voire réduit par la baisse des taux d’emploi mais aussi par les effets de l’amplification des politiques fiscales redistributives. La France peut aussi renforcer ses taux d’emploi, et ainsi augmenter le revenu moyen et réduire les difficultés de financement de ses ambitions. C’est l’objectif qu’il faut rechercher, avec bien sûr la stimulation des gains de productivité, via l’innovation et l’investissement, ces gains constituant avec l’augmentation du taux d’emploi global l’autre grand canal de hausse du revenu moyen en France.
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