« Attention à ne pas remplacer les juges par des robots »

« Attention à ne pas remplacer les juges par des robots »
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Accélération des procédures, analyse de la jurisprudence, calcul du risque de récidive d’un détenu. Le déploiement de l’intelligence artificielle va perturber le fonctionnement de la justice dans les années à venir. Le recours à l’IA est déjà une réalité pour certains avocats qui utilisent des plateformes comme ChatGPT pour rédiger des plaidoiries, des conclusions ou des jugements, mais le recours à ce type de technologie peut avoir des effets pervers.

La DH a interrogé une série d’acteurs du monde judiciaire pour connaître leur ressenti face à cette nouvelle situation. Tout le monde est unanime pour dire que l’IA ne pourra jamais remplacer le travail humain d’un juge ou d’un avocat. En revanche, des avis divergents concernent l’utilisation de l’IA pour le travail de fond sur les dossiers. “Il est évidemment préférable de recourir à un magistrat plutôt qu’à un algorithme pour percevoir la sensibilité du justiciable », explique l’avocat pénaliste Michel Degrève. “En revanche, si l’on introduit une dimension humaine et émotionnelle dans un calcul d’intelligence artificielle, alors la question du remplacement du magistrat pourrait se poser. Ce n’est certainement pas ce que je souhaite, mais cela ne peut pas être exclu.

Dans combien de temps l’intelligence artificielle dépassera-t-elle l’humain ? pense avoir la réponse

En revanche, il est difficile d’imaginer remplacer l’avocat par une IA. “L’avocat doit parler et convaincre oralement. Je ne vois pas de robots prendre notre place. Mais pour des travaux de fond, il peut s’avérer un outil redoutable au sein de certains cabinets lors, par exemple, de la rédaction de mémoires. A condition bien sûr qu’il s’appuie sur des facteurs bien déterminés qui sont tous introduits dans un algorithme particulier. Si cela est fait intelligemment, cela peut permettre de gagner un temps considérable. Tout dépend de la façon dont nous envisageons l’IA : soit comme un complément, un instrument qui s’ajoute au rôle de l’avocat, soit comme une menace de remplacement.il ajoute.

Le constat est sans appel : l’intelligence artificielle va s’imposer dans nos vies et devenir un outil incontournable. Il faut donc l’appréhender au mieux en proposant des formations, selon Denis Goeman, magistrat de presse au tribunal de première instance francophone de Bruxelles. « Il faut prendre en compte cette nouvelle technologie et ne pas la rejeter d’emblée. Des budgets devraient être dégagés pour bénéficier de formations permettant de mieux appréhender cette nouvelle donne. Cela peut faire gagner du temps au niveau des données de base et avoir un intérêt pour l’analyse de la jurisprudence ou de la doctrine de certains points de droit à condition de disposer de sources fiables étant donné qu’elles sont générées par des algorithmes », il explique. “Avec l’IA, on risque aussi d’être confrontés à des images soumises au tribunal potentiellement artificielles ou manipulées. Celui-ci devra donc être analysé par des experts pour déterminer la véracité des documents produits devant le tribunal.

Réguler l’intelligence artificielle avant qu’elle ne nous régule

« L’impact que l’IA peut avoir sur le fonctionnement de la justice est effrayant.

D’autres voient cette nouvelle technologie sous un jour très négatif. “Je suis totalement contre l’idée d’automatiser la justice. La justice est rendue par des hommes pour des hommes, pas par des machines pour des hommes. », selon Stanislas Eskenazi. “L’impact que l’IA peut avoir sur le fonctionnement de la justice est effrayant. Cela ouvre la voie à une procédure qui sera décidée par une machine, un algorithme. Déjà avec les hommes, on a des erreurs judiciaires mais en automatisant les décisions de justice, il y en aura encore plus. L’IA extrapole une série de données et les adapte d’une manière qui peut devenir erronée. On a déjà supprimé une partie de l’oralité des débats avec de plus en plus de procédures écrites. Je crois à l’avantage d’utiliser l’IA pour les sciences exactes, pas pour les sciences humaines. »

Un avis partagé par l’avocat Olivier Martins, qui se montre plus nuancé. « Il est impossible aux ordinateurs de juger les êtres humains ; ce serait particulièrement inquiétant. Se venger peut être un outil de travail de fond, de rédaction de conclusions, de la même manière que les étudiants utilisent l’IA pour rédiger des cas pratiques lors des examens. Mais en fin de compte, c’est l’homme qui doit diriger en se conformant à son raisonnement, et non en s’appuyant sur le raisonnement d’un ordinateur.

L’utilisation de l’IA dans l’environnement juridique est déjà bien établie dans d’autres pays. Ainsi, en France, la Cour de cassation utilise l’IA pour orienter les pourvois vers un circuit court si la solution est nécessaire ou vers un circuit approfondi pour les affaires plus complexes. L’IA est également utilisée pour les publications « open data » des décisions de justice.

L’intelligence artificielle ne remplacera pas ces métiers de sitôt

La technologie va encore plus loin en Estonie où l’IA déterminera la culpabilité ou non des personnes accusées de délits mineurs, qui concernent des actes dont le préjudice est inférieur à 7 000 euros. C’est la première fois qu’une intelligence artificielle sera chargée de porter un jugement autonome.

L’IA utilisée pour traquer les trafiquants de drogue

Le ministère de la Justice utilise l’intelligence artificielle dans les affaires de criminalité organisée.

Le ministre de la Justice Paul Van Tigchelt plaide en faveur de l’intelligence artificielle « afin de rapprocher la justice du citoyen. » Mais le recours à l’IA est déjà une réalité dans des affaires de criminalité organisée, comme lors du démantèlement de la plateforme de messagerie cryptée Sky Ecc.

“Nous avons fait appel à une entreprise anversoise qui a fourni un outil utilisant l’intelligence artificielle pour examiner tous ces messages et mettre en évidence les cas pertinents sur lesquels les enquêteurs peuvent travailler”, explique Julien Vandenborre, porte-parole du ministre. “Grâce à une technologie intelligente, nous avons réalisé en peu de temps un travail qui aurait normalement nécessité des dizaines d’enquêteurs sur plusieurs années. Et avec des résultats. Aujourd’hui, grâce au traitement rapide des messages par cette société, nous avons déjà condamné plus d’un millier de grands criminels liés à la drogue dans le cadre des enquêtes SKY et des centaines de suspects sont en détention.

Un investissement, selon lui, très rentable qui doit être mis au profit des forces de l’ordre. « Un policier passe environ 30 % de son temps à son bureau. Il rédige des rapports et effectue d’autres tâches administratives. Cela représente près de deux jours par semaine. Si, sur la base des images des caméras corporelles, nous fournissions des outils d’IA pour rédiger une première version des contraventions, qui seraient ensuite vérifiées et complétées par les agents, cela signifierait que nous aurions instantanément 15 % de bleu en plus dans les rues, sans avoir à embaucher un officier supplémentaire.

Un impact pour 3,3 millions de Belges

Selon une enquête d’ING Belgique, 42% des Belges pensent que l’IA entraînera une destruction d’emplois, mais seulement 3% craignent pour leur propre emploi. « L’essor de l’intelligence artificielle a suscité de nombreuses discussions ces derniers mois », explique Charlotte de Montpellier, fondatrice de l’étude. « Les Belges ne savent pas encore très bien ce qu’ils attendent de l’essor de l’IA. Une augmentation significative du chômage en Belgique est néanmoins peu probable, compte tenu du contexte de pénurie de main-d’œuvre et de vieillissement de la population. “

Le personnel administratif sera probablement le plus touché par l’IA, et des pertes d’emplois sont probables dans cette catégorie. A l’inverse, les managers sont fortement exposés à l’IA, mais sont plus complémentaires à la technologie et donc plus susceptibles d’en bénéficier.

En matière de croissance économique, les Belges sont plutôt optimistes. Près d’un tiers de la population s’attend à un impact positif sur la croissance du pays au cours des cinq prochaines années. Selon l’étude, il faudra attendre encore quelques années pour que la hausse de la productivité soit réellement perceptible en Belgique. « Les processus de mise en œuvre se font rarement du jour au lendemain, la transformation des emplois sera donc progressive », conclut Charlotte de Montpellier.

 
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