Le 5 août 2011, les yeux du monde entier étaient rivés sur le lancement par la NASA de la sonde Juno vers Jupiter. L’agence de notation S&P a ensuite gâché la fête aux Etats-Unis, en abaissant la note de la dette américaine de « AAA » à « AA+ ». Une première depuis la création de l’agence en 1941. Douze ans plus tard, en août 2023, Fitch partage l’avis de ses confrères et abaisse également la note de la dette américaine.
L’agence estime alors que le « impasses à répétition sur le plafond de la dette » signaler une érosion de “confiance.” Seule l’agence centenaire Moody’s maintient sa bonne évaluation des finances américaines, précisant même dans un rapport en août dernier qu’une présidence de Kamala Harris serait plus bénéfique pour les finances des Etats-Unis qu’un retour de Donald Trump.
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Néanmoins, avec une dette publique culminant à 35 800 milliards de dollars au 25 octobre 2024 selon le Trésor américain, « Il suffit de dire que tout autre pays risquerait la faillite », selon Jérémy Ghez, professeur d’économie à HEC et expert des Etats-Unis. La dette publique totale représente déjà 125 % du PIB américain en 2024 et devrait atteindre 136 % d’ici 10 ans. Le 19 octobre, la secrétaire au Trésor Janet Yellen a annoncé que le déficit budgétaire atteindrait 6,4 % du PIB pour l’exercice 2024.
Kamala Harris moins inquiétante que Trump
Pourtant, malgré ces chiffres, le thème de la dette reste absent de la campagne, « aucun des deux principaux candidats à l’élection présidentielle de 2024 n’a présenté de plan pour faire face à cette dette croissante », » déplore le Comité pour un budget fédéral responsable, un organisme indépendant spécialisé dans les questions financières.
Selon Jérémy Ghez, si la dette est absente du débat, c’est en partie « Grâce à leur croissance, les Américains ne souffrent pas, pour l’instant, du poids de leur dette. »
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Il n’est cependant pas question de creuser davantage le déficit budgétaire. Le président de la Réserve fédérale américaine (Fed) estimait même en février dernier que la dette publique des Etats-Unis était « insoutenable » à long terme et que c’est “grand moment” pour y remédier. Malgré ces recommandations, Selon les estimations du Comité pour un budget fédéral responsable, le plan de Kamala Harris augmenterait la dette de 3 950 milliards de dollars d’ici 2035, contre 7 750 milliards de dollars pour le plan de Trump.
“Alors qu’il faudrait réduire le déficit d’environ 3 points de PIB pour stabiliser le poids de la dette”, remarque Florence Pisani.
Pour atteindre cet objectif, l’économiste et auteur de L’économie américaine (publié par La Découverte, 2018) constate qu’il est difficile ” de jouer sur les dépenses budgétaires. En revanche, les marges sont importantes du côté des recettes, on peut notamment augmenter les impôts sur les ménages les plus riches ainsi que les bénéfices des entreprises. Le programme de Kamala Harris va dans ce sens.
En revanche, l’imposition de tarifs douaniers souhaitée par Donald Trump ne pourrait-elle pas contribuer à réduire le déficit en augmentant les recettes fédérales ?
« Cela ne rapportera pas autant que le prétend le candidat républicain. Si des droits de douane de 60 % sont appliqués aux produits chinois, les Etats-Unis se détourneront en partie de la Chine et importera davantage d’autres pays moins taxés. De toute façon, nous ne parviendrons pas à remplacer les recettes fiscales par des droits de douane comme le prétend Donald Trump ! »
Les différents projets douaniers évoqués par le candidat dans sa campagne viseraient au total 3 000 milliards de dollars de produits, soit à peu près autant que les seules recettes de l’impôt sur le revenu. Or, selon une étude de Moody’s, la mise en place de ces taxes cela coûterait 2,1 millions d’emplois aux États-Unis et 1,7 % du PIB d’ici 2028.
Le Congrès au cœur de la bataille
Donald Trump espère pouvoir imposer seul ces tarifs douaniers, invoquant des enjeux de sécurité nationale. Mais pour augmenter les recettes, réduire les dépenses, imposer des droits de douane, le Congrès sera au cœur des décisions. Son élection le 5 novembre – parallèlement à l’élection présidentielle – est donc cruciale pour la trajectoire de la dette américaine. D’autant que, nouvellement élus, Républicains et Démocrates devront se mettre d’accord en janvier pour relever le plafond de la dette.
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Ce plafond suscite déjà un léger émoi sur les marchés financiers. Les spreads des credit default swaps (CDS) américains à un an – une mesure du risque de défaut de paiement – ont atteint leur plus haut niveau depuis novembre 2023. Selon une note de Barclays, cette hausse reflète l’inquiétude des investisseurs quant au relèvement du plafond de la dette. En 2023, déjà divisé, le Congrès n’était pas parvenu à un accord, rapprochant les États-Unis du défaut de paiement.
« La dette américaine est pleine de paradoxes. On le voit dans son absence dans la campagne présidentielle alors même qu’il s’agit d’un sujet plus politique qu’économique aux Etats-Unis.estime Jérémy Ghez.
Une dette qui pèse sur l’économie mondiale
23% de la dette est détenue par des investisseurs étrangers. De ce fait, la problématique dépasse largement les frontières des États-Unis. “L’achat de dette américaine reste une valeur sûre pour tout investisseur, c’est aussi ce qui ne fait naître aucun risque à court terme”, explains Jérémy Ghez.
Dans sa toute première étude publiée le 15 octobre, l’Institut de recherche Pictet s’est penché sur rôle crucial de la soutenabilité de la dette américaine au sein du système financier international. Maria Vassalou, directrice de l’Institut de recherche Pictet, pose le diagnostic suivant :
« Le reste du monde a beaucoup à perdre dans une crise de la dette américaine, car il a financé le déficit américain en achetant des dollars, des bons du Trésor et des actions américaines, autant d’actifs qui subiraient de sévères dépréciations en cas de crise. »
Jusque-là, de nombreux commentateurs considéraient que la dette américaine était préservée par le “un privilège exorbitant” du dollar. Un terme – créé par Valéry Giscard d’Estaing en 1964 – que nuance Florence Pisani, qui rappelle que “Par rapport au PIB, les dettes envers le reste du monde, la zone euro et les Etats-Unis sont comparables.”
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Maria Vassalou, directrice de l’Institut de recherche Pictet, craint que ” le coalition BRICS+ en mouvement (groupe de neuf pays qui se réunissent en sommets annuels, ndlr) pourrait, par exemple, à moyen terme perturber l’architecture du système financier international, ce qui remettrait en cause la domination des États-Unis.» Un scénario – décrit comme « probable » dans l’étude – qui remettrait profondément en question la soutenabilité de la dette américaine.