La Citroën Traction, une révolution franco-américaine

André Citroën était un visionnaire mais aussi un accro aux paris fous. Contrairement à Louis Renault qui finançait ses activités sur fonds propres, Citroën recourut massivement à l’emprunt. Cela lui permet de débloquer des sommes colossales pour réaliser ses immenses rêves industriels, et ainsi devenir le premier constructeur automobile français quelques années seulement après avoir présenté sa première voiture en 1919. Avec cet argent, il peut acheter un énorme outil de production. selon les standards français de l’époque mais aussi très modernes, chez les spécialistes de l’industrie lourde, les Américains.

En 1924, la Citroën B10 fut la première à recevoir une carrosserie entièrement en acier, en grande partie grâce aux brevets achetés à Budd.

Plus précisément, après avoir importé les méthodes de fabrication de Ford, il collabore très étroitement avec le spécialiste de la carrosserie en acier, Budd. Cette entreprise basée à Philadelphie reste peu connue, ayant disparu en 1977, mais joue un rôle primordial dans l’évolution de l’automobile grâce à son savoir-faire dans l’emboutissage de grosses pièces de carrosserie métalliques. Citroën, qui s’intéressait déjà au progrès industriel américain à l’époque où elle dirigeait Mors, noue des liens étroits avec Budd, ce qui lui permet de lancer, en 1924 (cent ans !) la B10 à carrosserie tout acier. À l’époque, c’était une innovation majeure ! La voiture connut un énorme succès car sa fabrication permettait une forte réduction des coûts.

En 1930, la Ruxton Type C était équipée d’une traction avant et d’une carrosserie en acier conçue par Budd. Cependant, il n’est pas adapté à une production de masse. Une centaine a été réalisée.

Cependant, bien qu’elle vende beaucoup de voitures, Citroën a du mal à équilibrer ses comptes, en raison de ses investissements importants mais aussi des redevances qu’elle doit payer, car elle utilise beaucoup de brevets américains. Ses liens avec l’Oncle Sam sont tels qu’il monte un bureau de design outre-Atlantique, à Montréal. En revanche, Citroën engage un ingénieur de Budd pour superviser la production de carrosseries à Paris. De son côté, l’équipementier américain a fait d’importants efforts en termes d’innovation et a conçu une structure monocoque fermée, très différente de celle ouverte introduite par la Lancia Lambda en 1922.

Elle est le fruit des recherches de son ingénieur, Joseph Ledwinka (né à Vienne mais naturalisé américain), parent éloigné de Hans Ledwinka, le concepteur de la célèbre Tatra, et d’Otto Henniger, un ingénieur allemand indépendant dont Budd a racheté le brevet. A cette époque, les Américains sont pionniers de la traction avant, avec la Cord L-29 et la Ruxton, dont la carrosserie en acier entièrement abaissée a été conçue et construite par Budd. Citroën, impressionné par l’efficacité du Tracta de 1926, est également convaincu que la traction avant représente l’avenir et souhaite absolument l’adopter.

Lancée en 1926, la Tracta, à traction avant, séduit André Citroën car elle est très efficace sur le plan dynamique.

Ceci dit, au début des années 1930, Citroën est acculé, car suite au krach de 1929, elle doit réduire ses achats aux USA, qui lui fournissent bon nombre de pièces détachées. En effet, le gouvernement français décide alors de lever de lourdes taxes à l’importation, ce qui impacte directement le prix de revient de ses voitures. Pour contrer ce problème, Citroën envoie Georges-Marie Haardt, son commandant en second, en 1930 pour renégocier les contrats avec les fournisseurs américains.

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C’est à ce moment précis que Budd dépose un brevet pour une méthode de fabrication permettant d’emboutir tout le côté d’une voiture d’une seule pièce tout en autorisant des formes complexes. Une avancée majeure dans les techniques de fabrication car elle limite les coûts ! De plus, cette année-là, les ingénieurs Budd se sont rendus chez Citroën pour comprendre leurs besoins en outillage.

En 1931, l'ingénieur de Budd, Joseph Ledwinka, a conçu ce prototype de monocoque à traction avant. André Citroën s'en serait largement inspiré pour sa 7CV.
En 1931, l’ingénieur de Budd, Joseph Ledwinka, a conçu ce prototype de monocoque à traction avant. André Citroën s’en serait largement inspiré pour sa 7CV.

Une étape supplémentaire est franchie en 1931 : Joseph Ledwinka développe un concept relativement compact selon les standards américains, équipé d’une carrosserie monocoque et équipé d’une traction avant. Il compte le proposer à un constructeur. Or, c’est exactement ce dont Citroën a besoin : une voiture révolutionnaire et économique. Il n’est d’ailleurs pas impossible que Haardt et Ledwinka aient discuté de cette voiture avant son développement, et, par hasard ou non, André Citroën a rendu visite à Budd précisément en 1931.

Il est presque certain qu’il a vu ce prototype, et dès lors, a entamé une profonde et coûteuse modernisation de son outil industriel afin de produire une voiture qui s’en inspire. En pleine crise économique, c’est un pari incroyable, mais de ce pari dépend la survie de son entreprise. Citroën a été approché par l’Allemand Adler pour produire sa Trumpf, une voiture moderne à traction avant, avec une carrosserie conçue avec… Budd. Mais le Français n’a guère envie de devenir dépendant d’un constructeur allemand, et la Trumpf n’est pas adaptée aux volumes de production élevés qu’il envisage.

Adler propose à Citroën sa Trumpf, une traction avant très moderne lancée en 1932. Mais, même si sa carrosserie a été conçue avec Budd, elle n'est pas adaptée aux volumes de fabrication élevés souhaités par Citroën.
Adler propose à Citroën sa Trumpf, une traction avant très moderne lancée en 1932. Mais, même si sa carrosserie a été conçue avec Budd, elle n’est pas adaptée aux volumes de fabrication élevés souhaités par Citroën.

Dès 1932, Citroën, dans l’urgence, définit le cahier des charges de son futur cheval de bataille : 7 CV, 7 l/100 km, traction avant, structure monocoque, boîte de vitesses semi-automatique, 800 kg. Pour tout gérer, il engage André Lefèbvre, qui fut une star chez Renault, en mars 1933. Lefèbvre, brillant ingénieur, avait déjà travaillé sur une monocoque à Voisin dix ans plus tôt, ce qui convainquit Citroën de l’embaucher pour s’équiper de cette voiture révolutionnaire sur laquelle il mise tout.

Et tout se passe relativement vite : Budd travaille dur avec Raoul Cuinet et Pierre Franchiset, ingénieurs carrosserie du Double Chevron, pour adapter sa structure monocoque aux exigences de Citroën, Maurice Sainturat conçoit un nouveau moteur, Pierre Lemaire et Paul d’Abarède développent la barre de torsion. suspension (une idée initiale de Ferdinand Porsche) et l’Italien Flaminio Bertoni ont rendu élégante la structure développée avec Budd.

Début 1934, cette entreprise réalise les éléments de carrosserie des cent premiers exemplaires de la Citroën 7CV, qui seront assemblées à Paris jusqu’à l’arrivée des machines à l’usine. André Citroën souhaitait absolument une transmission automatique et il se rapprocha de l’ingénieur Dimitri Sensaud de Lavaud qui en avait conçu une dont l’hydraulique était pressurisée par une turbine. Le temps pressant, car les créanciers devenaient de plus en plus impatients, Citroën leur fit essayer en 1934, dans l’espoir de les convaincre, un prototype équipé de cette boîte… qui se brisa lamentablement !

Lors de son lancement en avril 1934, la Citroën 7CV fait sensation : traction, monocoque, freins hydrauliques, direction à crémaillère...
Lors de son lancement en avril 1934, la Citroën 7CV fait sensation : traction, monocoque, freins hydrauliques, direction à crémaillère…

En urgence, une autre boîte de vitesses est étudiée, celle-ci manuelle, et le 18 avril 1934, la Citroën 7CV est présentée. Seulement 13 mois après le début concret de ses études. Mais en réalité, dès 1931, André Citroën, lui-même ingénieur, connaissait les principaux points de sa voiture. Lors de sa mise à l’eau, il n’était pas prêt : la coque s’est ouverte, les arbres de transmission se sont cassés, mais tout était couvert par la garantie. En l’espace d’un an, les problèmes sont résolus et la 7CV, surnommée Traction Avant ou Traction, peut connaître le succès qu’elle mérite.

Hélas, André Citroën ne le verra pas. Fin 1934, les banques décident de récupérer brutalement leur argent, ce qui entraîne la faillite de sa marque très endettée. Michelin la rachète ensuite, mais André Citroën, démis de la direction des opérations, décède d’un cancer de l’estomac le 3 juillet 1935.

Une des toutes premières Citroën 7CV, en 1934, à toit souple. Ses parties de carrosserie ont probablement été fabriquées chez Budd aux USA.
Une des toutes premières Citroën 7CV, en 1934, à toit souple. Ses parties de carrosserie ont probablement été fabriquées chez Budd aux USA.

De son côté, Traction pose les bases fondamentales de ce que deviendra la voiture moderne. Cependant, Citroën n’en conserve que le moteur, pour ne revenir à la structure monocoque qu’en 1970 avec la GS. Sous l’ère Michelin, il n’était plus question de verser des royalties aux sous-traitants américains, comme Budd. Ce sera même l’inverse : Rolls-Royce et Mercedes-Benz paieront à Citroën pour pouvoir utiliser des éléments de sa suspension hydropneumatique, respectivement sur la Silver Shadow et la 450 SEL 6.9…

Gloire nationale, Traction est en fait le fruit de talents français, américains, italiens et même polonais (l’engrenage à chevrons qui donnera son logo à la marque Javel vient de Pologne, où est née la mère d’André Citroën, leur père étant néerlandais). À l’heure où certains ne voient qu’au-delà du repli, une telle diversité d’origines mérite toujours d’être rappelée…

 
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