La solitude au sommet | La presse

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La solitude au sommet | La presse

L’expression seul – ou seul – au sommet peut prendre tout son sens lorsqu’on se retrouve à la tête d’une entreprise ou d’une organisation. C’est le cas de 80 % des PDG québécois, qui disent éprouver un sentiment de solitude dans l’exercice de leurs fonctions, ce qui peut éventuellement altérer leur capacité décisionnelle ou leurs communications avec leurs employés et parties prenantes.

La distance que le pouvoir induit souvent entre dirigeants et salariés, la propension des managers à cacher leurs émotions et à n’afficher que des sentiments superficiels et la pression constante liée à l’impératif de performance sont autant de facteurs qui contribuent à nourrir le sentiment de solitude chez un chef d’entreprise.

Voici quelques constats préliminaires qui ressortent de la première étude que vient de réaliser le Pôle D de HEC Montréal. Le pôle D – de management et d’orientation stratégique – a été créé il y a trois ans, mais son lancement officiel a eu lieu mercredi soir.

Dirigé par le professeur agrégé Alaric Bourgoin de HEC Montréal et le professeur titulaire Denis Chênevert, ce nouveau centre de recherche est entièrement consacré au métier de PDG et a pour objectif de créer des connaissances scientifiques de haut niveau sur la vie et les comportements des gestionnaires.

L’étude sur la solitude au sommet s’inscrit dans cette volonté d’en savoir plus sur les effets que cette problématique peut avoir sur le comportement du PDG et sur l’ensemble de son organisation.

Premier constat, 80 % des PDG d’organisations déclarent avoir éprouvé de la solitude dans l’exercice de leurs fonctions, tandis que 25 % déclarent se sentir souvent seuls au travail.

Les recherches sur le sujet démontrent que « la solitude au sommet peut conduire à un manque de soutien émotionnel, faisant de la prise de décision une tâche anxiogène… elle peut également nuire à une communication efficace avec les employés et les parties prenantes… et qu’elle peut entraver l’innovation et la capacité du PDG à s’adapter à un environnement concurrentiel en évolution rapide », résume la recherche du Pôle D de HEC Montréal.

Il existe plusieurs manières d’atténuer ce sentiment de solitude évoquées par les PDG eux-mêmes. Ainsi, 72 % de la centaine de PDG interrogés pour cette étude déclarent faire souvent des activités physiques, 41 % participent à des groupes de soutien aux PDG, 37 % déclarent s’impliquer dans des activités culturelles et communautaires et enfin 14 % suivent une thérapie. assez régulièrement.

Les crises comme facteur d’isolement

Il est d’ailleurs intéressant de noter que les différentes crises qui peuvent surgir au sein de la vie d’une entreprise ont été le principal facteur isolant identifié mercredi soir par plusieurs PDG qui participaient à un panel autour de ce thème, en marge du lancement officiel de Pôle D de HEC Montréal.

Pour Alain Batty, ancien PDG de Ford Canada, l’expression seul au sommet s’est incarnée de manière dramatique lorsqu’il a dû répondre à un ordre du siège américain de fermer une usine dans la région de Toronto et de mettre à pied 3 500 travailleurs.

« Ford a dû fermer cinq usines aux États-Unis et même si notre site connaissait encore beaucoup de succès, nous avons dû fermer au moins une usine au Canada pour faire bonne mesure. C’était très dur à vivre. Partout dans ma vie, je me sentais très seul », se souvient l’ex-PDG, aujourd’hui professeur associé à HEC Ecole des Managers.

Marie-Line Beauchamp, chef des opérations du Groupe MTY, a également vécu un sentiment de solitude omniprésent pendant plusieurs mois durant la pandémie alors qu’elle a dû fermer plusieurs centaines de restaurants dans sa division canadienne.

« Cela a duré presque deux ans. J’ai dû remercier des personnes que j’aurais aimé garder dans l’équipe. Je me sentais très seul», raconte le gestionnaire de carrière.

Même chose pour Brigitte Jalbert, PDG et propriétaire des Emballages Carrousel, qui a repris l’entreprise familiale fondée par son père et qui a dû forcer son père à lâcher prise.

« Mon père avait 81 ans et il voulait continuer à diriger l’entreprise ; même s’il était sain d’esprit, il devait comprendre que nous allions de l’avant. J’ai vécu une immense solitude pendant deux ans », a déclaré le PDG.

Un chef d’entreprise doit vivre avec les décisions qu’il prend, il n’y a souvent personne au dessus de lui ou à ses côtés avec qui il puisse exprimer ses doutes ou ses angoisses, et son conseil d’administration peut même parfois apparaître comme une menace.

« C’est sûr que quand tout va bien, que l’entreprise marche bien et que tu es la star, tu te sens moins seul, c’est sûr. Mais quand ça va moins bien, quand on est scruté par tout le monde et qu’il faut donner des résultats, c’est moins évident”, estime Alaric Bourgoin, codirecteur du Pôle D.

L’équipe de ce nouveau centre de recherche comprend une quinzaine de chercheurs qui travaillent simultanément sur une douzaine de sujets différents dans quatre laboratoires distincts.

La prochaine étude qui sera rendue publique portera sur le rôle des émotions dans la prise de décision d’un PDG, et la prochaine portera sur la gouvernance des entreprises publiques. Nous en reparlerons.

 
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