Chapelle pleine pour les morts non réclamés

À Montréal, le journaliste Louis-Philippe Messier voyage surtout en fuite, son bureau dans son sac à dos, à la recherche de sujets et de gens fascinants. Il s’adresse à tout le monde et s’intéresse à tous les horizons dans cette chronique urbaine.

Une « Messe pour les disparus » a voulu redonner leur dignité aux morts sans abri, de plus en plus victimes d’assassinats, et aux défunts enterrés dans la fosse commune parce que personne n’a réclamé leurs corps.

Dans la chapelle Notre-Dame-de-Lourdes, à deux pas de la place Émilie-Gamelin, tous les bancs étaient occupés. Des chaises ajoutées sur les côtés et à l’arrière ont accueilli les derniers arrivages.

« Les gens m’appelaient pour réserver leur place : je savais que ce serait complet », confie le curé Claude Paradis.

Quelques minutes avant le début de la cérémonie, la chapelle était déjà presque pleine… et rapidement, tous les bancs furent occupés.

Photo LOUIS-PHILIPPE MESSIER

Le Père Paradis organise depuis 15 ans cette « messe des disparus ». Et d’année en année, la liste des noms cités par le curé s’allonge.

Plusieurs de ces « disparus » vivaient dans la rue et l’abbé connaissait certains d’entre eux.

«Quatre sans-abri ont été assassinés [en 2023]et je les ai nommés parmi ceux qui sont morts pour d’autres causes ou parmi les personnes décédées seules en CHLSD», explique celui surnommé le curé des rues, lui-même ancien itinérant et toxicomane.

La veille de la messe, un homme seul, un itinérant qui recevait l’aide médicale à mourir, avait demandé la présence du père Paradis à ses côtés lors de l’intervention.

Père Claude Paradis

Photo LOUIS-PHILIPPE MESSIER

Restaurer la dignité

L’abbé a mis une demi-heure pour lire les quelque soixante-quinze noms.

« Je veux redonner leur dignité à ces morts non réclamés. Peu importe qui ils ont été au cours de leur vie, ils sont désormais reconnus.

Lorsque quelqu’un reconnaissait le nom d’une personne décédée, cette personne se levait pour prendre une rose et la déposait sur l’autel.

Si personne ne réagissait à un nom, un fidèle « adoptait » le défunt, allait chercher la rose et s’engageait à prier pour l’âme de cet inconnu tout au long de la messe.

Autrefois, cette messe était déjà dite au cimetière Saint-François d’Assise devant la fosse commune où finissent ces morts non réclamés.

« J’ai moi-même demandé à être enterré parmi les anonymes », confie le curé, qui rejoindra ainsi depuis la rue certains de ses anciens paroissiens.

A la fin de cette messe, chose rare : la foule s’est mise à applaudir.

«Je pense que ça fait du bien à beaucoup de gens de savoir qu’une connaissance décédée dans la rue et qui n’a pas eu de funérailles a été reconnue lors d’une messe», conclut le père Paradis.

« Je suis ici pour honorer ces étrangers et aussi pour prier pour mon père tué par la dictature des Duvalier en Haïti sans que personne ne sache quand ni comment il est mort », m’explique Yves Michel.

«Souvent, après la messe, je vais apporter de la nourriture aux personnes dans le besoin sur la place Gamelin», ajoute cet habitué de la chapelle.

Les sœurs Ginette et Manon Richer ont assisté à leur première messe pour les disparus.

« Nous sommes bénévoles auprès des sans-abri, ma sœur et moi, et cette messe pour ceux que personne ne demande, c’est vraiment une belle chose », raconte Manon.


Les sœurs Ginette et Manon Richer, bénévoles auprès des sans-abri, tiennent des roses qui, lors de la messe, représentaient les âmes des défunts passés directement de la morgue à la fosse commune.

Photo LOUIS-PHILIPPE MESSIER

 
For Latest Updates Follow us on Google News
 

PREV AC Cobra : le chef-d’œuvre inconduisable
NEXT Ce que l’on sait d’Aurélie B., soupçonnée d’avoir détourné 100 millions d’euros à Kiabi