Après avoir entendu que l’hydrogène vert pouvait sauver la planète, beaucoup de gens ont fini par y croire. Mais pas tous. A commencer par le premier intéressé, le marché.
L’hydrogène est loin d’être une invention nouvelle. Nous produisons déjà 90 millions de tonnes par an dans le monde. Ce qui est nouveau, c’est qu’on veut le produire avec une énergie renouvelable, comme l’électricité du Québec, pour remplacer l’hydrogène produit par le gaz naturel et utilisé dans le raffinage du pétrole et la production d’engrais.
L’hydrogène promet aussi et surtout de décarboner les activités industrielles non électrifiables comme l’aviation, le transport maritime et le transport routier.
Ce marché potentiel tarde à se développer, et pour cause. L’hydrogène vert coûte deux à trois fois plus cher que l’hydrogène produit à partir du gaz naturel et est mal transporté. D’autres technologies de décarbonation concurrencent l’hydrogène vert et progressent.
Les avions volent actuellement avec du carburant dit durable, connu sous l’acronyme SAF (Carburant d’aviation durable), fabriqué avec des huiles usagées et des résidus agricoles. De plus en plus d’experts estiment qu’il est plus avantageux d’électrifier directement les transports lourds plutôt que d’utiliser l’électricité pour produire de l’hydrogène vert qui alimenterait les camions.
Les producteurs d’hydrogène d’origine fossile envisagent une technologie permettant de capter le carbone émis par la production d’hydrogène, qu’ils transforment en hydrogène à faible teneur en carbone, également appelé hydrogène bleu.
Le marché potentiel diminue. Il y a à peine quatre ans, en élaborant une stratégie pour percer ce marché, le gouvernement canadien estimait que le marché mondial de l’hydrogène atteindrait 11 000 milliards de dollars en 2050. En avril dernier, Ressources naturelles Canada réduisait cette estimation à un peu moins de 2 000 milliards de dollars. Cela représente une différence de 80 %.
Aux Etats-Unis, la firme McKinsey vient de réduire de 70% son objectif de production d’hydrogène vert aux Etats-Unis pour 2030, rapporte le Temps Financiermalgré l’avalanche de projets annoncés.
En Bourse, la valeur des actions des sociétés liées au marché de l’hydrogène est en chute libre après avoir connu une hausse effrénée. Un portefeuille de 45 de ces sociétés suivis par l’Agence internationale de l’énergie a vu sa capitalisation boursière baisser pour atteindre ce qu’elle était en mai 2020.
Il y a certainement une place pour l’hydrogène vert dans le mix énergétique du futur. Mais cela ne sera pas à la hauteur des attentes soulevées par les promoteurs du secteur. La bulle se dégonfle partout. En Europe, nous avons vu de l’hydrogène vert partout. L’objectif était de produire 10 millions de tonnes par an et d’importer 10 millions de tonnes de pays mieux équipés en énergies renouvelables, dont le Canada (et le Québec). La Belgique s’était fixé pour objectif de devenir le carrefour européen de l’hydrogène vert avec un réseau de pipelines reliant plusieurs pays voisins assoiffés d’énergie.
Tout indique que rien de tout cela n’arrivera, malgré les fonds publics disponibles pour développer ce secteur en Europe, au Canada et aux États-Unis. Parmi la multitude de projets de production d’hydrogène vert annoncés ces dernières années, très peu ont été réalisés et beaucoup ont été mis entre parenthèses ou abandonnés.
Au Canada, l’entreprise australienne Fortescue a renoncé à construire en Colombie-Britannique une usine d’hydrogène qui devait être la plus grande du pays, en raison du prix élevé et du manque de disponibilité de l’électricité. Le projet connu sous le nom de Projet Coyote aurait nécessité 1 000 mégawatts d’électricité.
Le Québec, inondé de projets de production d’hydrogène en raison du faible prix de son hydroélectricité, en a accueilli quelques-uns. TES Canada a reçu 150 mégawatts pour produire de l’hydrogène vert qui sera utilisé pour des usages qui restent à déterminer pour des acheteurs qui restent à identifier.
HY2gen, sur la Côte-Nord, a obtenu 307 mégawatts d’Hydro-Québec pour produire de l’hydrogène qui servira à produire de l’ammoniac destiné à la fabrication d’explosifs pour l’industrie minière.
L’électricité verte est une ressource rare et de plus en plus coûteuse qui doit être utilisée judicieusement, estime la chercheuse Johanne Whitmore, de la Chaire en gestion de l’énergie de HEC Montréal. Les mégawatts du Québec seraient mieux utilisés, selon elle, pour décarboner la production d’hydrogène à partir du gaz naturel fossile qui existe déjà plutôt que pour chasser de nouveaux marchés toujours hypothétiques.